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est opposée à M. Debs, n'est-ce pas? demanda Berthe d'une voix qui tremblait.

      —Peux-tu en douter?

      —Et maman?

      —Ta mère n'avait jamais pensé à ce mariage, mais elle n'y fera pas d'opposition si de ton côté tu le désires?

      —Et toi, papa?

      Cela fut demandé d'une voix douce et émue qui remua le coeur du père.

      —Tu sais bien que je ne veux que ce que tu veux.

      Elle se serra contre lui.

      —C'est justement pour cela qu'il faut que tu t'expliques franchement. Tu dois comprendre que ce n'est pas pour t'obliger à te confesser que je te presse; que ce n'est pas pour lire dans ton coeur et pour te forcer, sans un intérêt majeur, à y lire toi-même. Je sens très bien que c'est un sujet délicat sur lequel une jeune fille à l'âme innocente comme l'est la tienne voudrait ne pas se prononcer et sur lequel un père, crois-le bien, voudrait n'avoir pas à appuyer. Mais il le faut.

      —Je n'ai rien à te cacher.

      —J'en suis certain et c'est ce qui me fait insister: depuis que tu as commencé à grandir, je t'ai mariée déjà bien des fois, mais jamais sans que nous soyons d'accord. C'est pour voir si maintenant cet accord existe que je te demande de me parler à coeur ouvert. Est-ce donc impossible?

      —Oh! non.

      —Qui prendras-tu pour confident, si ce n'est ton père? Où en trouveras-tu un qui t'écoute avec plus de sympathie?

      Ils marchèrent quelques instants silencieusement et quittèrent la futaie pour entrer dans la forêt.

      —Eh bien? demanda-t-il, voyant qu'elle ne se décidait point et voulant l'encourager.

      Mais ce ne fut pas une réponse qu'il obtint, ce fut une nouvelle question:

      —Pour voir si l'accord dont tu parles existe, ne peux-tu me dire ce que tu penses toi-même de M. Debs?

      —Je n'en pense que du bien; c'est un honnête garçon.

      —N'est-ce pas?

      —Travailleur.

      —N'est-ce pas?

      —Aimable, doux, sympathique à tous les points de vue.

      —Alors il te plaît?

      —Je t'ai mariée en espérance avec des maris qui ne valaient certes pas celui-là.

      Elle regardait son père avec un visage rayonnant, devinant ses paroles avant qu'il eût achevé de les prononcer.

      —Je sais bien que dans un mariage il n'y a pas que le mari, il y a le mariage lui-même, dit-elle.

      —Et ce n'est pas du tout la même chose.

      —Serais-tu aussi favorable au mariage que tu l'es à M. Debs, le mari?

      —Tu m'interroges quand c'est à toi de répondre.

      —Oh! je t'en prie, papa, cher petit père!

      Il ne lui avait jamais résisté, même quand elle demandait l'impossible.

      Elle lui sourit tendrement:

      —Qui prendras-tu pour confidente, si ce n'est ta fille?

      —Gamine!

      —Je t'en prie, réponds-moi franchement!

      —Eh bien! non! je ne suis pas aussi favorable au mariage qu'au mari.

      Evidemment, elle ne s'attendait pas du tout à cette réponse; elle pâlit et resta un moment sans trouver une parole.

      —Tu as des raisons pour t'y opposer? dit-elle enfin.

      —Il y a des raisons qui lui sont contraires.

      —Des raisons... graves?

      —Malheureusement.

      —Qui te sont personnelles?

      —Qui viennent de ta grand'mère et de notre situation.

      —Mais on peut se marier, dit-elle vivement avec feu, sans abjurer sa religion; la femme d'un juif ne devient pas juive; un juif qui épouse une chrétienne ne se fait pas chrétien; chacun garde sa foi.

