Скачать книгу

ajouta le cardinal, vous me ferez signer demain une gratification de vingt pistoles.

      – Monseigneur n'a pas d'autres ordres à me donner?

      – Non, rentrez dans votre cabinet, faites la clef du chiffre et me la tenez prête pour le moment où je vous appellerai.

      Rossignol se retira à reculons et en saluant jusqu'à terre.

      Au moment où la porte se refermait sur lui, le bruit d'une espèce de grelot chevrotta, à peine perceptible, dans le tiroir même du bureau du cardinal.

      Il ouvrit le tiroir et trouva le grelot frémissant encore. Aussitôt, en manière de réponse, il appuya le bout du doigt sur un petit bouton, qui correspondait sans doute à l'appartement de Mme de Combalet, car une minute après elle entrait chez son oncle par une porte opposée à celles qui, jusque-là, s'étaient ouvertes.

      Un grand changement s'était fait dans son costume; elle avait enlevé son voile et son bandeau, son scapulaire et sa guimpe, de sorte qu'elle n'avait plus que sa tunique d'étamine serrée à la taille par une ceinture de cuir; ses beaux cheveux châtains, délivrés de leur prison, tombaient en boucles soyeuses jusque sur ses épaules, et sa tunique, un peu plus décolletée que l'ordre ne l'eût permis si elle eût été une vraie carmélite au lieu d'en porter seulement l'habit à la suite d'un vœu, laissait voir la forme d'un sein dont un bouquet de violettes et de boutons de rose, bouquet que nous avons déjà remarqué, mais sur sa guimpe, chez Mme de Rambouillet, en indiquait tout à la fois la naissance et la séparation.

      Cette tunique brune, posée sans intermédiaire sur la peau, faisait ressortir la blancheur satinée de son col élégant et de ses belles mains, et comme sa taille n'était point emprisonnée dans les corsets de fer que l'on portait à cette époque, elle ondulait gracieuse, sous ces plis élégants que fait la laine, c'est-à-dire l'étoffe qui drape le mieux.

      A la vue de cette adorable créature, tout enveloppée d'un parfum mystique, qui, atteignant à peine vingt-cinq ans, était dans toute la fleur de sa beauté, et que la simplicité de son costume rendait plus belle et plus gracieuse encore, s'il était possible, le visage froncé du cardinal se détendit, un rayon illumina cette physionomie sombre, un soupir d'allégement souleva sa poitrine, et il étendit vers elle ses deux bras en disant:

      – Oh! venez, venez, Marie!

      La jeune femme n'avait pas besoin de cet encouragement, car elle venait à lui avec un charmant sourire, détachant son bouquet de son corsage, le portant à ses lèvres, et le présentant à son oncle.

      – Merci, mon bel enfant chéri, dit le cardinal, qui, sous prétexte de respirer le bouquet, le porta à son tour à ses lèvres; merci, ma fille bien aimée!

      Puis, l'attirant à lui, et l'embrassant au front, comme un père eût fait à sa fille:

      – Oui, j'aime les fleurs, elles sont fraîches comme vous, parfumées comme vous.

      – Vous êtes cent fois bon, cher oncle! Vous m'avez fait dire que vous désiriez me voir, serais-je assez heureuse pour que vous eussiez besoin de moi?

      – J'ai toujours besoin de vous, ma belle Marie, dit le cardinal, en regardant sa nièce avec ravissement; mais votre présence m'est ce soir plus nécessaire que jamais.

      – Oh! mon bon oncle, dit Mme de Combalet, en essayant de baiser les mains du cardinal, chose à laquelle il s'opposa, en portant au contraire les mains de sa nièce à ses lèvres, et en les baisant malgré une résistance qui venait bien plutôt du respect profond que la jeune veuve avait pour son oncle que d'une autre cause, je vois qu'ils vous ont encore tourmenté ce soir. Vous devriez y être accoutumé cependant, ajouta-t-elle avec un triste sourire. Mais que vous importe, tout ne vous réussit-il pas!

      – Oui, dit le cardinal, je le sais, il est impossible d'être à la fois plus haut et plus bas, plus heureux et plus malheureux, plus puissant et plus impuissant que je ne le suis. Mais vous le savez mieux que personne, vous Marie, à quoi tiennent mes prospérités politiques et mon bonheur privé. Vous m'aimez de tout votre cœur, vous, n'est-ce pas?

      – De tout mon cœur, de toute mon âme!

