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       Eugène Demolder

      Le jardinier de la Pompadour

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066087005

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       Table des matières

      Avec l'alouette la maison de Jasmin Buguet s'éveilla dans le matin de septembre.

      Elle ouvrit ses volets, lâcha les pigeons, pendit trois cages à ses murs escaladés par les vignes.

      À travers la brume les petits carreaux des fenêtres rirent sous le toit en tuiles rousses; la lucarne qui donnait sur le village s'enflamma au reflet de l'aurore.

      Cette humble demeure s'érigeait à Boissise-la-Bertrand, un village juché au bord de la Seine, à une lieue en aval de Melun, au long de la rive droite. Elle se présentait la première, quand on arrivait par le chemin de Saint-Port; elle regardait le cours d'eau, très large vers cet endroit, et haute d'un seul étage s'adossait à la pente du coteau sur lequel s'étendait le jardin.

      Le plus beau des jardins! Les Buguet étaient fleuristes de père en fils. Leurs plates-bandes rivalisaient d'éclat avec celles du petit château voisin, badigeonné de jaune et qui appartenait aux marquis d'Orangis. Jasmin avait la coquetterie de sa flore. Dès le printemps il exposait sous la treille, appuyés à la façade du logis, des petits «théâtres de fleurs»: assemblages de plantes qui s'élevaient sur des gradins les unes derrière les autres, en sorte que l'œil et la main se pouvaient porter partout sans obstacle. Il y mettait des oreilles d'ours, des renoncules d'or, des anémones; elles alternaient avec les tulipes jaspées qui éclairaient de leur flamme cette parade printanière. Un marronnier d'Inde abritait l'étal qu'eût dévoré le soleil. En été Jasmin disposait sur les gradins les œillets rouges, les glaïeuls et la campanule-carillon. L'automne y faisait épanouir les géraniums, les tricolors, les chrysanthèmes.

      Or ce jour de septembre le jardinier se leva avec le soleil. La veille, avant de retourner au château, Martine Bécot, la chambrière de Mme d'Étioles, lui avait dit en ouvrant des yeux cajoleurs:

      —Je suis en peine, Jasmin! Il me faut demain des fleurs roses pour orner le phaëton de ma maîtresse. Je ne sais où les trouver!

      Buguet s'était planté un œillet au coin de la bouche et avait répondu, fanfaron:

      —Je te donnerai toutes les fleurs de mon jardin, si tu viens prendre celle-ci avec tes dents!

      Martine avait obéi. C'est pourquoi dès l'aurore Jasmin coupait les fleurs de six grands lauriers roses qui dans leurs caisses peintes en vert clair s'alignaient devant sa maison.

      Ah! C'est bien pour l'amour de Martine qu'il abattit d'un coup ces rameaux qui balançaient au vent leurs calices parfumés! Il les sacrifia tous: la maisonnette fit grise mine, sa parure enlevée, et ce fut avec mélancolie que Jasmin couvrit la grande corbeille où il avait couché les jolis nériums, après avoir eu soin d'envelopper chaque branche de mousse humide.

      A six heures une charrette s'arrêta devant la porte; c'était Rémy Gosset, le parrain à Martine. Il venait prendre les fleurs: «Ça ne le gênait guère, car il allait à Corbeil porter son beurre, son fromage et ses œufs.»

      Jasmin veilla à ce que le précieux envoi ne fût pas déposé sur les caisses à fromages: il l'installa lui-même au-dessus des paniers d'œufs et fît promettre au bonhomme de se rendre d'abord au château d'Étioles.

      —J'y serai sur le coup de neuf heures, affirma Gosset.

      Il fit serment de remettre la corbeille à Martine elle-même, afin que personne ne laissât traîner au soleil la délicate marchandise.

      D'un coup de fouet il enleva son bidet: la bâche verte de la charrette tourna dans la ruelle et disparut.

      Jasmin resta sur la route et suivit des yeux le courant de la Seine: des bateaux de Bourgogne descendaient vers Paris des tonnes cerclées de neuf et avançaient lentement dans le brouillard du matin.

      Comme le jardinier les regardait, une fenêtre de la maison s'ouvrit et une vieille femme en bonnet de nuit apparut:

      —Jasmin! Jasmin! Arrive donc! cria-t-elle.

      —Voilà! voilà! mère!

      Quand il rentra, la vieille était descendue. Elle apostropha gaiement son fils:

      —Eh bien, mon gars! T'as la puce à l'oreille? C'est-y pour voir couler la Seine que tu t'es levé si tôt? A ton aise, après tout! Les cuisse-madame et les mouille-bouche sont cueillies. Les calvilles peuvent attendre. Déjeune!

      Elle poussa sur la table une miche, du lard et un cruchon. Jasmin sortit un couteau de sa poche, se servit, mangea, but à même la cruche.

      —L'aurore creuse l'estomac, dit-il.

      La mère allumait une flambée de sarments sous le trépied, au milieu de la grande cheminée. Le fagot fuma: la vieille n'en fut point gênée; elle se versa du lait dans une écuelle en terre, qu'elle mit sur les flammes; puis elle tailla quelques tranches de pain bis: quand l'ébullition commença, elle les jeta dans le lait, sala, poivra et laissa mijoter.

      Ces préparatifs firent tousser Jasmin.

      —Je vais prendre l'air, dit-il.

      —C'est la fumée qui te chasse, fieu! Va sentir d'où le vent vient! Tu me le diras!

      Jasmin sortit. A ce moment le ciel devint plus transparent. Sur l'eau flottaient des brumes: avides de lumière autant

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