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      Mais tout a coup Catherine eclate de rire. Elle s'ecrie:

      "Oh! que tu es drole, mon petit Jean! que tu es drole!"

      Elle se jette sur lui, elle l'embrasse, le secoue; la lourde couronne lui glisse sur le nez. Et elle repete:

      "Oh! qu'il est drole! qu'il est drole!"

      Et elle rit de plus belle.

      Mais le petit Jean ne rit pas. Il est triste et surpris que ce soit fini et qu'il ne soit plus beau. Il lui en coute de redevenir ordinaire.

      Maintenant la couronne denouee s'est repandue a terre et le petit Jean est redevenu semblable a l'un de nous. Il n'est plus beau. Mais c'est encore un solide gaillard. Il a ressaisi son fouet, et le voila qui tire de l'orniere les six chevaux de ses reves. Les petits enfants imaginent avec facilite les choses qu'ils desirent et qu'ils n'ont pas. Quand ils gardent dans l'age mur cette faculte merveilleuse, on dit qu'ils sont des poetes ou des fous. Le petit Jean crie, frappe et se demene.

      Catherine joue encore avec ses fleurs. Mais il y en a qui meurent. Il y en a d'autres qui s'endorment. Car les fleurs ont leur sommeil comme les animaux, et voici que les campanules, cueillies quelques heures auparavant, ferment leurs cloches violettes et s'endorment dans les petites mains qui les ont separees de la vie. Catherine en serait touchee si elle le savait. Mais Catherine ne sait pas que les plantes dorment ni qu'elles vivent. Elle ne sait rien. Nous ne savons rien non plus et, si nous avons appris que les plantes vivent, nous ne sommes guere plus avances que Catherine, puisque nous ne savons pas ce que c'est que vivre. Peut-etre ne faut-il pas trop nous plaindre de notre ignorance. Si nous savions tout, nous n'oserions plus rien faire et le monde finirait.

      Un souffle leger passe dans l'air et Catherine frissonne. C'est le soir qui vient.

      "J'ai faim", dit le petit Jean.

      Il est juste qu'un conducteur de chevaux mange quand il a faim. Mais

       Catherine n'a pas un morceau de pain pour donner a son petit frere.

      Elle lui dit:

      "Mon petit frere, retournons a la maison." Et ils songent tous deux a la soupe aux choux qui fume dans la marmite pendue a la cremaillere, au milieu de la grande cheminee. Catherine amasse ses fleurs sur son bras et, prenant son petit frere par la main, le conduit vers la maison.

      Le soleil descendait lentement a l'horizon rougi. Les hirondelles, dans leur vol, effleuraient les enfants de leurs ailes immobiles. Le soir etait venu. Catherine et Jean se presserent l'un contre l'autre.

      Catherine laissait tomber une a une ses fleurs sur la route. Ils entendaient, dans le grand silence, la crecelle infatigable du grillon. Ils avaient peur tous deux et ils etaient tristes, parce que la tristesse du soir penetrait leurs petites ames. Ce qui les entourait leur etait familier, mais ils ne reconnaissent plus ce qu'ils connaissaient le mieux.

      Il semblait tout a coup que la terre fut trop grande et trop vieille pour eux. Ils etaient las et ils craignaient de ne jamais arriver dans la maison ou leur mere faisait la soupe pour toute la famille. Le petit Jean n'agitait plus son fouet. Catherine laissa glisser de sa main fatiguee sa derniere fleur. Elle tirait son petit frere par le bras et tous deux se taisaient.

      Enfin, ils virent de loin le toit de leur maison qui fumait dans le ciel assombri. Alors, ils s'arreterent, et tous deux, frappant des mains, pousserent des cris de joie. Catherine embrassa son petit frere, puis, ils se mirent ensemble a courir de toute la force de leurs pieds fatigues. Quand ils entrerent dans le village, des femmes qui revenaient des champs leur donnerent le bonsoir. Ils respirerent. La mere etait sur le seuil, en bonnet blanc, l'ecumoire a la main.

      "Allons, les petits, allons donc!" cria-t-elle. Et ils se jeterent dans ses bras. En entrant dans la salle ou fumait la soupe aux choux, Catherine frissonna de nouveau. Elle avait vu la nuit descendre sur la terre. Jean, assis sur la bancelle, le menton a la hauteur de la table, mangeait deja sa soupe.

