Скачать книгу

escria de douleur et de merveilles, et dist: Oncques fille de roy ne apparut en tel habit, ne ne fut veue filler laine.» Elle est la parfaite humilité chrétienne qui vit de pain noir avec les mendiants, panse leurs plaies sans dégoût, porte leurs vêtements grossiers, dort sur la terre dure, suit les processions pieds nus.

      «Elle lavoit aucunes fois les escueles et les vaisseaulx de la cuysine, et se mussoit et cachoit que les chambrieres ne l'en détournassent, et disoit: Si je eusse trouve une autre vie plus despite, je leusse prinse.» De sorte qu'Angélique, raidie de colère autrefois, lorsqu'on lui faisait laver la cuisine, s'ingéniait maintenant à des besognes basses, quand elle se sentait tourmentée du besoin de domination. Enfin, plus que Catherine, plus qu'Élisabeth, plus que toutes, une sainte lui était chère, Agnès, l'enfant martyre. Son cœur tressaillait, en la retrouvant dans la Légende, cette vierge, vêtue de sa chevelure, qui l'avait protégée sous la porte de la cathédrale. Quelle flamme de pur amour! comme elle repousse le fils du gouverneur qui l'accoste au sortir de l'école! «Da! hors de moy, pasteur de mort, commencement de peche et nourrissement de felonie.» Comme elle célèbre l'amant! «Jayme celluy duquel la mere est Vierge et le pere ne congneut oncque femme, de la beaulte duquel le soleil et lune sesmerveillent, par l'odeur duquel les morts revivent.» Et, quand Aspasien commande qu'on lui mette «ung glayve parmy la gorge», elle monte au paradis s'unir à «son espoux blanc et vermeil». Depuis quelques mois surtout, à des heures troubles, lorsque des chaleurs de sang lui battaient les tempes, Angélique l'évoquait, l'implorait; et, tout de suite, il lui semblait être rafraîchie. Elle la voyait continuellement à son entour, elle se désespérait de faire souvent, de penser des choses, dont elle la sentait fâchée. Un soir qu'elle se baisait les mains, ainsi qu'elle en prenait parfois encore le plaisir, elle devint brusquement très rouge et se tourna, confuse, bien qu'elle fût seule, ayant compris que la sainte l'avait vue.

      Agnès était la gardienne de son corps.

      À quinze ans, Angélique fut ainsi une adorable fille. Certes, ni la vie cloîtrée et travailleuse, ni l'ombre douce de la cathédrale, ni la Légende aux belles saintes, n'avaient fait d'elle un ange, une créature d'absolue perfection. Toujours des fougues l'emportaient, des fautes se déclaraient, par des échappées imprévues, dans des coins d'âme qu'on avait négligé de murer.

      Mais elle se montrait si honteuse alors, elle aurait tant voulu être parfaite! et elle était si humaine, si vivante, si ignorante et pure au fond! En revenant d'une des grandes courses que les Hubert se permettaient deux fois l'an, le lundi de la Pentecôte et le jour de l'Assomption, elle avait arraché un églantier, puis s'était amusée à le replanter dans l'étroit jardin. Elle le taillait, l'arrosait; il y repoussait plus droit, il y donnait des églantines plus larges, d'une odeur fine; ce qu'elle guettait, avec sa passion habituelle, répugnant à le greffer pourtant, voulant voir si un miracle ne lui ferait pas porter des roses. Elle dansait à l'entour, elle répétait d'un air ravi: «C'est moi! c'est moi!» Et, si on la plaisantait sur son rosier de grand chemin, elle en riait elle-même, un peu pâle, des larmes au bord des paupières.

      Ses yeux couleur de violette s'étaient encore adoucis, sa bouche s'entrouvrait, découvrait les petites dents blanches, dans l'ovale allongé du visage, que les cheveux blonds, d'une légèreté de lumière, nimbaient d'or. Elle avait grandi, sans devenir fluette, le cou et les épaules toujours d'une grâce fière, la gorge ronde, la taille souple; et gaie, et saine, une beauté rare, d'un charme infini, où fleurissaient la chair innocente et l'âme chaste.

      Les Hubert, chaque jour, se prenaient pour elle d'une affection plus vive. L'idée leur était venue à tous deux de l'adopter. Seulement, ils n'en disaient rien, de peur d'éveiller leur éternel regret. Aussi, le matin où le mari se décida, dans leur chambre, la femme, tombée sur une chaise, fondit-elle en sanglots. Adopter cette enfant, n'était-ce pas renoncer à en avoir jamais un? Certes, il n'y fallait plus guère compter, à leur âge; et elle consentit, vaincue par la bonne pensée d'en faire sa fille.

