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impressionné, je m'approche de cette terrible machine de guerre. Elle est au repos... elle dort... Ah! j'aime mieux ça... Le mécanicien, non plus, n'est pas là... quelle imprudence!... Sans doute, il boit, dans un bar voisin, de la bière qui n'est pas de la bière, à moins que ce soit du gin qui n'est même pas de l'eau-de-vie de pomme de terre... Enfin, il n'est pas là... J'ai alors la curiosité de soulever cet effarant capot... C'est comme si je tenais dans mes mains une bombe, garnie de sa mèche allumée. Le cœur me bat, me bat...

      D'abord, je ne vois rien, rien que le vide... Puis, à force de regarder, je finis par apercevoir une espèce de minuscule mécanisme, monocylindrique, de la grosseur d'une tasse à café chinoise, et dont la force ne doit pas excéder un cheval et demi...

      Le mécanicien revient. Il a un visage d'orgueil... il me regarde avec pitié. Puis il se met à tourner la manivelle... Je m'en vais...

      Une heure après, je repasse par cette rue, devant le petit hôtel. Le mécanicien tourne toujours, sans succès, la manivelle... Tête nue, le visage dégouttant de sueur, ses habits à terre, il tourne... tourne... tourne!...

      Après des révolutions, dans le genre des nôtres bien entendu, ils ont été chercher, pour l'installer dans cette capitale nulle, une dynastie de principicules allemands, mâtinés de quoi?... de d'Orléans.

      Les drôles de gens!

      Il n'est pas moins admirable qu'ils poursuivent l'effort paradoxal de se faire une nationalité autonome avec des résidus de tant de races si mal amalgamées, de même qu'ils s'acharnent à se faire une langue officielle avec un patois.

      Qu'on parle flamand en Flandre, wallon en Wallonnie, mais, je vous en prie, monsieur Picard, qu'ils continuent de parler, à Bruxelles, ce belge que vous parlez si bien!

      Car si toute la Belgique est merveilleusement flamande, Bruxelles n'est que belge, irréparablement belge. Nulle part ailleurs, on ne rencontre plus d'effigies en pierre, en marbre, en bronze, en saindoux, en pain d'épices, de ce lion qui n'est ni héraldique, ni zoologique, de ce lion qui n'est pas méchant, qui n'est pas un lion, pas même un caniche, qui ressemble si fort au lion des grands Magasins du Louvre, et à qui est réservé, sans doute, le destin léopoldien de devenir, un jour, l'enseigne des grands Magasins du Congo.

      «L'union fait la force», répète partout l'inscription bilingue. C'est l'union de toutes les imitations qui fait la force de leur comique.

      Cependant Bruxelles ne semble se douter de rien de tout cela, ni de cette drôlerie éparse, obsédante, ni de ce que fut le Bruxelles d'autrefois. Et cette espèce de toute petite grande ville a l'air encore assez satisfait de n'être que le Bruxelles d'aujourd'hui, et se trouve—c'est le plus comique—à son avantage.

      S'il est un Bruxelles charmant, et dont on puisse s'éprendre—après tout, pourquoi pas?—je suis bien sûr, au moins, que c'est un Bruxelles qu'on ne voit point. Le voyageur, qui passe quelque part, ne voit jamais que ce qui se voit. Les âmes cachées dans les villes, comme les fleurs qui se cachent dans les prairies, sont toujours les plus jolies. Ah! je voudrais bien voir ce qui se cache à Bruxelles...

      Cherchons toujours...

      Le Roi en est...

      Nous sommes descendus à l'hôtel Bellevue. On le répare. De la cave au grenier, on le remet à neuf. Les couloirs sont obstrués par des planches, des échelles, des tréteaux. De gros madriers soutiennent les plafonds qui croulent. On nage dans les plâtras, dans les gravats; on bute sur des pots de colle. Ça va être, paraît-il, une orgie de confort moderne. Du moins, l'annoncent en anglais, en allemand, en russe, en français, de petites notices, bien en vue dans les chambres.

      Les garçons vous disent avec des airs avisés, et pour vous donner confiance:

      —Le Roi en est.

      Parbleu! Le Roi est de tout, en Belgique; seulement, il n'est jamais en Belgique. D'ailleurs, dans quelques jours, lorsque je paierai ma note à la caisse, je m'apercevrai bien que le Roi en est... Il en est même trop.

