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toute évidence, il nous fallait élever le niveau du bas-fond que nous avions touché pour qu’ils puissent s’identifier. En revenant sur notre passé de buveurs, nous pouvions démontrer que nous avions perdu le contrôle bien avant de nous en rendre compte, que même alors, boire était plus qu’une simple habitude, c’était en fait le début d’une progression fatale. Au sceptique, nous répondions : « Vous n’êtes peut-être pas alcoolique après tout. Pourquoi ne pas essayer de boire modérément pour un temps, sans oublier ce que nous vous avons dit au sujet de l’alcoolisme ? » Cette attitude produisait sans délai des résultats tangibles. Nous avons découvert que si un alcoolique expliquait à un autre la vraie nature de sa maladie, ce dernier n’était plus jamais le même. Après chaque cuite, il se répétait : « Ces AA avaient peut-être raison... » Après quelques expériences du genre, souvent bien des années avant l’apparition de complications extrêmes, il abdiquait et revenait chez nous. Tout comme nous, il avait vraiment touché son bas-fond. La dive bouteille était devenue notre meilleur avocat.

      Pourquoi tant insister sur la nécessité pour chaque membre des AA de toucher son bas-fond ? Parce que sinon, bien peu de gens entreprendront sincèrement de mettre en pratique le programme des AA. La pratique des onze autres Étapes des AA oblige à des attitudes et à des gestes que ne sauraient imaginer la plupart des alcooliques qui boivent encore. Qui veut être parfaite- ment honnête et tolérant ? Qui tient à avouer ses fautes à une autre personne et à réparer le mal qu’il a fait ? Qui se soucie le moindrement d’une Puissance supérieure, sans parler de la méditation et de la prière ? Qui est prêt à sacrifier son temps et son énergie pour tenter de transmettre le message des AA à un autre alcoolique ? Non, l’alcoolique, généralement égoïste à l’extrême, n’a aucune inclination en ce sens – à moins d’y être obligé pour sauver sa propre vie.

      Sous le fouet de l’alcoolisme, nous sommes entraînés vers les AA et c’est là que nous découvrons le caractère fatal de notre état. Alors, et alors seulement pouvons-nous, à l’exemple des mourants, ouvrir notre esprit et accepter d’écouter. Nous sommes prêts à tout pour nous libérer de cette impitoyable obsession.

      Deuxième Étape

      « Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. »

      DES qu’ils lisent la Deuxième Étape des AA, la plupart des nouveaux font face à un dilemme parfois très sérieux. Que de fois en avons-nous entendu se plaindre ainsi : « Regardez ce que vous nous avez fait ! D’abord vous nous persuadez que nous sommes des alcooliques et que nous avons perdu la maîtrise de notre vie. Puis, nous ayant réduits à cet état d’impuissance absolue, vous nous annoncez que seule une Puissance supérieure peut nous délivrer de notre obsession. Or, il s’en trouve parmi nous qui refusons de croire en Dieu, d’autres qui ne le peuvent pas, et d’autres encore qui croient sans doute que Dieu existe mais doutent sincèrement qu’Il accomplira ce miracle. Oui, vraiment, vous nous avez bien eus. Mais maintenant, où va-t-on ? »

      Arrêtons-nous d’abord à celui qui refuse de croire – le rebelle. Il est en furie, c’est le moins qu’on puisse dire. Toute sa philosophie de la vie, dont il était si fier, est maintenant menacée. C’est déjà bien assez pénible, se dit-il, d’admettre que l’alcool a eu le dessus sur lui. Mais voilà qu’encore blessé par cet aveu, il fait face à quelque chose de vraiment impossible. Il lui tient tellement à cœur de penser que l’être humain, sorti majestueusement d’une cellule unique du limon originel, est désormais le fer de lance de l’évolution et donc le seul dieu que connaisse son univers ! Doit-il, pour survivre, renoncer à tout cela !

