Скачать книгу

Je ne venais pas précisément chez vous... je croyais m'introduire chez M. Bénoni, le locataire du dessus...

      —Oui... c'est juste... mais alors, il faut y aller, chez ce M. Bénoni, et sans tarder encore...

      —Trop tard!

      —Trop tard!... et pourquoi cela?

      —M. Bénoni doit être rentré maintenant.

      —Qu'en savez-vous?

      —J'en suis à peu près sûr... Vous pensez bien qu'avant de «partir en expédition», je m'étais renseigné...

      —Et qui donc vous avait renseigné?

      —Le domestique...

      —Il faudra vous aboucher avec lui, et cela dès demain... Peut-être que demain soir vous pourriez «tenter le coup» de nouveau.

      Manzana baissait de plus en plus dans mon estime. Cet homme, qui avait paru s'indigner que je crochetasse sa serrure, me pressait maintenant d'aller cambrioler ses voisins. C'était décidément un bien triste individu. Et dire que les circonstances m'avaient associé à une pareille fripouille!

      Comme je ne répondais pas, il s'emporta:

      —Eh bien... quand vous me regarderez avec un air hébété... Voyez-vous une autre solution?

      —Pour le moment... non.

      —Peut-être bien que demain vous aurez une inspiration... la nuit porte conseil... Allons, il est tard... c'est le moment de se mettre au lit... Je vous céderais bien ma chambre, mais méfiant comme vous l'êtes, vous verriez encore là quelque piège... Il est plus simple que nous couchions ici tous deux... près du coffre-fort... Venez avec moi, nous allons chercher un matelas et des couvertures.

      Manzana ouvrit une porte et me poussa devant lui. Nous traversâmes un salon confortablement meublé, une salle à manger gothique, puis nous arrivâmes dans la chambre, où régnait un affreux désordre... Le lit était défait; des habits, du linge, des chaussures traînaient çà et là, pêle-mêle.

      —Prenez le matelas, me dit-il, moi je me charge des couvertures.

      Quelques instants après, mon associé et moi étions installés dans le bureau, lui sur le divan, moi sur le matelas. Nous avions laissé l'électricité allumée et, de temps à autre, nos regards se rencontraient. Manzana finit par s'endormir. Je me soulevai doucement et le regardai. Il était couché sur le dos, la tête légèrement renversée... Son bras droit pendait le long du divan et sa main qui rasait presque le parquet tenait toujours le maudit browning!

      J'eus un moment l'idée de me précipiter sur cette main, de m'emparer du revolver. Au premier mouvement que je fis, Manzana se réveilla. Comme tous les gens qui n'ont pas la conscience tranquille, il ne dormait que d'un œil. Décidément, il n'y avait rien à tenter. J'étais le prisonnier de cet homme!

      Avais-je été assez stupide aussi! J'aurais dû remarquer qu'il y avait un entresol dans la maison... Si j'avais été moins étourdi, j'aurais, à cette heure, reposé tranquillement chez moi, la sacoche bien garnie, grâce au père Bénoni, et prêt, dès le lendemain, à m'embarquer pour la Hollande.

      Au lieu de cela, j'étais maintenant l'associé d'un affreux rasta, capable de tout, et Dieu seul savait ce que me réservait l'avenir! Manzana pouvait me «jouer le tour», c'est-à-dire s'enfuir avec mon diamant; il était bien capable aussi de me supprimer pour demeurer seul propriétaire du Régent...

      Ainsi, j'avais risqué le plus audacieux des cambriolages pour enrichir un individu cynique et malappris qui, malgré la particule accolée à son nom, n'avait rien d'un gentleman!

      Ah! Edith! Edith! dans quelle situation m'aviez-vous mis, ingrate et stupide créature!

       Table des matières

      OU J'APPRENDS A MIEUX CONNAITRE MON ASSOCIÉ

      Le lecteur s'imaginera sans peine ce que fut la nuit que je passai, boulevard de Courcelles, en compagnie de Melchior de Manzana. Je ne fermai pas l'œil une minute et je crois que mon associé dormit très mal, lui aussi.

      Quand le jour parut, je m'assis sur mon matelas et regardai mon compagnon. Il était éveillé.

      —Eh bien, mon cher Pipe, me dit-il, avez-vous réfléchi?

      —A quoi? demandai-je.

      —Mais à notre affaire, parbleu!

      —Notre affaire!... elle n'est guère plus avancée qu'hier.

      —Certes, mais aujourd'hui, demain au plus tard, j'espère que nous serons tirés d'embarras. Nous allons sortir... vous tâcherez de vous aboucher de nouveau avec le domestique de M. Bénoni, de le faire parler et de savoir si son patron s'absente ce soir...

      —Je vous avouerai que je ne me sens plus aucun goût pour le cambriolage... La petite aventure de cette nuit m'a tout à fait refroidi...

      —Bah! il ne faut plus songer à cela... du nerf, que diable!...

      —Vous en parlez à votre aise... Et si je me fais pincer?... vous vous en moquez, n'est-ce pas? vous aurez toujours le diamant, tandis que moi...

      —Mais non... mais non... vous ne vous ferez pas pincer... Le tout est de bien prendre vos informations avant de risquer le coup...

      Il y eut un silence. Manzana s'était levé, moi aussi, et nous demeurions face à face, indécis et maussades.

      —Ecoutez, dis-je enfin, nous sommes associés, n'est-ce pas?

      —Mais certainement.

      —Or, deux associés, dans quelque affaire que ce soit, doivent courir les mêmes risques... Il ne serait pas juste que l'un assumât toutes les responsabilités, tandis que l'autre se contenterait tout bonnement de recueillir les bénéfices...

      —Je suis de cet avis, mon cher Pipe...

      —J'en étais persuadé, mon cher Manzana. Donc, puisque nous sommes bien d'accord, réglons un peu notre petite expédition de ce soir...

      —La vôtre, voulez-vous dire.

      —Pardon, mon cher ami, la nôtre...

      —Alors, vous croyez que je vais vous accompagner chez M. Bénoni?

      —Et pourquoi pas?

      —Cela n'a pas été convenu...

      —Voilà que vous me lâchez déjà...

      —Non, mais...

      —Mais quoi?

      —Je ne suis pas un cambrioleur, moi.

      —Cependant, vous n'hésitez pas à partager le produit d'un vol... vous êtes, par conséquent, mon complice et si, par malheur, je suis pris, tant pis pour vous... On vous arrête, on saisit le diamant et nous allons tous deux moisir en prison...

      Manzana était troublé. Il avança la main vers le revolver qu'il avait, l'instant d'avant, replacé sur son bureau, mais il la retira vivement, un peu honteux de ce geste qui prouvait trop la faiblesse de son argumentation.

      —Vous serez bien avancé, lui dis-je, quand vous m'aurez tué... Un coup de feu, cela fait du bruit... on viendra... vous serez pris et vous savez... ces petites plaisanteries-là coûtent cher... les travaux forcés à perpétuité... pour le moins...

      Mon interlocuteur me regarda fixement... Il eut sans doute conscience de l'infamie de sa conduite, car il me tendit la main, en disant:

      —Soit, je vous accompagnerai, mais à une condition...

      —Laquelle?

Скачать книгу