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Le comte de Moret. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le comte de Moret
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Hélas, monseigneur, dit Souscarrières fort ébranlé, je le sais, et je déclare hautement que je ne dois la vie qu'à votre magnanimité.
– Et à votre intelligence, mon cher monsieur Michel.
– Ah! monseigneur, s'il m'était permis de mettre cette intelligence à la disposition de Votre Eminence, s'écria Souscarrières, en se jetant aux pieds du cardinal, je serais le plus heureux des hommes.
– Je ne dis pas non, Dieu m'en garde! car j'ai besoin d'hommes comme vous.
– Oui, monseigneur, d'hommes dévoués, j'ose le dire.
– Que je pourrai faire pendre le jour où ils ne le seront plus.
Souscarrières tressaillit.
– Oh! ce n'est jamais, dit-il, à moi qu'un pareil malheur arrivera, d'oublier ce que je dois à Votre Eminence.
– Cela vous regarde, mon cher M. Michel; vous tenez votre fortune entre vos mains, mais n'oubliez pas que moi je tiens le bout de la corde dans les miennes.
– Si seulement Son Excellence daignait me dire à quoi il lui conviendrait que j'appliquasse l'intelligence qu'elle veut bien me reconnaître.
– Oh! quant à cela, volontiers.
– J'écoute de toutes mes oreilles.
– Eh bien, supposons que je vous accorde le brevet de votre importation d'Angleterre.
– Le brevet des chaises à porteurs! s'écria Souscarrières, qui voyait se dessiner sous une forme palpable cette fortune que le cardinal venait de lui dire être entre ses mains, mais que jusque-là il n'avait entrevue qu'en rêve…
– De la moitié, dit le cardinal, de la moitié seulement; je réserve l'autre moitié pour un don que je veux faire.
– Encore une intelligence que Monseigneur veut récompenser, hasarda Souscarrières.
– Non, un dévouement, c'est plus rare.
– Monseigneur en est bien le maître; en me donnant un brevet pour la moitié, il me comblera.
– Soit! vous avez donc moitié des chaises à porteurs de Paris, mettons deux cents, par exemple.
– Mettons deux cents, oui, monseigneur.
– Cela fait quatre cents porteurs de chaises; eh bien, monsieur Michel, supposons ces quatre cents porteurs intelligents, remarquant où ils conduisent leurs pratiques, écoutant ce qu'elles disent, et tenant exactement note de leurs paroles et de leurs allées et venues; supposons encore à la tête de cette administration un homme intelligent qui me rende compte à moi, mais à moi seul, de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, de ce qu'on lui rapporte; enfin, supposons toujours que cet homme n'ait que douze mille livres de rente, il s'en fera facilement vingt quatre, et qu'au lieu de s'appeler messire Pierre de Bellegarde, marquis de Montbrun et seigneur de Souscarrières… je lui dirai: Mon cher ami, prenez autant de noms que vous en voudrez; plus vous en prendrez de nouveaux, meilleur sera; et quant aux noms que vous vous êtes appropriés déjà, défendez-les contre ceux qui les réclameront, s'ils sont réclamés; mais ce n'est pas moi, soyez bien tranquille, qui vous chercherai le moindrement querelle pour cela.
– Et c'est sérieux ce que dit là monseigneur?
– Très-sérieux! mon cher monsieur Michel; le brevet de la moitié des chaises à porteurs en circulation dans Paris vous est accordé, et demain votre associée, qui aura déjà signé pour sa part le cahier des charges, ira vous le porter, pour que vous le signiez à votre tour: cela vous convient-il?
– Et le cahier des charges portera-t-il les obligations qui me sont imposées? demanda en hésitant Souscarrières.