      À ce moment là, son parrain AA se met généralement à rire. C’est la goutte qui fait déborder le vase, se dit le nouveau, le début de la fin ! Effectivement, c’est le début de la fin de son ancienne vie et le commencement d’une vie nouvelle. Son parrain lui dira sans doute : « Cesse de t’en faire. Le cerceau dans lequel tu dois sauter est bien plus grand que tu penses. Du moins, c’est ce que j’ai constaté avec un de mes amis qui fut jadis vice-président de l’Association américaine des athées. Il est passé à travers le cerceau sans aucune difficulté. »

      « Bon, dira le nouveau, je ne doute pas que tu me dises la vérité et qu’assurément, chez les AA, il y a plein de gens qui ont déjà pensé comme moi. Mais comment faire au juste pour ‘ne pas s’en faire’ dans de telles conditions ? C’est ce que je voudrais savoir. »

      « Bonne question, en effet, reconnaît le parrain. Je pense que je peux te dire comment te détendre sans que tu aies pour autant à faire beaucoup d’efforts. Retiens les trois points suivants : premièrement, les Alcoo-liques anonymes n’obligent personne à croire. Chacune des Douze Étapes ne sont que des suggestions. Deuxièmement, pour devenir abstinent et le rester, il n’est pas nécessaire de s’attaquer d’un seul coup et immédiatement à la Deuxième Étape. Je me rappelle y être allé moi-même très graduellement. Troisiè-mement, il suffit vraiment d’avoir l’esprit ouvert. Oublie les matières à controverse et cesse de t’interroger pour savoir qui, de l’œuf ou de la poule, est apparu le premier. Je te le répète : tout ce qu’il te faut, c’est un esprit ouvert. »

      Le parrain poursuit alors en disant : « Prends mon cas, par exemple. J’ai eu une formation scientifique. En conséquence, j’avais du respect, de la vénération, et même un culte pour la science. Je n’ai pas changé, sauf en ce qui concerne le culte. Mes professeurs m’ont souvent remis sous les yeux le principe de base de tout progrès scientifique : chercher, chercher encore et toujours, en toute objectivité. À mon premier contact avec les AA, j’ai eu tout à fait la même réaction que toi. Toute cette affaire des AA, me disais-je, n’est pas scientifique pour un sou. Je ne marche tout simplement pas. Je refuse de m’arrêter à de telles absurdités.

      « Mais je me suis réveillé. J’ai dû admettre que les AA s’appuyaient sur des résultats, des résultats prodigieux. Je voyais bien que mon attitude à cet égard n’avait rien de scientifique. Ce n’étaient pas les AA mais bien moi qui manquais d’ouverture d’esprit. Dès que j’ai cessé d’argumenter, j’ai pu commencer à voir et à ressentir. Aussitôt, en douceur et petit à petit, la Deuxième Étape a commencé à s’infiltrer dans ma vie. Je ne puis préciser dans quelle circonstance ni à quel jour je me suis mis à croire en une Puissance supérieure à moi-même, mais aujourd’hui, il est certain que cette foi, je l’ai. Pour l’acquérir, il m’a suffi d’arrêter de me battre et d’appliquer le reste du programme des AA avec autant d’enthousiasme que possible.

      « Bien sûr, tu n’as là que l’opinion d’un seul homme et elle ne s’appuie que sur ma propre expérience. Je dois tout de suite t’assurer que dans leur recherche de la foi, les membres des AA suivent une très grande variété de cheminements. Si celui que je t’ai suggéré ne t’intéresse pas, tu en découvriras sûrement un autre qui te convient, pourvu que tu saches écouter et regarder. Bien des gens comme toi ont commencé à solutionner leur problème par la méthode de la substitution. Si tu veux, tu peux faire du Mouvement ta « puissance supérieure ». Voici en effet un rassemblement de très nombreuses personnes qui ont surmonté leur problème d’alcool. Vu ainsi, il s’agit sûrement d’une puissance supérieure à toi, qui n’est même pas parvenu à trouver la moindre solution. Tu peux sûrement avoir foi en elles. Même ce tout petit peu de foi peut suffire. Tu vas rencontrer plusieurs membres qui ont ainsi franchi le seuil. Ils te diront tous qu’une fois qu’ils l’ont passé, leur foi a grandi et s’est approfondie. Délivrés de leur obsession d’alcool et incapables de s’expliquer la transformation de leur vie, ils en sont venus à croire en une Puissance supérieure et, dans la plupart des cas, à mentionner le nom de Dieu. »

      Prenons maintenant le cas de ceux qui ont déjà eu la foi mais qui l’ont perdue. Vous en verrez qui ont glissé dans l’indifférence, d’autres qui, remplis d’autosuffisance, ont coupé tous les ponts, d’autres qui ont nourri des préjugés contre la religion, et d’autres enfin qui ont nettement adopté une attitude de défi parce que Dieu n’a

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