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Les mille et une nuits: contes choisis. Anonyme
Читать онлайн.Название Les mille et une nuits: contes choisis
Год выпуска 0
isbn 4064066074821
Автор произведения Anonyme
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
XXIVE NUIT
Zobéide, reprit la sultane, ne voulut donc point reprendre l'argent du porteur. Mon ami, lui dit-elle, en consentant que vous demeuriez avec nous, je vous avertis que ce n'est pas seulement à condition que vous garderez le secret que nous avons exigé de vous: nous prétendons encore que vous observiez exactement les règles de la bienséance et de l'honnêteté. Pendant qu'elle tenait ce discours, la charmante Amine quitta son habillement de ville, attacha sa robe à sa ceinture pour agir avec plus de liberté et prépara la table, elle servit plusieurs sortes de mets, et mit sur un buffet des bouteilles de vin et des tasses d'or. Après cela les dames se placèrent et firent asseoir à leur côté le porteur, qui était satisfait, au delà de tout ce qu'on peut dire, de se voir à table avec trois personnes d'une beauté si extraordinaire.
Après les premiers morceaux, Amine, qui s'était placée près du buffet, prit une bouteille et une tasse, se versa à boire et but la première, suivant la coutume des Arabes. Elle versa ensuite à ses sœurs, qui burent l'une après l'autre; puis, remplissant pour la quatrième fois la même tasse, elle la présenta au porteur, lequel, en la recevant, baisa la main d'Amine et chanta, avant que de boire, une chanson dont le sens était que, comme le vent emporte avec lui la bonne odeur des lieux parfumés par où il passe, de même le vin qu'il allait boire, venant de sa main, en recevait un goût plus exquis que celui qu'il avait naturellement. Cette chanson réjouit les dames, qui chantèrent à leur tour. Enfin, la compagnie fut de très-bonne humeur pendant le repas, qui dura fort longtemps et fut accompagné de tout ce qui pouvait le rendre agréable.
Le jour allait bientôt finir, lorsque Safie, prenant la parole au nom des trois dames, dit au porteur: Levez-vous, partez, il est temps de vous retirer. Le porteur, ne pouvant se résoudre à les quitter, répondit: Eh! mesdames, où me commandez-vous d'aller en l'état où je suis: je ne retrouverai jamais le chemin de ma maison. Donnez-moi la nuit pour me reconnaître, je la passerai où il vous plaira.
Amine prit une seconde fois le parti du porteur. Mes sœurs, dit-elle, il a raison; je lui sais bon gré de la demande qu'il nous fait. Il nous a assez bien diverties: si vous voulez m'en croire, ou plutôt si vous m'aimez autant que j'en suis persuadée, nous le retiendrons pour passer la soirée avec nous. Ma sœur, dit Zobéide, nous ne pouvons rien refuser à votre prière. Porteur, continua-t-elle en s'adressant à lui, nous voulons bien encore vous faire cette grâce; mais nous y mettons une nouvelle condition. Quoi que nous puissions faire en votre présence, par rapport à nous ou à autre chose, gardez-vous bien d'ouvrir seulement la bouche pour nous en demander la raison; car, en nous faisant des questions sur des choses qui ne vous regardent nullement, vous pourriez entendre ce qui ne vous plairait pas. Prenez-y garde, et ne vous avisez pas d'être trop curieux, en voulant approfondir les motifs de nos actions.
Madame, repartit le porteur, je vous promets d'observer cette condition avec tant d'exactitude, que vous n'aurez pas lieu de me reprocher d'y avoir contrevenu, et encore moins de punir mon indiscrétion. Ma langue en cette occasion sera immobile, et mes yeux seront comme un miroir qui ne conserve rien des objets qu'il a reçus. Pour vous faire voir, reprit Zobéide d'un air très-sérieux, que ce que nous vous demandons n'est pas nouvellement établi parmi nous, levez-vous et allez lire ce qui est écrit au-dessus de notre porte en dedans.
Le porteur alla jusque-là et y lut ces mots qui étaient écrits en gros caractères d'or. «Qui parle des choses qui ne le regardent point, entend ce qui ne lui plaît pas.» Il revint ensuite trouver les trois sœurs: Mesdames, leur dit-il, je jure que vous ne m'entendrez parler d'aucune chose qui ne me regardera pas, et où vous puissiez avoir intérêt.
Cette convention faite, Amine apporta le souper, et quand elle eut éclairé la salle d'un grand nombre de bougies préparées avec le bois d'aloès et l'ambre gris, qui répandirent une odeur agréable et firent une belle illumination, elle s'assit à table avec ses sœurs et le porteur. Ils recommencèrent à manger, à boire, à chanter et à réciter des vers. Les bons mots ne furent point épargnés. Enfin ils étaient tous de la meilleure humeur du monde, lorsqu'ils ouïrent frapper à la porte...
