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Le comte de Moret. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le comte de Moret
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Pour l'un ou pour l'autre, Mme Cavois, dit le cardinal, faisant signe à son capitaine des gardes de ne pas intervenir dans la conversation.
– Ah! vous n'avez pas besoin de lui imposer silence, monseigneur, il suffira que je lui dise de se taire et il se taira. Est-ce que par hasard il voudrait faire croire qu'il est le maître?
– Monseigneur, excusez-la, dit Cavois, elle n'est point de la cour, et…
– Que monseigneur m'excuse! Ah! tu me la bâilles bonne, Cavois, c'est monseigneur qui a besoin d'être excusé.
– Comment! dit le cardinal en riant, c'est moi qui ai besoin d'être excusé?
– Certainement! Est-ce que c'est d'un chrétien de tenir des gens qui s'aiment, éternellement séparés l'un de l'autre, comme vous le faites?
– Ah ça, mais vous l'adorez donc votre mari?
– Comment ne l'adorerais-je pas, vous savez comment je l'ai connu, monseigneur?
– Non, mais dites-moi cela, madame Cavois, cela m'intéresse énormément.
– Mireille! Mireille! fit Cavois, essayant de rappeler sa femme à l'ordre.
– Cavois! Cavois! fit le cardinal, imitant l'accent de son capitaine des gardes.
– Eh bien, vous savez, moi, je suis la fille d'un gentilhomme de qualité du Languedoc, tandis que Cavois est fils d'un gentillâtre de Picardie.
Cavois fit un mouvement.
– Cela ne veut pas dire que je te méprise, Louis; mon père s'appelait de Serignan. Il a été maréchal de camp en Catalogne, ni plus ni moins. J'étais veuve d'un nommé Lacroix, toute jeune, sans enfants, et jolie; je puis m'en vanter.
– Vous l'êtes toujours, madame Cavois, dit le cardinal.
– Ah bien oui, jolie! J'avais seize ans, j'en ai vingt-six aujourd'hui, et huit enfants, monseigneur.
– Comment, huit enfants! Tu as fait huit enfants à ta femme, malheureux, et tu viens te plaindre que je t'empêche de coucher avec elle!
– Comment! tu t'en es plaint, mon petit Cavois! s'écria Mireille. O amour que tu es, laisse-moi t'embrasser.
Et, sans s'inquiéter de la présence du cardinal, elle sauta au cou de son mari et l'embrassa.
– Madame Cavois! madame Cavois! s'écria le capitaine des gardes tout tremblant, tandis que le cardinal, complétement ramené à la bonne humeur, se pâmait de rire.
– Je reprends, monseigneur, dit Mme Cavois, lorsqu'elle eut embrassé son mari tout à son aise. Il était dans ce temps-là à M. de Montmorency, il n'y avait donc rien d'étonnant que, quoique Picard, il vînt en Languedoc. Là il me voit et tombe amoureux de moi; mais comme il n'était pas très riche et que j'avais un peu de bien, voilà mon imbécile qui n'ose pas se déclarer. Sur ces entrefaites, il ramassa une mauvaise querelle, et, comme il devait se battre le lendemain, il s'en va chez un notaire, fait un testament en ma faveur et me donne, quoi? Tout ce qu'il a, ni plus ni moins, à moi, qui ne savais pas même qu'il m'aimât. Tout-à-coup, je vois arriver chez moi la femme du notaire, qui était mon amie; elle me dit: «Vous ne savez pas, si M. de Cavois meurt, vous héritez!»
– Cavois! je ne le connais pas. – Oh! reprit la femme du notaire, un beau garçon! – Il était beau garçon dans ce temps-là, monseigneur; depuis il est un peu déformé, mais n'importe, je ne l'en aime pas moins, n'est-ce pas, Cavois?
– Monseigneur, dit Cavois, d'un ton suppliant, vous l'excusez, n'est-ce pas?
– Dites donc, madame Cavois, fit Richelieu, si nous mettions ce pleurard à la porte?
