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dois suivre alors, mon bel enfant? demanda-t-il.

      – Oui, monsieur le comte, si vous le voulez bien, répondit celui-ci d'une voix si veloutée, que l'idée vint à l'instant même au prince qu'il avait affaire à une femme.

      – Eh bien alors, dit-il, cessant de tutoyer son douteux compagnon, ayez la bonté de m'indiquer le chemin.

      Ce changement dans l'accent et dans les paroles du comte n'échappa point à celui ou à celle à qui ces dernières paroles étaient adressées; il fixa sur lui un œil railleur, ne chercha point à étouffer un éclat de rire, fit un signe de la tête, et marcha en effet devant lui.

      Ils traversèrent alors le pont-levis, grâce au mot d'ordre que dit tout bas le page à la sentinelle, puis ils franchirent la porte du Louvre et se dirigèrent vers l'angle nord.

      Arrivé au guichet, le page prit son manteau sur son bras, afin que l'on vît bien sa livrée bleue et chamois, et d'une voix qu'il fit tous ses efforts pour masculiniser:

      – Maison de madame la princesse, dit-il.

      Mais, dans le mouvement, le page avait été obligé de découvrir son visage; un rayon de la lanterne qui éclairait le guichet avait donné dessus, et, à l'abondance de ses cheveux blonds tombant sur ses épaules, à ses yeux bleus si pleins de larmes et de gaité, à sa bouche si fine et si spirituelle, si prodigue de morsures et de baisers, le comte de Moret avait reconnu Marie de Rohan Montbazon, duchesse de Chevreuse.

      Il se rapprocha d'elle vivement, et au détour de l'escalier:

      – Chère Marie, lui demanda-t-il, est-ce que le duc me fait toujours l'honneur d'être jaloux de moi?

      – Non, mon cher comte, répondit-elle, surtout depuis qu'il vous sait amoureux de madame de la Montagne, à faire des folies pour elle.

      – Bien répondu! dit en riant le prince, et je vois que, pour l'esprit comme pour le visage, vous êtes toujours la plus spirituelle et la plus jolie créature qui soit au monde.

      – Quand je ne serais revenue de Hollande que pour m'entendre faire ce compliment de votre bouche, dit le page en saluant, je ne regretterais pas mes frais de voyage, monseigneur.

      – Ah çà! mais je croyais que depuis l'aventure des jardins d'Amiens vous étiez exilée?

      – On a reconnu mon innocence et celle de Sa Majesté, et, sur les instances de la reine, M. le cardinal a daigné me pardonner.

      – Sans condition?

      – On a exigé de moi le serment que je ne me mêlerais plus d'intrigue.

      – Et ce serment, vous le tenez?

      – Scrupuleusement, comme vous voyez.

      – Et votre conscience ne vous dit rien?

      – J'ai dispense du pape.

      Le comte se mit à rire.

      – Et d'ailleurs, continua le faux page, ce n'est point intriguer que de conduire un beau-frère chez sa belle-sœur.

      – Chère Marie, lui dit le comte de Moret, en lui prenant la main, et en la lui baisant avec ce désir amoureux qu'il tenait du roi son père et que nous avons vu éclater dans ses paroles, dès le commencement de la scène avec sa fausse cousine, dans l'hôtellerie de la Barbe Peinte; chère Marie, est-ce que vous m'auriez gardé cette surprise que votre chambre se trouvât sur le chemin de la chambre de la reine?

      – Ah! que vous êtes bien le fils légitime, s'il en fut, de Henri IV! Tous les autres ne sont que des bâtards.

      – Même mon frère Louis XIII? dit en riant le comte.

      – Surtout votre frère Louis XIII, que Dieu garde. Que n'a-t-il donc un peu de votre sang dans les veines!

      – Nous ne sommes pas de la même mère, duchesse.

      – Et qui sait, peut-être pas du même père non plus.

      – Tenez, Marie! s'écria le comte de Moret, vous êtes adorable, et il faut que je vous embrasse!

      – Etes-vous fou? Embrasser un page sur l'escalier! Mais vous voulez donc vous perdre de réputation, surtout arrivant d'Italie?

      – Allons! décidément, dit le comte, je ne suis pas en veine ce soir. Et il laissa tomber la main de la duchesse.

      – Bon! dit-elle, la reine lui a envoyé à l'hôtellerie de la Barbe Peinte une de nos plus jolies femmes, et il se plaint!

      – Ma cousine Marina?

      – Eh! oui, votre cousine Marina.

      – Ah! ventre-saint-gris! vous devriez bien me dire quelle est cette enchanteresse.

      – Comment! vous ne la connaissez pas?

      – Non.

      – Vous ne connaissez pas Fargis?

      – Fargis, la femme de notre ambassadeur en Espagne?

      – Justement! On l'a placée près de la reine après la fameuse scène des jardins d'Amiens dont je vous parlais tout à l'heure et qui nous a fait exiler toutes.

      – Eh bien! à la bonne heure, dit le comte de Moret en éclatant de rire, voilà une reine bien gardée, avec la duchesse de Chevreuse à la tête de son lit et Mme de Fargis au pied! Ah! mon pauvre frère Louis XIII!.. Avouez, duchesse, qu'il n'a pas de chance.

      – Mais savez-vous, monseigneur, que vous êtes impertinent à ravir, et qu'il est bien heureux que nous soyons arrivés?

      – Nous sommes donc arrivés?

      La duchesse tira une clef de sa poche et ouvrit la porte d'un corridor obscur.

      – Voilà votre chemin, monseigneur, dit-elle.

      – Je présume que vous n'avez pas la prétention de me faire entrer là-dedans?

      – Au contraire, vous allez y entrer, et tout seul même.

      – Bon! l'on a juré ma mort. Je vais trouver quelque trappe ouverte sous mes pieds et bonsoir à Antoine de Bourbon! Au fait, je n'y perdrai pas grand'chose, les femmes me traitent si mal.

      – Ingrat! Si vous connaissiez celle qui vous attend à l'autre bout de ce corridor…

      – Comment! s'écria le comte de Moret, au bout de ce corridor, je suis attendu par une femme?

      – Ce sera la troisième de la soirée, et vous vous plaignez, bel Amadis?

      – Non, je ne me plains pas. Au revoir, duchesse!

      – Prenez garde à la trappe.

      La duchesse referma la porte sur le comte, qui se trouva dans la plus complète obscurité.

      Le comte hésita un instant. Il ignorait complétement où il était. Il eut d'abord l'idée de revenir sur ses pas, mais le bruit de la clef tournant dans la serrure et fermant la porte à double tour l'arrêta.

      Enfin, après quelques secondes d'hésitation, décidé à pousser l'aventure jusqu'au bout:

      – Ventre-saint-gris! se dit-il, la belle duchesse a dit que j'étais le fils légitime de Henri IV, ne la faisons pas mentir.

      Et il s'avança vers l'extrémité du corridor opposée à celle par laquelle il était entré, retenant son haleine, marchant à tâtons et les bras en avant.

      A peine eut-il fait vingt pas dans l'obscurité la plus profonde, avec cette hésitation que l'homme le plus brave éprouve dans les ténèbres, qu'il entendit un frôlement de robe et une respiration qui semblaient venir à lui.

      Il s'arrêta. Le frôlement et la respiration s'arrêtèrent.

      Il cherchait comment il adresserait la parole à ce bruit charmant, lorsqu'une voix douce et tremblante demanda:

      – Est-ce vous, monseigneur?

      La voix était à deux pas à peine.

      – Oui, répondit le comte.

      Le

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