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taille frêle; son bras de jeune fille, maigre et délicat, retombait sans force, et comme noyé dans les plis de sa jupe rose; l’autre bras agitait nerveusement un éventail devant son visage brûlant. Mais, quoiqu’elle eût l’air d’un joli papillon retenu dans les herbes et prêt à déployer ses ailes frémissantes, un affreux désespoir lui brisait le cœur.

      «Je me trompe peut-être, tout cela n’existe pas!» Et elle se rappelait ce qu’elle avait vu.

      «Kitty, que se passe-t-il?» dit la comtesse Nordstone, qui s’était approchée d’elle sans qu’elle entendit ses pas sur le tapis.

      Les lèvres de Kitty tressaillirent, elle se leva vivement.

      «Kitty, tu ne danses pas le cotillon?

      — Non, non, répondit-elle d’une voix tremblante.

      — Il l’a invitée devant moi, dit la Nordstone, sachant bien que Kitty comprenait de qui il s’agissait. Elle lui a répondu: «Vous ne dansez donc pas avec la princesse Cherbatzky?»

      — Tout cela m’est égal!» répondit Kitty.

      Elle était seule à savoir que, la veille, un homme qu’elle aimait peut-être avait été sacrifié par elle à cet ingrat.

      La comtesse alla chercher Korsunsky, avec lequel elle devait danser le cotillon, et l’engagea à inviter Kitty.

      Par bonheur pour Kitty, elle ne fut pas obligée de causer, son cavalier, en sa qualité de directeur, passant son temps à courir de l’un à l’autre et à organiser des figures; Wronsky et Anna dansaient presque vis-à-vis d’elle; Kitty les voyait tantôt de loin, tantôt de près, quand leur tour de danser revenait, et plus elle les regardait, plus elle sentait son malheur consommé. Ils étaient seuls, malgré la foule, et sur le visage de Wronsky, d’habitude si impassible, Kitty remarqua cette expression frappante d’humilité et de crainte qui fait penser à un chien intelligent quand il se sent coupable.

      Anna souriait, il répondait à son sourire; semblait-elle réfléchir, il devenait sérieux. Une force presque surnaturelle attirait les regards de Kitty sur Anna. Elle était séduisante avec sa robe noire, ses beaux bras couverts de bracelets, son cou élégant entouré de perles, ses cheveux noirs frisés et un peu en désordre. Les mouvements légers et gracieux de ses petits pieds, son beau visage animé, tout en elle était attrayant; mais ce charme avait quelque chose de terrible et de cruel.

      Kitty l’admirait plus encore qu’auparavant, tout en sentant croître sa souffrance; elle était écrasée et son visage le disait: Wronsky, en passant près d’elle dans une figure, ne la reconnut pas immédiatement, tant ses traits étaient altérés.

      «Quel beau bal! Dit-il pour dire quelque chose.

      — Oui,» répondit-elle.

      Vers le milieu du cotillon, dans une manœuvre récemment inventée par Korsunsky, Anna, sortant du cercle, eut à appeler «deux cavaliers et deux dames»: l’une d’elles fut Kitty, qui s’approcha toute troublée. Anna, fermant à demi les yeux, la regarda et lui serra la main avec un sourire, mais, remarquant aussitôt l’expression de surprise désolée avec laquelle Kitty y répondit, elle se tourna vers l’autre danseuse et lui parla d’un ton animé.

      «Oui, il y a en elle une séduction étrange, presque infernale,» pensa Kitty.

      Anna ne voulait pas rester au souper, et le maître de la maison insistait.

      «Restez donc, Anna Arcadievna, lui dit Korsunsky en lui prenant le bras. Quelle invention que mon cotillon! N’est-ce pas un bijou?»

      Et il essaya de l’entraîner, le maître de la maison l’y encourageant d’un sourire.

      «Non, je ne puis rester, – répondit Anna en souriant aussi; mais, malgré ce sourire, les deux hommes comprirent au son déterminé de sa voix qu’elle ne resterait pas. – Non, car j’ai plus dansé en une fois, à votre bal de Moscou, que dans tout mon hiver à Pétersbourg; – et elle se tourna vers Wronsky qui se tenait près d’elle. – Il faut se reposer avant le voyage.

