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déguisée.

      D’où provenaient ces deux mille francs ? Qui les avait envoyés ? La justice s’informa. Mais quelle piste pouvait-on suivre parmi ces ténèbres ?

      Et le même fait se reproduisit douze mois après. Et une troisième fois ; et une quatrième fois ; et chaque année pendant six ans, avec cette différence que la cinquième et la sixième année, la somme doubla, ce qui permit à Henriette, tombée subitement malade, de se soigner comme il convenait.

      Autre différence : l’administration de la poste ayant saisi une des lettres sous prétexte qu’elle n’était point chargée, les deux dernières lettres furent envoyées selon le règlement, la première datée de Saint-Germain, l’autre de Suresnes. L’expéditeur signa d’abord Anquety, puis Péchard. Les adresses qu’il donna étaient fausses.

      Au bout de six ans, Henriette mourut. L’énigme demeura entière.

      Tous ces événements sont connus du public. L’affaire fut de celles qui passionnèrent l’opinion, et c’est un destin étrange que celui de ce collier, qui, après avoir bouleversé la France à la fin du XVIIIe siècle, souleva encore tant d’émotion cent vingt ans plus tard. Mais ce que je vais dire est ignoré de tous, sauf des principaux intéressés et de quelques personnes auxquelles le comte demanda le secret absolu. Comme il est probable qu’un jour ou l’autre elles manqueront à leur promesse, je n’ai, moi, aucun scrupule à déchirer le voile et l’on saura ainsi, en même temps que la clef de l’énigme, l’explication de la lettre publiée par les journaux d’avant-hier matin, lettre extraordinaire qui ajoutait encore, si c’est possible, un peu d’ombre et de mystère aux obscurités de ce drame.

      Il y a cinq jours de cela. Au nombre des invités qui déjeunaient chez M. de Dreux-Soubise, se trouvaient ses deux nièces et sa cousine, et, comme hommes, le président d’Essaville, le député Bochas, le chevalier Floriani que le comte avait connu en Sicile, et le général marquis de Rouzières, un vieux camarade de cercle.

      Après le repas, ces dames servirent le café et les messieurs eurent l’autorisation d’une cigarette, à condition de ne point déserter le salon. On causa. L’une des jeunes filles s’amusa à faire les cartes et à dire la bonne aventure. Puis on en vint à parler de crimes célèbres. Et c’est à ce propos que M. de Rouzières, qui ne manquait jamais l’occasion de taquiner le comte, rappela l’aventure du collier, sujet de conversation que M. de Dreux avait en horreur.

      Aussitôt chacun émit son avis. Chacun recommença l’instruction à sa manière. Et, bien entendu, toutes les hypothèses se contredisaient, toutes également inadmissibles.

      – Et vous, monsieur, demanda la comtesse au chevalier Floriani, quelle est votre opinion ?

      – Oh ! Moi, je n’ai pas d’opinion, madame.

      On se récria. Précisément, le chevalier venait de raconter très brillamment diverses aventures auxquelles il avait été mêlé avec son père, magistrat à Palerme, et où s’étaient affirmés son jugement et son goût pour ces questions.

      – J’avoue, dit-il, qu’il m’est arrivé de réussir alors que de plus habiles avaient renoncé. Mais de là à me considérer comme un Sherlock Holmes… Et puis, c’est à peine si je sais de quoi il s’agit.

      On se tourna vers le maître de la maison. À contrecœur, il dut résumer les faits. Le chevalier écouta, réfléchit, posa quelques interrogations, et murmura :

      – C’est drôle… à première vue il ne me semble pas que la chose soit si difficile à deviner.

      Le comte haussa les épaules. Mais les autres personnes s’empressèrent autour du chevalier, et il reprit d’un ton un peu dogmatique :

      – En général, pour remonter à l’auteur d’un crime ou d’un vol, il faut déterminer comment ce crime ou ce vol ont été commis. Dans le cas actuel, rien de plus simple, selon moi, car nous nous trouvons en face, non pas de plusieurs hypothèses, mais d’une certitude, d’une certitude unique, rigoureuse, et qui s’énonce ainsi : l’individu ne pouvait entrer que par la porte de la chambre ou par la fenêtre du cabinet. Or on n’ouvre pas, de l’extérieur, une porte verrouillée. Donc il est entré par la fenêtre.

      – Elle était fermée, et on l’a retrouvée fermée, déclara M. de Dreux.

      – Pour cela, continua Floriani, sans relever l’interruption, il n’a eu besoin que d’établir un pont, planche ou échelle, entre le balcon de la cuisine et le rebord de la fenêtre, et dès que l’écrin…

      – Mais je vous répète que la fenêtre était fermée ! s’écria le comte avec impatience.

      Cette fois Floriani dut répondre. Il le fit avec la plus grande tranquillité, en homme qu’une objection aussi insignifiante ne trouble point.

      – Je veux croire qu’elle l’était, mais n’y a-t-il pas un vasistas ?

      – Comment le savez-vous ?

      – D’abord c’est presque une règle, dans les hôtels de cette époque. Et ensuite il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque, autrement, le vol serait inexplicable.

      – En effet, il y en a un, mais il est clos, comme la fenêtre. On n’y a même pas fait attention.

      – C’est un tort. Car si on y avait fait attention, on aurait vu évidemment qu’il avait été ouvert.

      – Et comment ?

      – Je suppose que, pareil à tous les autres, il s’ouvre au moyen d’un fil de fer tressé, muni d’un anneau à son extrémité inférieure ?

      – Oui.

      – Et cet anneau pendait entre la croisée et le bahut ?

      – Oui, mais je ne comprends pas…

      – Voici. Par une fente pratiquée dans le carreau, on a pu, à l’aide d’un instrument quelconque, mettons une baguette de fer pourvue d’un crochet, agripper l’anneau, peser et ouvrir.

      Le comte ricana :

      – Parfait ! Parfait ! Vous arrangez tout cela avec une aisance seulement vous oubliez une chose, cher monsieur, c’est qu’il n’y a pas eu de fente pratiquée dans le carreau.

      – Il y a eu une fente.

      – Allons donc, on l’aurait vue.

      – Pour voir il faut regarder, et l’on n’a pas regardé. La fente existe, il est matériellement impossible qu’elle n’existe pas, le long du carreau, contre le mastic… dans le sens vertical, bien entendu.

      Le comte se leva. Il paraissait très surexcité. Il arpenta deux ou trois fois le salon d’un pas nerveux, et, s’approchant de Floriani :

      – Rien n’a changé là-haut depuis ce jour… personne n’a mis les pieds dans ce cabinet.

      – En ce cas, monsieur, il vous est loisible de vous assurer que mon explication concorde avec la réalité.

      – Elle ne concorde avec aucun des faits que la justice a constatés. Vous n’avez rien vu, vous ne savez rien, et vous allez à l’encontre de tout ce que nous avons vu et de tout ce que nous savons.

      Floriani ne sembla point remarquer l’irritation du comte, et il dit en souriant :

      – Mon Dieu, monsieur, je tâche de voir clair, voilà tout. Si je me trompe, prouvez-moi mon erreur.

      – Sans plus tarder… J’avoue qu’à la longue votre assurance…

      M. de Dreux mâchonna encore quelques paroles, puis, soudain, se dirigea vers la porte et sortit.

      Pas un mot ne fut prononcé. On attendait anxieusement, comme si, vraiment, une parcelle de la vérité allait apparaître. Et le silence avait une gravité extrême.

      Enfin, le comte apparut dans l’embrasure de

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