      – Eh bien! après la mort de Chalais, vous vous le rappelez, je venais là de remporter une grande victoire; je tenais abattus à mes pieds, Monsieur, la reine, les deux Vendôme, le comte de Soissons. Eh bien! qu'ont-ils fait, ceux à qui j'ai pardonné? Ils ne m'ont point pardonné, à moi; ils m'ont mordu à l'endroit le plus sensible, au cœur de mon cœur. Ils savaient que je n'aime au monde que vous, que, par conséquent, votre présence m'est aussi nécessaire que l'air que je respire, que le soleil qui m'éclaire; eh bien! ils vous ont fait scrupule de vivre avec ce damné prêtre, avec cet homme de sang! Vivre avec moi! Oui, vous vivez avec moi, et, je dirai plus, je vis par vous. Eh bien! cette vie si dévouée de votre part, si pure de la mienne, qu'une mauvaise pensée, même en vous voyant si belle, même en vous tenant entre mes bras, comme je vous tiens en ce moment, ne m'a jamais traversé l'esprit, cette vie dont vous devez être fière comme d'un sacrifice, ils vous en ont fait une honte; vous eûtes peur, vous renouvelâtes votre vœu, vous voulûtes entrer au couvent. Il me fallut solliciter du pape, à qui je faisais la guerre, un bref pour vous interdire cette retraite. Comment voulez-vous que je ne tremble pas? S'ils me tuent, ce n'est rien; au siége de La Rochelle, j'ai vingt fois risqué ma vie; mais s'ils me renversent, s'ils m'exilent, s'ils m'emprisonnent, comment vivrai-je loin de vous, hors de vous?

      – Mon oncle bien-aimé, répondit la belle dévote en fixant sur le cardinal un regard où l'on pouvait lire plus que la tendresse d'une nièce pour son oncle, et même peut-être plus que l'amour d'une fille pour son père, vous aviez cependant à cette époque été aussi bon qu'il vous était possible de l'être; mais je ne vous connaissais pas, mais je ne vous aimais pas comme je vous connais et vous aime aujourd'hui. J'ai fait un vœu, le pape m'en a relevée, aujourd'hui mon vœu n'existe donc plus. Eh bien, à cette heure je fais un serment dont vous-même n'aurez pas le pouvoir de me relever; je fais le serment, partout où vous serez, d'être; partout où vous irez, de vous suivre: palais, exil, prison, c'est tout un pour moi; le cœur ne vit pas où il bat, mais où il aime; eh bien, mon bon oncle, mon cœur est en vous, car je vous aime et n'aimerai jamais que vous.

      – Oui, mais quand ils seront vainqueurs à leur tour, vous laisseront-ils vous dévouer à moi, puisqu'ils ont failli vous en empêcher, étant vaincus? Tenez, Marie, ce que je crains plus que ma chute, plus que mon pouvoir détruit, plus que mon ambition désabusée, c'est d'être séparé de vous. Oh! si je n'avais à lutter que contre l'Espagne, que contre l'Autriche, que contre la Savoie, cela ne serait rien; mais avoir à lutter contre ceux-là même qui m'entourent, que je fais riches, heureux, puissants! Ne pas oser, quand je lève le pied, le reposer de peur de fouler quelque vipère ou d'écraser quelque scorpion, voilà ce qui m'épuise! Spinola, Walstein, Olivarès, que m'importe la lutte avec eux? Je les terrasserai. Ce ne sont pas mes vrais ennemis, mes vrais rivaux, eux! Mon vrai rival, c'est un Vauthier; mon véritable ennemi, c'est un Bérulle, un être inconnu qui intrigue dans une alcôve, ou qui rampe dans une antichambre, et dont j'ignore non-seulement le nom, mais même l'existence. Ah! je fais des tragédies. – Hélas! je n'en sais pas de plus sombre que celle que je joue! Ainsi, tout en luttant contre la flotte anglaise, tout en éventrant les murailles de La Rochelle, à force de génie, je puis le dire, quoique je parle de moi, je parviens, en dehors de mon armée, à lever 12,000 hommes en France; je les donne au duc de Nevers, héritier légitime de Mantoue et du Montferrat, pour aller conquérir son héritage. – Certes, c'était plus qu'il n'en fallait, si je n'avais eu à combattre que Philippe III, que Charles-Emmanuel, que Ferdinand II, c'est-à-dire que l'Espagne, l'Autriche et le Piémont! Mais l'astrologue Vauthier a vu dans les étoiles que l'armée ne passerait pas les monts, mais le pieux Bérulle a craint que le succès de Nevers ne rompît le bon accord qui existe entre Sa Majesté très chrétienne et lui. Ils font écrire par la reine-mère à Créquy, à Créquy que j'ai fait pair, maréchal de France, gouverneur du Dauphiné, et Créquy, qui attend ma chute pour devenir connétable, au détriment de Montmorency, refuse des vivres dont il regorge. La faim se met dans l'armée; à la suite de la faim, la désertion; à la suite de la désertion, le Savoyard! Mais ces rochers qui, en

Скачать книгу