XXVE NUIT
Dès que les dames, poursuivit Scheherazade, entendirent frapper à la porte, elles se levèrent toutes trois en même temps pour aller ouvrir; mais Safie, à qui cette fonction appartenait particulièrement, fut la plus diligente: les deux autres, se voyant prévenues, demeurèrent et attendirent qu'elle vînt leur apprendre qui pouvait avoir affaire chez elles si tard. Safie revint. Mes sœurs, dit-elle, il se présente une belle occasion de passer une bonne partie de la nuit fort agréablement; et si vous êtes du même sentiment que moi, nous ne la laisserons point échapper. Il y a à notre porte trois Calenders, au moins ils me paraissent tels à leur habillement; mais, ce qui va sans doute vous surprendre, ils sont tous trois borgnes de l'œil droit, et ont la tête, la barbe et les sourcils ras, ils ne font, disent-ils, que d'arriver tout présentement à Bagdad, où ils ne sont jamais venus, et comme il est nuit et qu'ils ne savent où aller loger, ils ont frappé par hasard à notre porte et ils nous prient, pour l'amour de Dieu, d'avoir la charité de les recevoir. Ils se mettent peu en peine du lieu que nous voudrons leur donner, pourvu qu'ils soient à couvert; ils se contenteront d'une écurie. Ils sont jeunes et assez bien faits; ils paraissent même avoir beaucoup d'esprit; mais je ne puis penser, sans rire, à leur figure plaisante et uniforme. En cet endroit Safie s'interrompit elle-même, et se mit à rire de si bon cœur, que les deux autres dames et le porteur ne purent s'empêcher de rire aussi. Mes bonnes sœurs, reprit-elle, ne voulez-vous pas bien que nous les fassions entrer? Il est impossible qu'avec des gens tels que je viens de vous les dépeindre, nous n'achevions la journée encore mieux que nous ne l'avons commencée. Ils nous divertiront fort et ne nous seront point à charge, puisqu'ils ne nous demandent une retraite que pour cette nuit seulement, et que leur intention est de nous quitter d'abord qu'il sera jour.
Zobéide et Amine firent difficulté d'accorder à Safie ce qu'elle demandait, et elle en savait bien la raison elle-même; mais elle leur témoigna une si grande envie d'obtenir d'elles cette faveur, qu'elles ne purent la lui refuser. Allez, lui dit Zobéide, faites-les donc entrer; mais n'oubliez pas de les avertir de ne point parler de ce qui ne les regardera pas et de leur faire lire ce qui est écrit au-dessus de la porte. A ces mots, Safie courut ouvrir avec joie, et peu de temps après elle revint accompagnée des trois Calenders.
Les trois Calenders firent en entrant une profonde révérence aux dames qui s'étaient levées pour les recevoir, et qui leur dirent obligeamment qu'ils étaient les bienvenus, qu'elles étaient bien aises de trouver l'occasion de les obliger, et de contribuer à les remettre de la fatigue de leur voyage, et enfin elles les invitèrent à s'asseoir auprès d'elles. La magnificence du lieu et l'honnêteté des dames firent concevoir aux Calenders une haute idée de ces belles hôtesses; mais, avant que de prendre place, ayant par hasard jeté les yeux sur le porteur, et le voyant habillé à peu près comme d'autres Calenders avec lesquels ils étaient en différend sur plusieurs points de discipline, et qui ne se rasaient pas la barbe et les sourcils, un d'entre eux prit la parole: Voilà dit-il, apparemment un de nos frères arabes les révoltés.
Le porteur, à moitié endormi, et la tête échauffée du vin qu'il avait bu, se trouva choqué de ces paroles, et sans se lever de sa place, il répondit aux Calenders, en les regardant fièrement: Asseyez-vous et ne vous mêlez pas de ce que vous n'avez que faire. N'avez-vous pas lu au-dessus de la porte l'inscription qui y est? Ne prétendez pas obliger le monde à vivre à votre mode; vivez à la nôtre.
Bonhomme, reprit le Calender qui avait parlé, ne vous mettez point en colère; nous serions bien fâchés de vous en avoir donné le moindre sujet, et nous sommes au contraire prêts à recevoir vos commandements. La querelle aurait pu avoir des suites; mais les dames s'en mêlèrent, et pacifièrent toutes choses.
Quand les Calenders se furent assis à table, les dames leur servirent à manger; et l'enjouée Safie, particulièrement, prit soin de leur verser à boire...