      En attendant, on rencontre, dans l'hôtel, plus de peintres, de fumistes, de plombiers, de menuisiers, de tapissiers, que de voyageurs... À peine quatre ou cinq Américaines qui vont en Hollande, ou qui en reviennent, elles ne savent pas au juste; à peine trois pauvres Anglais, qui, demain matin, se rendront au champ de bataille de Waterloo.

      Le service est complètement désorganisé. On ne peut rien avoir, pas même d'eau. Ce matin, en guise de petit déjeuner, j'ai eu une conversation avec le garçon.

      —Monsieur va sans doute à Ostende?

      —Non, mon ami... Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je n'irai point à Ostende.

      —Monsieur a tort... monsieur devrait y aller... Il faut avoir vu cela... C'est curieux... Depuis l'abolition des jeux, nous avons au Casino d'Ostende, quatre tables de roulette et trente-deux de baccara... Elles travaillent nuit et jour, monsieur... Je ne parle pas des petits chevaux, pour les petites gens... Il y en a!... Il y en a!... Et les femmes... les femmes!... Ah!... monsieur sait sans doute que, maintenant, Ostende doit rester ouvert toute l'année?... Du moment que les jeux sont supprimés, il n'y a plus à se gêner, n'est-ce pas?

      Puis, discrètement:

      —Le Roi en est!

      Et comme je ne dis mot, le garçon explique:

      —Oh! il ne s'en cache pas... Il s'en moque, allez, de ce qu'on peut penser ou ne pas penser de lui... C'est un type... Et pourvu que la galette soit au bout!... Bras dessus, bras dessous, il se promène, sur la digue, avec Marquet, le directeur du Casino... En voilà un qui a de la veine! Il n'y a pas si longtemps, il était garçon... petit garçon... à la buvette de la gare de Namur... Bien des fois, il m'a servi une tasse de café, entre deux trains... Il n'était pas fier, alors... Et le voilà maintenant presque ministre... plus que ministre... associé du Roi...

      Je suis sorti.

      Devant l'hôtel, sur le parvis de l'hôtel, j'aperçois une jeune femme très jolie, infiniment gracieuse, qui joue avec ses deux petites filles. La jeune femme, très élégante, est tout en blanc, souple, mol et léger; les deux petites filles, en blanc aussi, jambes nues, avec d'immenses chapeaux de paille et de dentelles... Toutes les trois, elles jouent à se poursuivre, autour d'une caisse verte où fleurit un grand laurier rose. Très raide, très digne, tout en noir, la gouvernante est assise sur un banc, près de la porte, un paquet d'ombrelles et de manteaux sur les genoux, un livre, non ouvert, à la main. Elles attendent, sans doute, une voiture commandée qui ne vient pas plus que n'est venu mon déjeuner... Le portier, tout galonné d'or, inspecte la place et les rues d'un air inquiet.

      Je m'arrête à considérer cette jeune femme, qui est bien plus enfant que ses deux petites filles. Je n'ai jamais vu de si beaux cheveux blonds, blonds, comme, à certains jours, est blonde cette mer si merveilleusement blonde du Nord. Je n'ai jamais vu une nuque, mieux infléchie, d'une pulpe plus soyeuse. Les yeux bleus sont d'une candeur puérile, adorable. Ah! comme ils ignorent Nietzsche, et comme leur est indifférent ce Rembrandt, dont la Ronde de Nuit leur est inexplicable et ridicule, puisqu'on n'y voit pas des petites filles qui dansent, le soir, dans un jardin... Chaque mouvement du buste des bras, des jambes qui, souvent se devinent sous la batiste brodée de la robe, chaque balancement des hanches, chaque pli de la jupe est une élégance, une caresse, une invention de beauté, une fête émouvante de la vie. Bien qu'elle soit fine de lignes, d'apparence presque délicate, on la sent ronde et ferme avec une peau qui, certainement, irradie de la lumière, comme, au crépuscule, ces grands iris blancs de Florence...

      Tout à coup, elle pousse un petit cri d'oiseau, s'arrête de courir, se hausse sur la pointe de ses souliers mordorés, allonge divinement les bras, tend son buste élastique, et prend je ne sais quoi sur une branche du laurier.

      Les deux petites trépignent, tapent dans leurs mains.

      —Donne... donne... maman.

      Et je vois dans sa main, gantée de suède du même

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