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fraîcheur, tout le charme, tout le rayonnement du matin!

      Non, il n'aura pas le coeur de me désespérer! Cette situation n'est plus tenable, et puisque je ne sais pas parler, je vais écrire.

      M. de Montbrun m'a longuement parlé de toi. Il trouve que tu as trop de liberté et pas assez de devoirs. Il m'a demandé combien tu comptais d'amoureux par le temps qui court, mais je n'ai pu dire au juste.

      D'après lui, l'atmosphère d'adulation où tu vis ne t'est pas bonne. D'après lui encore, tu as l'humeur coquette, et il vaudrait mieux pour toi entrer dans le sérieux de la vie.

      Je te répète tout bien exactement. On parle de ma voix en termes obligeants, mais je n'oserais jamais en dire autant en une fois. Réprimander les jeunes filles est un art difficile. Pour s'en tirer à son honneur, il faut avoir la taille de François Ier, et ce charme de manières que tu appelles du montbrunage.

      Ma chère Mina, que je suis bien ici! J'aime cette maison isolée et riante qui regarde la mer à travers ses beaux arbres, et sourit à son jardin par-dessus une rangée d'arbustes charmants.

      Elle est blanche, ce qui ne se voit guère, car des plantes grimpantes courent partout sur les murs, et sautent hardiment sur le toit. Angéline dit: «Le printemps est bien heureux de m'avoir. J'ai si bien fait, que tout est vert.» Aujourd'hui nous avons fait une très longue promenade. On voulait me faire admirer la baie de Gaspé, me montrer l'endroit où Jacques Cartier prit possession du pays en y plantant la croix. Mais Angéline était là, et je ne sais plus regarder qu'elle. Mina, qu'elle est ravissante! J'ai honte d'être si troublé: cette maison charmante semble faite pour abriter la paix. Que deviendrais-je, mon Dieu, s'il allait refuser? Mais j'espère.

      Je t'embrasse, ma petite soeur.

      Maurice.

      (Mina Darville à son frère)

      Moi aussi j'espère. Mais écrire au lieu de parler, c'est lâcheté pure. Mon cher, tu es un poltron.

      Si Angéline le savait! elle qui aime tant le courage! Oui, elle aime le courage—comme toutes les femmes d'ailleurs—et il y a longtemps que nous avons décidé que c'était une grande condescendance d'agréer les hommages de ceux qui n'ont jamais respiré l'odeur de la poudre et du sang. Pour moi, j'ai toujours regretté de n'être pas née dans les premiers temps de la colonie, alors que chaque Canadien était un héros.

      N'en doute pas, c'était le beau temps des Canadiennes. Il est vrai qu'elles apprenaient parfois que leurs amis avaient été scalpés mais n'importe, ceux d'alors valaient la peine d'être pleurés. Là-dessus, Angéline partage tous mes sentiments, et voudrait avoir vécu du temps de son cousin de Lévis.

      Tu devrais mettre la jalousie de côté, et lui parler souvent de ce vaillant. Elle aime le souvenir de ces jours où la voix de Lévis retentissait sonore, et elle s'indigne contre les Anglais qui n'ont pas rougi de lui refuser les honneurs de la guerre. Son père l'écoute d'un air charmé.

      Mon cher, nous avons une belle chance de n'avoir pas vécu il y a quelque cent ans. Le vainqueur de Sainte-Foy eût fait la conquête du père et de la fille, et notre machiavélisme aurait échoué. Quant au chevaleresque Lévis, personne ne m'en a rien dit, mais j'incline à croire qu'il chantait comme le beau Dunois: Amour à la plus belle.

      Ainsi on voudrait me faire entrer dans le sérieux de la vie… Il me semble que flirter avec un Right Reverend, c'est quelque chose d'assez grave.

      Au fond, je ne suis pas plus frivole que n'importe quel vieux politique, et je suis à peu près aussi enthousiasmée de mes contemporains. Quant à avoir l'humeur coquette, c'est calomnie pure.

      M. de Montbrun me rendra raison de ses propos, et il pourrait bien venir me faire ses remarques lui-même. Suis-je donc si imposante ou si désagréable?