      LES FAUTES DES GRANDS

      Les routes ressemblent a des rivieres. Cela tient a ce que les rivieres sont des routes; ce sont des routes naturelles sur lesquelles on voyage avec des bottes de sept lieues; quel autre nom conviendrait mieux a des barques? Et les routes sont comme des rivieres que l'homme a faites pour l'homme.

      Les routes, les belles routes aussi unies que la surface d'une fleuve et sur lesquelles la roue de la voiture et la semelle du soulier trouvent un appui a la fois solide et doux, ce sont les chefs-d'oeuvre de nos peres qui sont morts sans laisser leur nom et que nous ne connaissons que par leurs bienfaits. Qu'elles soient benies, ces routes par lesquelles les fruits de la terre nous viennent abondamment et qui rapprochent les amis.

      C'est pour aller voir un ami, l'ami Jean, que Roger, Marcel, Bernard, Jacques et Etienne ont pris la route nationale qui deroule au soleil, le long des pres et des champs, son joli ruban jaune, traverse les bourgs et les hameaux et conduit, dit-on, jusqu'a la mer ou sont les navires.

      Les cinq compagnons ne vont pas si loin. Mais il leur faut faire une belle course d'un kilometre pour atteindre la maison de l'ami Jean.

      Les voila partis. On les a laisses aller seuls, sur la foi de leurs promesses; ils se sont engages a marcher sagement, a ne point ecarter du droit chemin, a eviter les chevaux et les voitures et a ne point quitter Etienne, le plus petit de la bande.

      Les voila partis. Ils s'avancent en ordre sur une seule ligne. On ne peut mieux partir. Pourtant, il y a un defaut a cette belle ordonnance. Etienne est trop petit.

      Un grand courage s'allume en lui. Il s'efforce, il hate le pas. Il ouvre toute grande ses courtes jambes. Il agite ses bras par surcroit. Mais il est trop petit, il ne peut pas suivre ses amis. Il reste en arriere. C'est fatal; les philosophes savent que les memes causes produisent toujours les memes effets. Mais Jacques, ni Bernard, ni Marcel, ni meme Roger, ne sont des philosophes. Ils marchent selon leurs jambes, le pauvre Etienne marche avec les siennes: il n'y a pas de concert possible. Etienne court, souffle, crie, mais il reste en arriere.

      Les grands, ses aines, devraient l'attendre, direz-vous, et regler leur pas sur le sien. Helas, ce serait de leur part une haute vertu. Ils sont en cela comme les hommes. En avant, disent les forts de ce monde, et ils laissent les faibles en arriere. Mais attendez la fin de l'histoire.

      Tout a coup, nos grands, nos forts, nos quatre gaillards s'arretent. Ils ont vu par terre une bete qui saute. La bete saute parce qu'elle est une grenouille, et qu'elle veut gagner le pre qui longe la route. Ce pre, c'est sa patrie: il lui est cher, elle y a son manoir aupres d'un ruisseau. Elle saute.

      C'est une grande curiosite naturelle qu'une grenouille.

      Celle-ci est verte; elle a l'air d'une feuille vivante, et cet air lui donne quelque chose de merveilleux. Bernard, Roger, Jacques et Marcel se jettent a sa poursuite. Adieu Etienne, et la belle route toute jaune; adieu leur promesse. Les voila dans le pre, bientot ils sentent leurs pieds s'enfoncer dans la terre grasse qui nourrit une herbe epaisse. Quelques pas encore et ils s'embourbent jusqu'aux genoux. L'herbe cachait un marecage.

      Ils s'en tirent a grand'peine. Leurs souliers, leurs chaussettes, leurs mollets sont noirs. C'est la nymphe du pre vert qui a mis les guetres de fange aux quatre desobeissants.

      Etienne les rejoint tout essouffle. Il ne sait, en les voyant ainsi chausses, s'il doit se rejouir ou s'attrister. Il medite en son ame innocente les catastrophes qui frappent les grands et les forts. Quant aux quatre guetres, ils retournent piteusement sur leurs pas, car le moyen, je vous prie, d'aller voir l'ami Jean en pareil equipage? Quand ils rentreront a la maison, leurs meres liront leur faute sur leurs jambes, tandis que la candeur du petit Etienne reluira sur ses mollets roses.

      JAQUELINE ET MIRAUT

      Jacqueline et Miraut sont de vieux amis. Jacqueline est une petite fille et Miraut est un gros chien.

      Ils sont du meme monde, ils sont tous deux rustiques: de la leur intimite profonde. Depuis quand se connaissaient-ils? ils ne savent plus: cela passe la memoire

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