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      —Sacrebleu! criait-il, on n'est pas inepte et sot à ce point. Voici une fille que, depuis cinq mois, je cherche par tout Paris, tu le sais, le hasard nous la livre et tu la laisses échapper!

      —Elle reviendra, patron, elle l'a dit; elle ne voudra pas perdre l'argent de l'inscription.

      M. Mascarot leva son bonnet grec... M. Mascarot leva son bonnet grec...

      —Eh! elle se moque bien de dix sous ou de dix francs. Elle reviendra si c'est sa fantaisie, sinon... une fille qui boit, qui est à moitié folle...

      Mais voici que Beaumarchef, enflammé d'un espoir soudain, avait pris son chapeau.

      —Elle ne fait que partir, dit-il, je cours; je suis capable de la rejoindre.

      Il s'élançait, M. Mascarot le retint.

      —Attends, fit-il, tu n'es pas le limier qu'il faut. Prends avec toi Toto-Chupin; qu'il campe-là ses marrons. Et si vous rattrapez cette coquine, ne lui parlez pas, mais qu'il la suive et qu'il ne la lâche plus. Je veux savoir heure par heure tout ce qu'elle fait!... tout, tu m'entends!...

      Beaumarchef dehors, B. Mascarot continua à donner cours à sa mauvaise humeur.

      —Être servi comme cela, disait-il, quelle misère! Ah! il faudrait pouvoir faire tout soi-même. Je m'épuise à étudier une énigme indéchiffrable, et cette ivrognesse en a certainement le mot!...

      Il était bien évident pour Paul qu'il n'avait pas été aperçu. Honteux de son indiscrétion involontaire, il prit le parti de tousser.

      M. Mascarot se retourna menaçant, terrible.

      —Vous m'excuserez... commença Paul.

      Mais déjà le placeur avait repris sa bonne et honnête figure.

      —Ah! j'y suis, fit-il, monsieur Paul Violaine, n'est-ce pas?

      Le jeune homme s'inclina.

      —Eh bien! reprit M. Mascarot, je suis à vous à la minute.

      Il disparut vivement par la porte du fond, et Paul avait à peine eu le temps de se remettre qu'il s'entendit appeler.

      —M. Paul!... Par ici, je vous prie, je n'ai pas de secrets pour vous!

      Comparé à la pièce d'entrée, à l'agence proprement dite, le cabinet particulier de M. B. Mascarot est un séjour de délices et de splendeurs.

      On voit que les carreaux des fenêtres sont lavés quelques fois, le papier vert de la tenture est propre, il y a un tapis à terre.

      Aussi, combien de clients, parmi les meilleurs, peuvent se vanter d'avoir mis le pied dans ce sanctuaire? Extraordinairement peu.

      Les affaires courantes du matin, à l'heure de la halle, se brassent en public autour de la table de M. Beaumarchef. Les négociations qui exigent plus de précautions se traitent à voix basse, dans le crépuscule du «confessionnal!»

      Mais Paul, ignorant les usages de la maison, ne pouvait apprécier convenablement l'immensité de la faveur qui l'admettait, lui, nouveau venu, à l'intimité du laboratoire.

      Lorsqu'il entra, B. Mascarot se chauffait à un bon feu de bois, assis dans un excellent fauteuil, le coude appuyé à son bureau.

      Et quel bureau! Un monde. C'était bien là le meuble de l'homme que harcèlent mille préoccupations diverses.

      Les cartons et les registres s'y entassaient en montagnes. La tablette était couverte de quantité de petits carrés de papier très fort qu'on appelle des fiches, portant un nom en grosses lettres et au-dessous des notes et des indications d'une écriture menue et presque illisible.

      D'un geste paternel, M. Mascarot daigna indiquer à Paul un siège en face de lui, et c'est de la voix la plus encourageante qu'il dit:

      —Causons.

      Non, en vérité, on ne feint pas, on ne saurait feindre les patriarcales apparences de B. Mascarot.

      Sa physionomie calme, reposée, miroir d'une conscience pure, est bien de celles qui font dire d'un homme: «J'aimerais à lui confier ma fortune.»

      En l'examinant ainsi, Paul subissait l'ascendant de l'honnêteté, et il se sentait porté vers lui comme la faiblesse vers la force.

      Il s'expliquait l'enthousiasme du père Tantaine et il bénissait le hasard qui l'instant d'avant, l'avait empêché de s'esquiver.

      —Nous disons donc, reprit M. Mascarot, que vos ressources actuelles sont insuffisantes, nulles même, et que vous êtes décidé à tout entreprendre pour vous assurer une position. Je vous répète là les propres expressions de ce pauvre diable de Tantaine.

      —Il a été, monsieur, le fidèle interprète de mes sentiments.

      —Très bien. Seulement, avant de parler du présent et de songer à l'avenir, nous allons, si vous le voulez bien, nous occuper du passé.

      Paul eut un tressaillement très léger, que le placeur remarqua pourtant, car il ajouta:

      —Vous excuserez l'indiscrétion, mais elle est nécessaire. J'ai ma responsabilité à mettre à couvert. Tantaine dit que vous êtes un charmant jeune homme, honnête, bien élevé. En vous voyant, je suis convaincu qu'il ne se trompe pas. Mais il me faut plus que des présomptions. Vous devez comprendre qu'avant de me porter votre garant, avant de répondre de vous à des personnes tierces...

      —C'est trop juste, monsieur, interrompit Paul, aussi suis-je prêt à vous répondre, je n'ai rien à cacher.

      Un fin sourire, que le jeune homme ne surprit pas, vint effleurer les lèvres de l'honorable placeur, et d'un geste qui lui était familier, il rajusta ses lunettes sur son nez.

      —Merci de vos bonnes dispositions, fit-il. Quant à me cacher quelque chose, eh! eh!... ce n'est peut-être pas aussi aisé que vous le supposez.

      Il prit sur un coin de son bureau un petit paquet de fiches, les fit glisser sous son pouce comme un jeu de cartes, et poursuivit:

      —Vous vous nommez Marie-Paul Violaine?

      Paul inclina la tête.

      —Vous êtes né à Poitiers, rue des Vignes, le 5 janvier 1843; vous êtes, par conséquent, dans votre vingt-quatrième année.

      —Oui, monsieur.

      —Vous êtes un enfant naturel?

      La seconde question avait un peu surpris Paul, celle-ci le stupéfia.

      —C'est vrai, monsieur, répondit-il, sans essayer de cacher son étonnement. J'étais loin de supposer M. Tantaine si bien informé. Je reconnais que la cloison qui sépare nos chambres est plus mince encore que je ne croyais.

      M. Mascarot ne sembla pas entendre l'épigramme adressée au vieux clerc d'huissier, il continuait à remuer ses carrés de papier et à les consulter.

      Si Paul, moins naïf, se fût penché, il eut vu ses initiales P. V., en tête de chacune des fiches.

      —Madame votre mère, reprit le digne placeur, a tenu, pendant les quinze dernières années de sa vie, un petit magasin de mercerie?

      —En effet.

      —Que peut rapporter un petit commerce comme celui-là, à Poitiers? Pas grand'chose, n'est-il pas vrai? Par bonheur, elle avait, en outre, pour l'aider à vivre et à vous élever, une pension annuelle de mille francs.

      Cette fois, Paul bondit sur son fauteuil.

      Ce secret, il était bien certain que le vieux locataire de l'hôtel du Pérou n'avait pu le surprendre.

      —Monsieur, balbutia-t-il, absolument abasourdi; monsieur!... qui a pu vous révéler un

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