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tout autre, léger, fripon, avide. Si tous les sujets sont voleurs, les juges sont à vendre. Si le noble et le serf sont corrompus, l’employé l’est au moins autant. L’empereur sait parfaitement qu’on le vend, qu’on le vole, que le plus sûr de ses fonctionnaires ne tiendrait pas contre une centaine de roubles.

      Ce pouvoir immense, terrible, qu’il transmet aux agents de ses volontés, que devient-il en route? A chaque degré, il y a corruption, vénalité, et, par suite, incertitude absolue dans les résultats.

      Si l’empereur était toujours trompé, si sa volonté restait toujours impuissante, il prendrait ses mesures et s’arrangerait là-dessus. Il n’en est pas ainsi. Le grand défaut de la machine, c’est qu’elle est incertaine, capricieuse dans son action. Parfois les volontés les plus absolues de l’autocrate n’aboutissent à rien. Parfois un mot qui lui échappe par hasard a des effets immenses, et les plus désastreux.

      Un exemple: Catherine, envoyant en Sibérie plusieurs Français pris en Pologne, avait très fortement recommandé (pour ménager l’opinion) qu’ils fussent bien traités. Elle le dit et le répéta, ordonna, menaça. Jamais elle ne fut obéie.

      Autre exemple contraire: Nicolas dit un jour à des paysans du Volga qu’il serait charmé que dans l’avenir tout paysan pût être libre. Ce mot tombe comme une étincelle; une révolte immense et le massacre des maîtres en résultent; il y faut une armée et des torrents de sang.

      Voilà comme tout flotte. L’empereur est parfois infiniment trop obéi, contre sa volonté; parfois il ne l’est pas du tout. Souvent il est trompé, volé, avec une audace incroyable. Par exemple, à sa barbe, à ses yeux, on vole, on vend en détail un vaisseau de ligne, et jusqu’à des canons de bronze. Il le voit, il le sait, il menace, il frappe parfois. Et les choses n’en vont pas moins leur train. Chaque jour lui montre durement, et comme avec dérision, que cette autorité énorme est illusoire, cette puissance impuissante. Chaque jour, plus indigné, il se débat, s’agite, fait quelque essai nouveau et encore impuissant... Contraste humiliant! Un Dieu sur terre, trompé, volé, moqué si outrageusement! Rien de plus propre à rendre fou!

      Résumons. Le Russe est mensonge. Il l’est dans la commune, fausse commune. Il l’est dans le seigneur, dans le prêtre et le tzar. Crescendo de mensonges, de faux semblants, d’illusions!

      Qu’est-ce donc que ce peuple? Humanité? Nature, élément qui commence et non organisé? Est-ce du sable et de la poussière, comme celle qui, trois mois durant, volatilise et soulève à la fois tout le sol russe? Est-ce de l’eau, comme celle qui, le reste du temps, eau, glace ou boue, fait un vaste marécage de la triste contrée?

      Non. Le sable, en comparaison, est solide, et l’eau n’est pas trompeuse.

       POLITIQUE MENSONGÈRE DE LA RUSSIE.—COMMENT ELLE A DISSOUS LA POLOGNE

       Table des matières

      La Russie, en sa nature, en sa vie propre, étant le mensonge même, sa politique extérieure et son arme contre l’Europe sont nécessairement le mensonge.

      Seulement, il y a ici une remarquable différence: autant la Russie, comme race, est mobile, fluide, incertaine, autant, comme politique et diplomatie, elle est fixe, persévérante. Ce gouvernement, étranger en grande partie, souvent tout allemand, ou suivant la tradition du machiavélisme allemand, avec un mélange de ruse grecque et byzantine, varie peu, se recrute d’un personnel à peu près identique. Ministres, diplomates, observateurs, espions de divers rangs et des deux sexes, le tout forme un même corps, une sorte de jésuitisme politique.

      Deux puissances ont seules connu la mécanique du mensonge, et l’ont pratiquée en grand: les Jésuites proprement dits, et ce jésuitisme russe.