– Aucunement, cher monsieur Michel; vous comprenez que la chose reste entre nous; il est même de la plus haute importance qu'elle ne soit pas ébruitée. Peste! si l'on vous savait à moi, tout serait manqué; il n'y aurait même point de mal à ce que l'on vous crût à Monsieur ou à la reine; pour cela il vous suffira de dire que je suis un tyran, que je persécute la reine, que vous ne comprenez pas que le roi Louis XIII vive sous un joug aussi dur qu'est le mien.
– Mais je ne pourrai jamais dire de pareilles choses! s'écria Souscarrières.
– Bon! en vous forçant un peu, vous verrez que cela viendra. Ainsi, c'est convenu, vos chaises vont devenir à la mode: elles feront de l'opposition; vous allez avoir toute la cour; on n'ira plus nulle part qu'en chaise, surtout si les vôtres sont à deux places et ont des rideaux bien épais.
– Monseigneur n'a pas de recommandation particulière à me faire?
– Oh! si fait! je vous recommande particulièrement les dames: Mme la princesse, d'abord; Mme Marie de Gonzague, Mme de Chevreuse, Mme de Fargis; puis les hommes: le comte de Moret, M. de Montmorency, M. de Chevreuse, le comte de Cramail. Je ne vous parle pas du marquis de Pisani; grâce à vous, il en a pour quelques jours à ne pas m'inquiéter.
– Monseigneur peut être tranquille; et quand commencerai-je mon exploitation?
– Le plus vite possible; dans huit jours cela peut être en train, à moins, toutefois, que les fonds ne vous manquent.
– Non, monseigneur; d'ailleurs, pour une pareille affaire, me manqueraient-ils personnellement, j'en trouverais.
– Dans ce cas-là, il ne faudrait pas même chercher, mais vous adresser directement à moi.
– A vous, monseigneur?
– Oui, n'ai-je pas un intérêt dans l'affaire? Mais, pardon, voici Cavois qui, à ce qu'il paraît, a quelque chose à me dire; c'est lui qui ira vous faire signer demain le petit papier en question, et, comme il en connaîtra toutes les conditions, même celles qui restent entre nous, c'est lui qui irait vous les rappeler en cas d'oubli; mais je crois être sûr que vous ne les oublierez pas. Entre Cavois, entre, tu vois monsieur, n'est-ce pas?
– Oui, monseigneur, répondit Cavois, qui avait obéi à l'ordre du cardinal.
– Eh bien, il est de mes amis; seulement il est de ceux qui viennent me voir de dix heures du soir à deux heures du matin; pour moi, mais pour moi seul, il s'appelle M. Michel; mais pour tout le monde c'est messire Pierre de Bellegarde, marquis de Montbrun, seigneur de Souscarrières. – Au revoir, monsieur Michel.
Souscarrières salua jusqu'à terre et sortit, ne pouvant croire à sa bonne fortune et se demandant si le cardinal lui avait parlé sérieusement ou n'avait voulu que se moquer de lui.
Mais, comme on savait le cardinal fort occupé, il finit par comprendre que le cardinal n'avait pas le temps de se moquer de lui, et, selon toute probabilité, il avait parlé sérieusement.
Quant au cardinal, comme il avait la conviction qu'il venait de recruter ses forces d'un puissant allié, sa bonne humeur lui était revenue, et ce fut de sa voix la plus aimable qu'il cria:
– Madame Cavois! eh! madame Cavois, venez donc.
CHAPITRE XIV.
OU LE CARDINAL COMMENCE A VOIR CLAIR SUR SON ÉCHIQUIER
A peine cet appel était-il fait, que le cardinal vit entrer une petite femme de 25 à 26 ans, leste, pimpante, le nez en l'air, et qui ne paraissait nullement intimidée de se trouver en sa présence.
– Vous m'avez appelée, monseigneur, dit-elle, prenant la parole et avec un accent languedocien des plus prononcés, me voilà.
– Bon! et Cavois qui disait que peut-être vous ne voudriez pas venir.
– Moi, ne pas venir quand vous me faisiez l'honneur de m'appeler! Je n'avais garde! Votre Eminence