      Mon cher Maurice, tu ne saurais croire comme j'ai hâte d'entendre ta belle voix dans la maison.

      Depuis que tu es amoureux, tu ne sais pas toujours ce que tu dis, mais ta voix a des sonorités si douces. Tu m'as gâté l'oreille, et tous ceux à qui je parle me paraissent enrhumés.

      À propos, il paraît qu'un vaisseau français va venir prochainement à Québec. Dieu merci, je suis aussi royaliste que la plus auguste douairière du faubourg Saint-Germain; mais cela n'empêche pas d'aimer le drapeau tricolore «car c'est encore l'étendard de la France», et… je voudrais bien que les marins français vissent Angéline. Tenir la plus jolie fille du Canada cachée dans un village de Gaspé, c'est un crime. Bien éclipsée je serais, si elle se montrait; mais n'importe, l'honneur national avant tout.

      Je t'embrasse,

      Mina.

      (Maurice Darville à sa soeur)

      Je ne tiens pas du tout à ce qu'Angéline voie les marins français. Je compte sur toi pour leur faire chanter: Vive la Canadienne! Sois-en sûre, nous sommes tous trop tendres pour la France qui ne songe guère aux Canadiens, exilés dans leur propre patrie, comme disait Crémazie.

      Je ne veux pas que les marins français fassent la cour à Mlle de

       Montbrun, et lui racontent des combats et des tempêtes. Mais les

       ombres les plus illustres m'inquiètent assez peu. «De Lévis, de

       Montcalm, on dira les exploits», tant qu'il lui plaira.

      Ma chère, si je ne suis pas encore le plus heureux des hommes, du moins je suis loin d'être malheureux.

      Mais il est convenu que je dirai tout. Donc, ma lettre écrite, je l'envoyai porter à M. de Montbrun, et j'allai au jardin attendre qu'il me fit appeler, ce qui tarda un peu. Faut-il te dire ce que j'endurai…?

      Enfin, une manière de duègne, qui m'a l'air de tenir le milieu entre gouvernante et servante, vint me chercher de la part de son maître.

      Malheureusement, sur le seuil de la porte, je rencontrai Angéline, qui me dit:—Venez voir mon cygne.

      Et comme tu penses, je la suivis. Comment refuser?

      Tu sais peut-être qu'un ruisseau coule dans le jardin, très vaste et très beau. M. de Montbrun en a profité pour se donner le luxe d'un petit étang qui est bien ce qu'on peut voir de plus joli. Des noyers magnifiques ombragent ces belles eaux, et les fleurs sauvages croissent partout sur les bords et dans la mousse épaisse qui s'étend tout autour de l'étang. C'est charmant, c'est délicieux, et le cygne pense de même car il affectionne cet endroit.

      Angéline nu-tête, un gros morceau de pain à la main, marchait devant moi. De temps en temps, elle se retournait pour m'adresser quelques mots badins. Mais arrivée à l'étang, elle m'oublia.

      Son attention était partagée entre les oiseaux qui chantaient dans les arbres, et le cygne qui se berçait mollement sur les eaux. Mais le cygne finit par l'absorber. Elle lui jetait des miettes de pain, en lui faisant mille agaceries dont il est impossible de dire le charme et la grâce; et l'oiseau semblait prendre plaisir à se faire admirer. Il se mirait dans l'eau, y plongeait son beau cou, et longeait fièrement les bords fleuris de ce lac en miniature où se reflétait le soleil couchant.

      —Est-il beau! est-il beau! disait Angéline enthousiasmée. Ah! si

       Mina le voyait!…

      Elle me tendit les dernières miettes de son pain, pour me les lui faire jeter. Les rayons brûlants du soleil glissant à travers le feuillage tombaient autour d'elle en gerbes de feu. Je fermai les yeux. Je me sentais devenir fou. Elle, remarquant mon trouble, me demanda naïvement:

      —Mais, monsieur Darville, qu'avez-vous donc?

      Mina, toutes mes résolutions m'échappèrent. Je lui dis:

      —Je vous aime! Et involontairement je fléchis le genou devant elle qui tient le bonheur et la vie, dans sa chaste main.

      Je n'avais pas été maître de penser à ce que je faisais.

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