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que déjà trois ou quatre fois il avait touché à la mort. Un journal, tenu pendant vingt-huit ans par son médecin Hérouard, inscrit jour par jour tout ce qu'il mange, heure par heure tout ce qu'il fait. Dès sa jeunesse, il a peu de cœur, est sec et dur, parfois même cruel. Henri IV le fouetta deux fois de sa royale main: la première parce qu'il avait manifesté tant d'aversion à un gentilhomme, que pour le contenter il avait fallu tirer à ce gentilhomme un coup de pistolet sans balle, et faire croire au dauphin qu'il avait été tué sur le coup; la seconde, parce qu'il avait d'un coup de maillet écrasé la tête d'un moineau franc.

      Une fois, une seule fois il eut la velléité d'être roi, et manifesta cette velléité: ce fut le jour de son sacre. Comme on lui présentait le sceptre des rois de France, sceptre fort lourd, étant fait d'or et d'argent et chargé de pierreries, sa main se prit à trembler, ce que voyant, M. de Condé qui, en sa qualité de premier prince du sang, était près du roi, il voulut, en lui soutenant le bras, l'aider à soutenir le sceptre.

      Mais lui, se retournant vivement et le sourcil froncé:

      – Non, dit-il, je prétends le porter seul, et ne veux pas de compagnie.

      Sa grande distraction, enfant, était de tourner de petites pièces d'ivoire, de colorier des gravures, de confectionner des cages, de dresser des châteaux de cartes, et de faire chasser dans son appartement de petits oiseaux par un perroquet jaune et des pies-grièches. Au reste, dans toutes ses actions, dit l'Estoile, «enfant, enfantissime!»

      Mais les deux goûts les plus enracinés et les plus persistants chez lui avaient été la musique et la chasse. C'est dans Hérouard, ce journal à peu près inconnu, s'il ne l'est tout à fait des historiens, qu'il faut chercher ces détails et d'autres plus curieux encore: «A midi, il va jouer dans la galerie avec ses chiens, Patelot et Grisette; à une heure il revient dans sa chambre, se met dans la ruelle de sa nourrice, appelle Ingret, son joueur de luth, et fait la musique en chantant lui-même, car il aimait la musique avec transport.

      Parfois, pour se distraire, il versifiait sur des riens, sur des proverbes ou des maximes, et, quand le goût lui en prenait, il voulait que les autres versifiassent avec lui. Un jour il dit à son médecin, Hérouard: – Mettez-moi cette prose en vers:

      «Je veux que ceux qui m'aiment, m'aiment longtemps, ou, s'ils ne m'aiment que peu, que dès demain ils me quittent.»

      Et le bon docteur, meilleur courtisan que poëte, faisait à l'instant même le distique suivant:

      Je veux que tous ceux-là qui m'aiment désirent

      Que ce soit pour jamais, où bien qu'ils se retirent.

      Comme tous les caractères mélancoliques, Louis XIII dissimulait à merveille, et c'est à ceux qu'il voulait perdre, au moment même où il retirait la main de dessus eux, qu'il montrait les plus blanches dents en souriant de son meilleur sourire. Ce fut le 2 mars, un lundi de l'année 1613, à l'âge de douze ans, que, se servant pour la première fois de la locution familière à François Ier, il jura par sa foi de gentilhomme. Cette même année, l'étiquette voulut que l'on présentât la chemise au jeune roi. Ce fut Courtauvaux, un de ses compagnons, nous ne dirons pas de plaisir, nous verrons tout à l'heure que Louis XIII ne s'amusa que deux fois dans sa vie, qui la lui passa.

      On se rappelle que l'accusation contre Chalais portait: qu'il avait voulu empoisonner le roi en lui passant la chemise. Ce fut cette même année encore que fut introduit près de lui, par le maréchal d'Ancre lui-même, le jeune de Luynes. Il n'avait jusque-là, pour soigner et nourrir ses oiseaux, qu'un simple paysan, – «un pied-plat de Saint-Germain, nommé Pierrot,» dit l'Estoile. De Luynes fut nommé fauconnier en chef, et l'on commanda à Pierrot, tout-puissant jusque-là, de le reconnaître et de lui obéir. Enfin ses faucons, éperviers, milans, pies-grièches et perroquets, furent nommés oiseaux de cabinet, pour que de Luynes pût toujours rester près du roi, et de cette époque data chez Louis XIII une telle amitié pour lui, que non seulement il ne quittait son fauconnier en chef du matin au soir, mais encore qu'en dormant il rêvait tout haut de lui, dit Hérouard, criant son nom dans le sommeil et le croyant absent.

