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était prochain. Les Génois venaient déjà payer les droits de port et redemander leurs timons et leurs voiles qu'on tenait en dépôt pour la sûreté de la perception. Mais, avant de rendre ces apparaux, on demanda aux capitaines pourquoi ils n'embarquaient pas les hommes qui restaient sur le rivage. Ils répondirent qu'ils ne pouvaient s'en charger puisque ces hommes n'avaient ni de quoi payer leur passage, ni de quoi se fournir de vivres: «Eh bien, s'écria le mahométan, ne sont-ils pas chrétiens? Entendez-vous les abandonner pour être esclaves de Saladin? Cela ne sera pas. Vous les recevrez à bord et je leur donnerai des vivres. Vous jurerez de ne les débarquer qu'en chrétienté, de la même manière et aux mêmes lieux que les passagers riches qui vous payent; et si j'apprends que vous ayez fait tort ou injure à ces pauvres gens, sachez que je m'en prendrai aux marchands de votre terre qui viendront en ce pays.» Ces conditions furent remplies, le gouvernail ne fut pas rendu que les capitaines ne s'y fussent soumis.

      Après la prise de Jérusalem, Saladin assiégea Tyr. Mais le jeune marquis de Montferrat possédait cette ville, et, par son courage, aidé d'une poignée de Génois, il brava toute la puissance du vainqueur. Il méprisa les offres, et ne prêta pas l'oreille aux menaces, car on lui demandait de rendre la place pour sauver la vie de son père, prisonnier des Sarrasins. Attaqué par terre et par mer, il défit à l'entrée du port les galères envoyées contre lui; il repoussa les assauts. Saladin leva le siège et ne réussit pas mieux devant Tripoli, que Montferrat courut défendre. Le sultan honora ce valeureux ennemi; en se retirant il délivra et lui renvoya ce père dont les jours avaient été en péril. Il rendit aussi la liberté au roi Lusignan et à dix chevaliers dont il lui laissa le choix. A peine libéré, Lusignan accourut à Tyr. Mais Montferrat, non plus que le nouveau comte de Tripoli, ne voulut le reconnaître ni le recevoir. Ce roi sans royaume choisit alors le plus extraordinaire des asiles: presque seul il alla camper devant Acre, il annonça qu'il assiégeait la ville, et il requit tous ceux qui pouvaient fournir assistance de venir le joindre. La flotte sicilienne s'approcha pour le soutenir. Les forces éparses se réunirent. A son tour il fut bloqué dans son camp, mais il n'y fut point forcé. Un an se passa dans cette bizarre position et dans l'attente des secours d'une nouvelle croisade.

      (1189) La perte de Jérusalem avait été douloureusement ressentie dans toute l'Europe. Les rois qui avaient négligé ou retardé d'y porter assistance, s'en accusèrent. Les peuples, que leurs discordes avaient distraits de la défense de la terre sainte, suspendirent leurs différends. Aussi bien ils sentaient ce qu'ils allaient perdre et ce qu'ils avaient déjà perdu. Gênes, qui envoya des ambassadeurs aux rois de France et d'Angleterre pour les inviter à se réunir dans l'intérêt de la cause sainte, déféra elle-même aux remontrances des souverains pontifes. Elle fit une trêve avec les Pisans. Les Vénitiens s'unirent à leurs rivaux. Leurs flottes combinées partirent sous la direction des archevêques de Pise et de Ravenne2. Un des consuls de Gênes, Gilles Spinola, fut expédié au siège d'Acre. Des Embriaco, des Castello, des Volta, des Doria, une foule d'autres s'embarquèrent avec lui. Bientôt les plus puissants princes se mirent en route dans l'espérance de reprendre Ptolémaïs. Frédéric Barberousse fut prêt le premier. Il prit la voie de Constantinople et se fit jour à travers l'Asie mineure; maïs il alla mourir misérablement près du terme de son voyage. Philippe Auguste et Richard d'Angleterre, prenant le chemin de la mer, se rencontrèrent à Gênes. Ces amis, ces frères d'armes se retrouvèrent en Sicile, et n'en repartirent pas sans avoir donné le spectacle d'une jalousie haineuse qui devait ruiner toute entreprise commune. Après de longs incidents toutes les forces fuient réunies devant Acre (1191). Saladin les combattit et ne put les distraire du siège. On nous a conservé le souvenir de la place des campements. Nous voyons que les Génois n'étaient pas restés dans leurs galères; selon leur ancien usage, ils avaient pris le soin des machines de guerre. Le siège dura plus d'un an après l'arrivée des deux rois. Enfin Saladin consentit à un traité qui remit Acre aux mains des chrétiens. Il promit d'échanger un de ses prisonniers de Tibériade contre chacun des musulmans qui se trouveraient dans la ville. La vraie croix, ce trophée tombé entre ses mains, devait être rendue. On dit qu'il prit des prétextes pour retarder l'exécution de cette promesse; que les princes, pressés de l'obliger à restituer la croix, le menacèrent de mettre à mort leurs prisonniers, et que, par une égale inhumanité, il les laissa effectuer cette menace. Ils eurent soin seulement de conserver les captifs capables de riches rançons, et ils se les partagèrent.