      Angélique, quand ils lui en parlèrent, leur sauta au cou, étrangla de larmes. C'était chose entendue, elle resterait avec eux, dans cette maison toute pleine d'elle maintenant, rajeunie de sa jeunesse, rieuse de son rire. Mais, dès la première démarche, un obstacle les consterna. Le juge de paix, M. Grandsire, consulté, leur expliqua la radicale impossibilité de l'adoption, la loi exigeant que l'adopté soit majeur. Puis, comme il voyait leur chagrin, il leur suggéra l'expédient de la tutelle officieuse: tout individu, âgé de plus de cinquante ans, peut s'attacher un mineur de moins de quinze ans, par un titre légal, en devenant son tuteur officieux. Les âges y étaient, ils acceptèrent, enchantés; et même il fut convenu qu'ils conféreraient ensuite l'adoption à leur pupille, par voie testamentaire, ainsi que le Code le permet. M. Grandsire se chargea de la demande du mari et de l'autorisation de la femme, puis se mit en rapport avec le directeur de l'Assistance publique, tuteur de tous les enfants assistés, dont il fallait obtenir le consentement. Il y eut enquête, enfin les pièces furent déposées à Paris, chez le juge de paix désigné. Et l'on n'attendait plus que le procès-verbal, qui constitue l'acte de la tutelle officieuse, lorsque les Hubert furent pris d'un scrupule tardif. Avant d'adopter ainsi Angélique, est-ce qu'ils n'auraient pas dû faire un effort pour retrouver sa famille? Si la mère existait, où prenaient-ils le droit de disposer de la fille, sans être absolument certains de son abandon? Puis, au fond, il y avait cet inconnu, cette souche gâtée d'où sortait l'enfant peut-être, qui les inquiétait autrefois, dont le souci leur revenait à cette heure. Ils s'en tourmentaient tellement, qu'ils n'en dormaient plus.

      Brusquement, Hubert fit le Voyage de Paris. C'était une catastrophe, dans son existence calme. Il mentit à Angélique, il parla de la nécessité de sa présence, pour la tutelle. En vingt quatre heures, il espérait tout savoir. Mais, à Paris, les jours coulèrent, des obstacles se dressaient à chaque pas, il y passa une semaine, rejeté des uns aux autres, battant le pavé, éperdu, pleurant presque. D'abord, à l'Assistance publique, on le reçut fort sèchement. La règle de l'Administration est que les enfants ne soient pas renseignés sur leur origine, jusqu'à leur majorité. Trois matins de suite, on le renvoya. Il dut s'obstiner, s'expliquer dans quatre bureaux, s'enrouer à se présenter comme tuteur officieux, avant qu'un sous-chef, un grand sec, voulût bien lui apprendre l'absence absolue de documents précis. L'Administration ne savait rien, une sage-femme avait déposé l'enfant Angélique, Marie, sans nommer la mère.

      Désespéré, il allait reprendre la route de Beaumont, quand une idée le ramena une quatrième fois, pour demander communication de l'extrait de naissance, qui devait porter le nom de la sage-femme. Ce fut toute une affaire encore. Enfin, il connut le nom, Mme Foucart, et il apprit même que cette femme demeurait rue des Deux-Écus, en 1850.

      Alors, les courses recommencèrent. Le bout de la rue des Deux-Écus était démoli, aucun boutiquier des rues voisines ne se rappelait Mme Foucart. Il consulta un annuaire: le nom ne s'y trouvait plus. Les yeux levés, guettant les enseignes, il se résigna à monter chez les sages-femmes; et ce fut ce moyen qui réussit, il eut la chance de tomber sur une vieille dame, laquelle se récria. Comment! si elle connaissait Mme Foucart! une personne d'un si grand mérite, qui avait eu bien des malheurs! Elle demeurait rue Censier, à l'autre bout de Paris. Il y courut. Là, instruit par l'expérience, il s'était promis d'agir diplomatiquement. Mais Mme Foucart, une femme énorme, tassée sur des jambes courtes, ne le laissa pas déployer en bel ordre les questions qu'il avait préparées à l'avance. Dès qu'il lâcha les prénoms de l'enfant et la date du dépôt, elle partit d'elle même, elle conta toute l'histoire, dans un flot de rancune. Ah! la petite vivait! eh bien, elle pouvait se flatter d'avoir pour mère une fameuse coquine! Oui, Mme Sidonie, comme on la nommait depuis son veuvage, une femme très bien apparentée, ayant un frère ministre, disait-on, ce qui ne l'empêchait pas de faire les plus vilains commerces! Et elle expliqua de quelle façon elle l'avait connue, quand la gueuse tenait, rue Saint-Honoré, un commerce de fruits et d'huile de Provence, à son arrivée de Plassans, d'où ils débarquaient, elle et son mari, pour tenter fortune. Le mari mort et enterré, elle avait eu une fille quinze mois après, sans savoir au juste où elle l'avait prise, car elle était sèche comme une facturé, froide comme un protêt, indifférente et brutale comme un recors!... On pardonne une faute,

Скачать книгу