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hier pendant notre conversation, je vous ai dit que votre ami s'était aperçu que vous aviez du chagrin: c'est vrai, j'ai ajouté: Il croit que vous aimez; j'allais achever, et vous m'avez interrompu avec vivacité, croyant que je vous parlais de votre amour, tant le coeur se persuade facilement qu'on s'occupe de ce qui l'occupe! j'avais tout autre chose à vous dire… Mais je vois le comte qui s'avance, tranquillisez-vous, il ne sait rien.

      Ernest, vit-on jamais une plus angélique bonté? Et ne pas oser lui dire tout ce qu'elle inspire! Lui faire croire, lui persuader qu'on en peut aimer une autre quand une fois on l'a connue. O mon ami, cet effort est bien grand!

      Lettre XI.

      Vienne, le…

      Nous sommes arrivés à Vienne. Le comte m'a prié d'aller avec lui dans le monde: j'y étais décidé. Il faut bien m'éloigner, autant que je le pourrai, de Valérie; elle est résolue à ne point faire de connaissance ici, à rester chez elle et à ne voir qu'une jeune femme avec qui elle a passé quelque temps à Stockholm.

      Le comte m'a regardé hier de manière à m'embarrasser beaucoup; il m'a reproché doucement d'avoir de l'inégalité dans le caractère, d'être singulier: j'ai rougi. — Votre père, mon cher Gustave, avait le même besoin d'être seul; sa santé délicate lui faisait redouter le grand monde; mais à votre âge, mon ami, il faut apprendre à vivre avec les hommes. Et que deviendrez-vous un jour, si à vingt ans vous fuyez vos meilleurs amis? — Depuis huit jours je n'ai pas été un instant sans chercher à m'éviter moi-même; j'ai senti toute la fatigue attachée à l'envie de s'amuser. J'ai vu des bals, des dîners, des spectacles, des promenades, et j'ai dit cent fois que j'admirais la magnificence de cette ville tant vantée par les étrangers. Cependant je n'ai pas obtenu un seul moment de plaisir. La solitude des fêtes est si aride; celle de la nature nous aide toujours à tirer quelque chose de satisfaisant de notre âme; celle du monde nous fait voir une foule d'objets qui nous empêchent d'être à nous et ne nous donnent rien.

      Si je pouvais observer, former mon jugement, m'amuser des ridicules! mais je sens trop vivement pour que cela me soit possible. Si j'osais m'occuper de l'objet que je fuis, je ne me trouverais plus seul au milieu de ces rassemblements; je parlerais à Valérie absente, et n'écouterais personne; mais je ne puis me permettre ce dangereux plaisir, et je travaille sans cesse à en éloigner la pensée.

      Lettre XII.

      ERNEST A GUSTAVE.

      Hollyn, le…

      Cette lettre, cher Gustave, t'apportera au milieu des beaux pays que tu habites maintenant les parfums de notre printemps et les souvenirs de la patrie. Oui, mon ami, les cieux se sont ouverts, des milliers de fleurs sont revenues sur les prairies de Hollyn, que nos pieds foulèrent si souvent ensemble. Que ne sommes-nous encore réunis! nous traverserions ces vastes forêts, nous poursuivrions l'élan jusque dans ses retraites les plus cachées; mais, sans le blesser, nous le laisserions à sa sauvage liberté, et, charmés du silence et de la solitude, nous nous reposerions, comme nous le fîmes si souvent, de nos courses vagabondes. Ce besoin d'errer sans projet, sans dessein, t'ôtait quelque chose de ces forces trop actives, trop dévorantes. Oh! que n'es-tu encore ici! que ne calmes-tu ainsi cette agitation de ton âme qui te jette maintenant dans des dangers que je crains tant pour toi! Tu le sais, Gustave, je n'ai jamais redouté l'amour; il est désarmé pour moi, par la tranquillité de mon imagination, par une foule d'habitudes douces, de sensations peut-être monotones, mais qui par là même ont un empire continuel. Ma vie se compose d'un doux bien-être, et je ressemble à ces végétaux de l'Inde que la nature destina à garantir de l'orage, puisque l'orage ne les frappe jamais. C'est ainsi que je me crois plus fait que bien d'autres pour calmer, pour diriger un peu les mouvements trop exaltés de ton âme. Ce n'est pas ton absence seule qui me chagrine, c'est cette passion que chaque jour verra augmenter avec les charmes et surtout avec les vertus de Valérie. Oui, Gustave, elle croîtra avec ces dangereuses compagnes, elle consumera ces forces avec lesquelles tu luttes encore. Oh! crois-moi, reviens, arrache-toi à ces funestes habitudes! Ouvre ton âme à cet ami que tu m'as appris à respecter; reviens: n'a-t-il pas pour but ton bonheur et pour règle ses devoirs? Ton âme vaste et grande le frappa, il te crut propre aux plus brillants développements; et, mûri lui-même par l'expérience, appelé à cette auguste adoption par l'amitié, il voulut être ton père, et achever, dans la patrie des arts, cette éducation déjà si heureusement commencée. Mais, s'il voyait cette même âme dévastée, ces grandes facultés anéanties; s'il voyait ton bonheur s'engloutir dans un terrible naufrage, dis-moi, lui-même ne serait-il pas inconsolable? Encore une fois, reviens, change ta dévorante et délicieuse fièvre contre plus de tranquillité. Que dis-je? ta délicieuse fièvre! non, non, Gustave n'a point d'ivresse; pour lui l'amour n'a que des tourments, et ses félicités n'arrivent dans son sein que comme des poignards qui le déchirent.