      Le temps moderne, supérieur en toute chose, armé d’une foule de moyens et d’arts nouveaux inconnus à l’Antiquité, offre ici deux œuvres incomparables de mensonges systématiques, deux iliades de fraudes, telles qu’aucun âge antérieur n’eût pu même les concevoir.—La première, accomplie par les Jésuites vers le temps d’Henri IV, fut leur patient travail d’éducation pour refaire un monde de fanatisme et de meurtre, et recommencer en grand la Saint-Barthélemy sous le nom de Guerre de Trente-Ans. L’autre travail, plus moderne, qui dure depuis bien près d’un siècle, c’est la persévérante intrigue par laquelle le jésuitisme russe (j’appelle ainsi cette ténébreuse diplomatie) parvint à dissoudre au dedans la Pologne, à l’envelopper au dehors comme d’un réseau de ténèbres, travaillant toute l’Europe contre, elle, acquérant par flatterie ou par argent les organes dominants de l’opinion, créant une opinion factice, une opinion apparente qui rendait les choses secrètes, enfin, peu à peu enhardie, mêlant aux moyens de ruse une fascination de terreur.

      Ce travail a été très long, et il faut beaucoup de temps pour l’étudier. Mais, vraiment, il en vaut la peine. Ceux qui auront la patience de le suivre dans Rulhières, Oginski, Chodsko, Lelewel et autres écrivains, assisteront à une cruelle, mais très curieuse expérience politique et physiologique, celle de voir comment l’animal à sang froid, fixant incessamment de son terne regard l’animal à sang chaud, comme un affreux boa sur un noble cheval, l’attacha, le lia de sa fascination, jusqu’à ce qu’il pût le sucer, affaibli, abattu.

      Cela commence doucement. C’est un regard d’intérêt d’abord, une attention de bon voisinage, l’inquiétude fraternelle que donnent à la Russie les dissensions de la Pologne.

      Et elle aime tant cette Pologne, qu’elle ne peut souffrir qu’aucun Polonais soit opprimé par les autres. Philosophe, enthousiaste de la tolérance, elle s’intéresse particulièrement aux dissidents; elle vient au secours de la liberté religieuse (qui n’est pas opprimée).

       C’est le premier moyen de dissolution, la première opération de la Russie sur la Pologne.

      Catherine, à ce moment même, venait de prendre les biens des monastères russes. Elle n’était pas sans inquiétude. Elle imagina de lancer la Russie dans une guerre religieuse, de faire croire aux paysans qu’il s’agissait de défendre leurs frères du rit grec persécutés en Pologne par les hommes du rit latin. La guerre prit un caractère de barbarie effroyable. Sous l’impulsion de cette femme athée, qui prêchait la croisade, on vit des populations, des villages entiers torturés, brûlés vifs, au nom de la tolérance.

      Tout cela uniquement par amitié pour la Pologne, pour la protection des Polonais dissidents. Ce n’est pas tout, l’impératrice ne protège pas moins les Polonais fidèles à leurs anciennes lois barbares, à leur vieille anarchie.

       C’est le second moyen de dissolution.

      Admiratrice de l’antique constitution de la Pologne, elle ne souffrira pas que le pays se transforme ni que le gouvernement y prenne aucune force.

      Dans ce second travail, la Russie s’attache surtout à créer une Pologne contre la Pologne, comme un médecin perfide qui, se chargeant de guérir un malade malgré lui, saurait habilement, dans ce corps vivant, susciter d’autres corps vivants, y faire naître des vers...

      Il y eut là des scènes d’un comique exécrable. Ces Polonais, amis des Russes, donnèrent les plus étranges scènes de patriotisme. On en vit un à genoux dans la diète, au milieu de la salle, tenant près de lui son fils de six ans, et, le poignard à la main, criant qu’il allait le tuer si l’on changeait les vieilles lois, qu’il voulait rester libre ou tuer son enfant.

      Voilà la seconde opération de la Russie. La troisième, plus hardie, n’est plus seulement politique, mais sociale. Dès 1794, au temps de Kosciuszko, la Russie n’entre en Pologne que pour assurer le bien-être des innocents habitants des campagnes. Elle pousse le cri de Spartacus, l’appel aux guerres serviles; c’est le premier essai du système appliqué par l’Autriche en 1846, dans les massacres

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