      — Et vous partez décidément demain? Demanda-t-il.

      — Oui, je pense,» répondit Anna, comme étonnée de la hardiesse de cette question. Pendant qu’elle lui parlait, l’éclat de son regard et de son sourire brûlait le cœur de Wronsky.

      Anna n’assista pas au souper et partit.

      XXIV

      «Il doit y avoir en moi quelque chose de répulsif, pensait Levine en sortant de chez les Cherbatzky pour rentrer chez son frère. Je ne plais pas aux autres hommes. On dit que c’est de l’orgueil: je n’ai pas d’orgueil. Me serais-je mis dans la situation où je suis, si j’en avais?» Et il se figurait Wronsky heureux, aimable, tranquille, plein d’esprit, ignorant jusqu’à la possibilité de se trouver dans une position semblable à la sienne. «Elle devait le choisir, c’est naturel, et je n’ai à me plaindre de rien ni de personne; il n’y a de coupable que moi; quel droit avais-je de supposer qu’elle consentirait à unir sa vie à la mienne? Qui suis-je? Que suis-je? Un homme inutile à lui-même et aux autres.»

      Et le souvenir de son frère Nicolas lui revint. «N’a-t-il pas raison de dire, lui, que tout est mauvais et détestable en ce monde? Avons-nous jamais été justes en jugeant Nicolas? Certainement, aux yeux de Prokoff qui l’a rencontré ivre et en pelisse déchirée, c’est un être méprisable; mais mon point de vue est différent. Je connais son cœur et je sais que nous nous ressemblons. Et moi qui, au lieu d’aller le chercher, ai été dîner et suis venu ici!»

      Levine s’approcha d’un réverbère pour déchiffrer l’adresse de son frère et appela un isvostchik. Pendant le trajet, qui fut long, Levine se rappela un à un les incidents de la vie de Nicolas. Il se souvint comment à l’Université, et un an après l’avoir quittée, son frère avait vécu comme un moine, sans tenir compte des plaisanteries de ses camarades, accomplissant rigoureusement toutes les prescriptions de la religion, offices, carêmes, fuyant tous les plaisirs et surtout les femmes: comment, plus tard, il s’était laissé entraîner et lié avec des gens de la pire espèce pour mener une vie de débauche. Il se rappela son histoire avec un petit garçon qu’il avait pris à la campagne pour l’élever, et qu’il battit de telle sorte, dans un accès de colère, qu’il faillit être condamné pour sévices et mutilation. Il se souvint de son histoire avec un escroc, auquel il avait donné une lettre de change pour payer une dette de jeu, et qu’il avait ensuite traduit en justice pour l’avoir trompé. C’était précisément la lettre de change que venait de payer Serge Ivanovitch. Il se souvint de la nuit que Nicolas passa au poste pour désordres nocturnes, du procès scandaleux entamé contre son frère Serge, lorsqu’il accusa celui-ci de ne pas vouloir lui payer sa part de la succession de leur mère, et enfin de sa dernière aventure, lorsque, ayant pris un emploi dans les gouvernements de l’ouest, il fut traduit en jugement pour coups portés à un supérieur. Tout cela était odieux, mais pour Levine l’impression était moins mauvaise que pour ceux qui ne connaissaient pas Nicolas, car il s’imaginait connaître le fond de ce cœur et sa véritable histoire.

      Levine n’oubliait pas qu’au temps où Nicolas avait cherché dans les pratiques de la dévotion un frein à ses mauvaises passions, personne ne l’avait approuvé ou soutenu; chacun, au contraire, lui le premier, l’avait tourné en ridicule; puis, lorsque était venue la chute, personne ne chercha à le relever: on le fuyait avec horreur et dégoût.

      Levine sentait que Nicolas, dans le fond de son âme, ne devait pas se trouver plus coupable que ceux qui le méprisaient. Était-il responsable de sa nature indomptable, de son intelligence bornée? N’avait-il pas cherché à rester dans la bonne voie? «Je lui parlerai à cœur ouvert et l’obligerai à en faire autant, et je lui prouverai que je le comprends parce que je l’aime.»

      Il se fit donc conduire à l’hôtel indiqué sur l’adresse, vers onze heures du soir.

      «En

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