      En effet, si de Luynes ne parvenait pas à l'amuser, il parvenait au moins à le distraire, en développant chez lui le goût de la chasse autant qu'il le pouvait, avec le peu de liberté qu'ont les enfants royaux. Nous avons vu que Louis pourchassait de petits oiseaux dans ses appartements avec un perroquet jaune et des pies-grièches. Luynes lui fit chasser des lapins avec des petits lévriers dans les fossés du Louvre, et voler le milan à la plaine de Grenelle. Ce fut là, toutes dates sont importantes dans la vie d'un roi du caractère de Louis XIII, qu'il prit son premier héron le 1er janvier, et ce fut à Vaugirard que le 18 de la même année, il tira sa première perdrix.

      Enfin, ce fut à l'entrée du pont dormant, près du Louvre, qu'il chassa l'homme pour la première fois, et tua Concini.

      Intercalons ici une page du journal d'Hérouard, la page est curieuse pour le philosophe aussi bien que pour l'historien; c'est ce que fait Louis XIII pendant ce lundi 24 avril 1617, où il chasse l'homme au lieu de chasser le moineau, le lapin, le héron ou la perdrix.

      Nous copions textuellement. Nos lecteurs, et surtout nos lectrices sont avertis.

      «Lundi 24 avril 1617.

      «Eveillé à sept heures et demi du matin, pouls plein, égal, petite chaleur, douce, levé bon visage, gai, pissé jaune, fait ses affaires, peigné, vêtu, prié Dieu; à 8 heures 1/2 déjeuné, quatre cuillers, point bu, si ce n'est du vin clair et fort trempé.

      «Le maréchal d'Ancre

      «tué sur le pont du

      «Louvre entre dix et

      «onze heures du matin.

      «Dîné à midi; bouts d'asperges en salade, douze; quatre crêtes de coq sur un potage blanchi; cuillerées de potage, dix bouts d'asperges sur un chapon bouilli; veau bouilli; la moelle d'un os; tallerins, douze; les ailes de deux pigeons rôtis; deux tranches de gelinotte rôties avec pain; gelée; figues, cinq; guignes sèches, quatorze cotignac sur un oubli; pain, peu; bu du vin clairet fort trempé; dragée de fenouil, une petite cuillerée.

      «Amusé jusqu'à sept heures et demie.

      «Fait ses affaires, jaune, mou, beaucoup.»

      «Amusé jusqu'à neuf heures et demie.

      «Bu de la tisane, dévêtu, mis au lit, pouls plein, égal, petite chaleur douce.

      Vous voilà rassurés, n'est-ce pas, sur le compte de ce pauvre enfant royal; vous pouviez craindre, et moi aussi, que l'assassinat de l'amant de sa mère, du père plus que probable de son frère Gaston, d'un maréchal de France enfin, c'est-à-dire du personnage le plus considérable du royaume après lui et même avant lui, lui eût ôté l'appétit ou la gaieté, et que les mains rouges de sang, il a hésité à prier Dieu? Non pas; son dîner a été retardé d'une heure, c'est vrai, mais il ne pouvait pas tout à la fois être à table à onze heures et regarder par la fenêtre du rez-de-chaussée du Louvre, Vitry assassiner le maréchal d'Ancre. Il a le ventre assez relâché; mais c'est l'effet que faisait à Henri IV la vue de l'ennemi. En échange, il s'est AMUSÉ de sept heures à sept heures et demie; il s'est AMUSÉ de nouveau de neuf heures à neuf heures et demie, ce qui n'est pas dans ses habitudes.

      Pendant les vingt-huit ans que le surveille le docteur Hérouard, il ne s'est AMUSÉ que ces deux fois là.

      En outre, il s'est mis au lit avec un pouls plein, égal, une petite chaleur douce. Il a prié Dieu à dix heures et s'est endormi jusqu'à sept heures et demie du matin, c'est-à-dire qu'il a dormi un peu plus de neuf heures.

      Pauvre enfant!

      Aussi le lendemain il se réveille roi. Ce bon sommeil lui a donné des forces, et, après avoir fait acte de virilité la veille, il fait acte de royauté le lendemain.

      La reine-mère est non-seulement disgraciée, mais exilée à Blois; défense lui est faite de voir les petites mesdames ses filles, son fils bien-aimé

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