      Adieu, mon ami, je compte t'écrire bientôt et te parler d'Ida, qui, malgré la coquetterie que tu lui reproches et ses petites imperfections, ne laisse pas que d'être bien bonne et bien aimable.

      (La réponse à cette lettre d'Ernest ne s'est point retrouvée.)

      Lettre XIII.

      Vienne, le…

      Oh! Ernest, je suis le plus malheureux des hommes; Valérie est malade; elle peut être en danger; je ne puis t'écrire, j'ai la fièvre, je sens tous les battements de mon coeur contre la table où je suis appuyé; je ne pourrais compter les tourments que j'ai endurés depuis ce matin.

      A six heures du soir.

      Elle va mieux, elle est tranquille. O Valérie! Valérie! avais-je besoin de ces craintes pour savoir qu'il n'est plus de ressource pour moi, que je t'aime comme un insensé! C'en est fait: il est inutile de lutter contre cette funeste passion. O Ernest! tu ne sais pas combien je suis malheureux. Mais puis-je me plaindre? elle est mieux, elle est hors de danger. Tu ne sais pas comment elle est devenue malade; c'est une chute, mais cette chute n'eût été rien, si… Quelle agitation il m'est resté, quel supplice! ma tête est bouleversée; mais je veux absolument t'écrire; je veux que tu saches combien je suis faible et malheureux.

      Le comte m'annonça, il y a quelques jours, que nous partirions dans peu, afin d'arriver à Venise, de nous y établir; il ajouta que Valérie avait besoin de repos, que son état l'exigeait. Son état, Ernest, cela me frappa. Et quand le comte me dit qu'elle deviendrait mère, qu'il me le dit avec joie, crois-tu qu'au lieu de l'en féliciter, je restais dans une espèce de stupeur; mes bras, au lieu de chercher le comte pour l'embrasser, pour lui témoigner ma joie, se sont croisés machinalement sur moi-même; je trouvais qu'il y avait de la cruauté à exposer cette jeune et charmante Valérie; j'ai beaucoup souffert, et le comte s'en est aperçu. Il m'a dit avec bonté: Vous ne m'écoutez pas; et, voyant que je portais la main à ma tête, il m'a demandé si j'étais malade. — Je vous trouve changé. — Oui, je suis malade, lui ai-je répondu; et, rejetant sur les poêles d'Allemagne, qui sont de fonte, un mal de tête que j'éprouvais réellement, j'ai remercié le comte de sa bonté toujours attentive pour moi; je lui ai dit que son bonheur m'était mille fois plus cher que le mien, et c'était vrai. Au dîner, je n'ai osé rester dans ma chambre, de peur de voir arriver le comte chez moi, de me voir interroger; et cependant j'éprouvais un embarras extrême, j'étais tourmenté par l'idée de revoir Valérie. Il me semblait que tout était changé autour de moi: singulier effet de l'altération de ma raison. Depuis quelque temps, je deviens réellement fou; les tendres attentions du comte pour Valérie m'avaient toujours rappelé celles d'un frère, d'un ami; il est si calme! il a tant de dignité dans sa manière de l'aimer! Valérie est si jeune!

      En entrant dans l'antichambre de la comtesse, j'ai vu un homme qui sortait de chez elle; il avait l'air fort grave: il me semblait qu'il secouait la tête en mettant une espèce de surtout qui était jeté sur une chaise; mon coeur a battu violemment; j'ai cru que c'était un médecin, et que Valérie n'était pas bien; j'ai voulu lui parler, je n'ai osé élever la voix, tant je pensais qu'elle devait être troublée; je suis entré dans la chambre de Valérie; elle était devant une glace; mais, étant encore trop agité, je ne voyais pas ce qu'elle faisait. Cependant je me réjouissais

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