      —C'est à ta grand'mère qu'il faut faire comprendre cela, et ce n'est pas chose facile; me le dire à moi, c'est prêcher un converti; tu sais comme ta grand'mère est rigoureuse pour tout ce qui touche à sa foi, et, d'autre part, elle est d'une époque où les juifs étaient victimes de préjugés qui pour elle ont conservé toute leur force.

      Ils étaient arrivés à un endroit où le chemin bourbeux les obligea à se séparer; sur le sol plat et argileux, l'eau de la nuit ne s'était point écoulée et elle formait çà et là des flaques jaunes qu'il fallait tourner ou sauter.

      —Et quelles sont les raisons qui viennent de notre situation? demanda-t-elle.

      —Tu les as pressenties tout à l'heure en me demandant si Michel Debs savait la vérité sur nos affaires. S'il connaît la vérité et veut t'épouser, c'est, comme tu le dis très bien, qu'il t'aime, et qu'avant la fortune il fait passer la femme. Il t'épouse pour toi, non pour ta dot; pour ta beauté, pour tes qualités, parce que tu lui plais, enfin parce qu'il t'aime.

      —Cela est possible, n'est-ce pas?

      —Assurément; mais le contraire aussi est possible; c'est-à-dire que, tout en étant sensible à tes qualités, Michel Debs peut l'être aussi à la fortune qui semble devoir te revenir un jour; au lieu d'un mariage d'amour tel que nous le supposons dans le premier cas, il s'agit alors simplement d'un mariage de convenance: l'un des associés de la maison Eck et Debs trouve que c'est une bonne affaire d'épouser la fille de Constant Adeline et il la demande. Note bien, mon enfant, que je ne dis pas que cela soit, mais simplement que cela peut être. Alors que se passe-t-il quand il apprend que cette affaire, au lieu d'être bonne, comme il le croyait, est médiocre ou même mauvaise? Il ne la fait point, n'est-ce pas? et c'est un mariage manqué. Je ne voudrais pas de mariage manqué pour toi. Et je n'en voudrais pas pour nous. Pour toi ce serait humiliant; pour nous ce serait désastreux. C'est quand le crédit d'une maison est ébranlé qu'il faut de la prudence; et ce ne serait point être prudent que de nous exposer à donner un aliment aux bavardages du monde. N'entends-tu pas ce qu'on ne manquerait pas de dire: «Pourquoi Michel Debs n'a-t-il pas épousé Berthe Adeline?—Parce qu'il n'a pas voulu d'une fille ruinée.» Parler couramment de la ruine d'une maison dont les affaires sont embarrassées, c'est la précipiter. Voilà pourquoi, avant de répondre à M. Eck, j'ai voulu t'interroger et te demander de me dire franchement si tu désires ce mariage. Tu comprends que s'il t'est indifférent et que si tu ne vois en Michel Debs qu'un mari comme un autre, auquel tu n'as pas de raisons particulières pour tenir, il est sage de répondre par un refus: nous échappons ainsi à une lutte avec ta grand'mère; et d'autre part nous évitons les dangers du mariage manqué. Au contraire, si Michel te plaît, si tu vois en lui le mari qui doit assurer le bonheur de ta vie, il ne s'agit plus de se dérober, il faut aborder la situation en face, si périlleuse qu'elle puisse être pour toi comme pour nous, affronter le mécontentement de ta grand'mère, et courir aussi l'aventure d'un refus de Michel Debs ne trouvant pas la dot sur laquelle il comptait... peut-être.

      —Qui dit que M. Debs est un homme d'argent?

      —Ce n'est pas moi; mais tu conviendras qu'il est possible qu'il le soit; si tu as des raisons pour croire qu'il ne l'est pas, dis-les; tu vois que, par la force même des choses, nous voilà ramenés au point d'où nous sommes partis et que tu es obligée de répondre franchement, puisque ce sont tes sentiments qui dicteront notre conduite.

      Et oui, sans doute, elle voyait que la force des choses les avait ramenés au point d'où ils étaient partis, mais la situation n'était plus du tout la même pour elle, agrandie qu'elle était, rendue

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