– Oh! non, monseigneur, je ne le vois pas assez pour cela. Voilà donc qu'elle me conte qu'il m'aime comme un fou, qu'il se bat en duel le lendemain et que, s'il est tué, il me laisse tout son avoir. Ça me touche, vous comprenez. Je raconte ça à mon père, à mes frères, à tous mes amis, je les fais monter à cheval dès le matin et battre la campagne pour empêcher Cavois et son adversaire de se rencontrer. Bon! ils arrivent trop tard. Monsieur que vous voyez là a la main leste, il avait déjà donné deux coups d'épée à son adversaire; lui, rien. On me le ramène sain et sauf; je lui saute au cou. Si vous m'aimez, lui dis-je, il faut m'épouser. C'est mauvais de rester sur son appétit, et il m'épousa.
– Et il ne resta point sur son appétit, à ce qu'il paraît, dit le cardinal.
– Non parce que, voyez-vous, monseigneur, il n'y a pas d'homme plus heureux que ce coquin-là. C'est moi qui ai tout le soin des affaires, il n'a lui que son service près de Votre Eminence, une charge de paresseux; quand il revient au logis, par malheur c'est rare, je le caresse: mon petit Cavois par-ci, mon petit mari par-là! je me fais la plus jolie que je puis pour lui plaire; il n'entend parler de rien de fâcheux, pas de criailleries, pas de plaintes enfin; c'est comme si le sacrement n'y avait point passé.
– Ce que je vois dans tout cela, c'est que vous aimez mieux maître Cavois que le reste du monde.
– Oh! oui, monseigneur.
– Mieux que le roi?
– Je souhaite toutes sortes de prospérités au roi; mais si le roi mourrait que je n'en mourrais pas; tandis que si mon pauvre Cavois mourrait, tout ce que je pourrais désirer de mieux, c'est qu'il m'emmenât avec lui.
– Mieux que la reine?
– Je respecte Sa Majesté; seulement je trouve que, pour une reine de France, elle ne fait pas assez d'enfants; s'il lui arrivait un malheur, elle nous laisserait dans l'embarras; de cela je lui en veux.
– Mieux que moi?
– Je crois bien, mieux que vous, monseigneur; vous ne me faites que de la peine, tantôt en étant malade, tantôt en m'éloignant de lui, tantôt en l'emmenant à la guerre, comme vous venez de faire pendant près d'un an à La Rochelle, tandis que lui ne me fait que du plaisir.
– Mais enfin, dit Richelieu, si le roi mourait, si la reine mourait, si je mourais, si tout le monde mourait, que feriez-vous tous deux, tous seuls.
Mme de Cavois se mit à rire en regardant son mari:
– Eh bien, dit-elle, nous ferions…
– Oui, que feriez-vous?
– Nous ferions ce qu'Adam et Eve faisaient, monseigneur, quand ils étaient seuls aussi.
Le cardinal se mit à rire avec eux.
– Donc, dit-il, il y a huit enfants dans la maison?
– Excusez, monseigneur, il n'y en a plus que six; il a plu au Seigneur de nous en prendre deux.
– Oh! il vous les rendra, j'en suis sûr.
– Je l'espère bien, n'est-ce pas, Cavois?
– Eh bien, il faut pourvoir à l'existence de ces pauvres petits.
– Grâce à Dieu, monseigneur, ils ne pâtissent pas.
– Oui, mais si je venais à mourir, ils pâtiraient.
– Le ciel nous garde d'un pareil malheur, s'écrièrent les deux époux.
– J'espère qu'il vous en gardera, et moi aussi; en attendant, il faut tout prévoir; madame Cavois, je vous donne, à vous, par moitié, avec M. Michel, dit Pierre de Bellegarde, dit marquis de Montbrun, dit le seigneur de Souscarrières, le brevet des chaises à porteurs dans Paris.
– Oh! monseigneur.
– Sur ce, Cavois, continua Richelieu, emmenez votre femme et qu'elle soit contente de vous; ou sinon je vous mets aux arrêts pendant huit jours dans sa chambre à coucher.
– Oh! monseigneur, s'écrièrent les deux époux en se jetant à ses pieds et en lui baisant les mains.
Le cardinal étendit les deux mains sur eux.
– Que