      La rentrée dans Acre amena de nouvelles dissensions. Les conquérants s'emparèrent des propriétés à leur bienséance: les anciens possesseurs voulurent reprendre leurs biens; les uns et les autres en vinrent aux mains. Il fallut une négociation compliquée pour ménager un accord qui devait encore donner de continuelles occasions de querelles. Dans chaque maison celui qui y rentrait fut tenu d'admettre au partage du logement l'hôte qui s'y était établi, et qui eut le droit d'y séjourner à volonté. L'ancien propriétaire ne devait jouir de cette portion qu'à la retraite de cet incommode voisin.

      Philippe avait regagné la France, content d'avoir vu Ptolémaïs hors des mains des infidèles, et peu soigneux de pousser l'exécution de son voeu jusque sous les murs de Jérusalem. La guerre s'étant rallumée, Richard annonça qu'il marchait à la conquête de la terre sainte; mais il n'alla pas loin sur ce chemin, arrêté, disait-il, parce que les lieutenants à qui Philippe avait laissé son armée refusaient de le suivre. Il n'en exerça pas moins sa valeur brillante, dont la renommée passa en proverbe chez les Sarrasins. Mais il combattit sans s'éloigner des côtes, en négociant toujours. Il lui tardait de retourner en Occident, et l'on sentait qu'il ne demandait qu'une voie honorable pour repartir. Saladin devait désirer, à son tour, la retraite d'un ennemi si puissant, après lequel il ne resterait aux chrétiens que des forces sans chefs dans des établissements prêts à tomber par leurs propres discordes. Déjà Richard et Conrad, marquis de Montferrat, étaient en querelle déclarée. Le vain titre de roi de Jérusalem retenu par Lusignan, après la mort de cette reine qui l'avait couronné seule, était revendiqué par Conrad, et cette contention divisait tous les croisés. Les hospitaliers et les templiers suivaient des partis différents; les Pisans avaient adhéré à Richard, protecteur de Lusignan; les Génois devaient être pour Montferrat. Les deux peuples en vinrent aux mains dans Ptolémaïs. Richard qui y dominait chassa les Génois de cette ville. Le marquis les reçut dans Tyr (1192). Bientôt ce prince, le plus puissant de ceux que leurs possessions destinaient à se fixer en Syrie, fut tué par des Arabes de cette tribu que nos annalistes nomment les assassins. Saladin, pour tenir le sort des croisés entre ses mains, n'eut plus qu'à désirer le prompt départ du roi d'Angleterre. Il le hâta par un traité dans lequel il déploya une générosité au moins apparente. L'accès de Jérusalem fut libre à la piété des chrétiens. Une trêve consolida les établissements maritimes. Saladin rendit Caïpha, Assur, Césarée, Jaffa, et, quand il eut fait démolir Ascalon, il laissa aux Latins tout le rivage de Jaffa jusqu'à Tyr.

      Tout fut réglé sans faire mention de Guy de Lusignan, et de son titre de roi de Jérusalem. Mais il acquit une souveraineté plus réelle. Il acheta la couronne de Chypre, de Richard d'Angleterre qui avait pris possession de cette île à son arrivée, et qui, repartant, n'avait plus qu'à la revendre.

      Après la trêve, le royaume de Jérusalem n'existait guère que de nom. Les chrétiens n'y avaient plus de centre commun; les affaires des chevaliers et des barons déclinèrent. Mais les peuples marchands et navigateurs peuvent se passer de domination là où ils négocient. A défaut de protection publique, ils savent au besoin se protéger eux-mêmes par la promptitude des mouvements, par la souplesse et la vigilance. Ils ne demandent que libre accès et des magasins un peu sûrs. Là où ils trouvent ces avantages, ils se rangent aisément à la neutralité. Ils font même leurs affaires chez l'ennemi si le profit paye le risque. Les Génois n'interrompirent point leur commerce, ils firent avec les villes de Syrie, soumises à Saladin, ce qu'ils avaient fait à Alexandrie, qu'ils fréquentaient malgré la guerre. Ils se répandirent à l'intérieur, ils connurent Alep et Damas. Cependant, attentifs à tous les intérêts au milieu des croisés, toutes les fois qu'un nouveau maître ou un nouveau compétiteur parvient au pouvoir dans une principauté, nous trouvons de nouveaux décrets qui confirment et souvent augmentent leurs privilèges. Guy, ce roi de Jérusalem sans territoire, leur accorde et leur renouvelle des concessions étendues3. Un de ses

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