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par un rapprochement dangereux.

      —Ne songe qu'à toi, mon cher ami, s'écria gaiement Édouard, oui, oui, surveille-toi de près, garde-toi du D; que deviendrait le B, si on lui arrachait son C?

      —Il me semble, dit Charlotte, que sa position ne serait ni embarrassante ni malheureuse.

      —C'est juste, répondit Édouard, il reviendrait tout entier à son A chéri.

      Et se levant vivement, il pressa sa femme dans ses bras.

       Table des matières

      La voiture qui ramenait Ottilie venait d'entrer dans la cour du château, et Charlotte s'empressa d'aller recevoir l'aimable enfant qui se prosterna devant elle et enlaça ses genoux.

      —Pourquoi t'humilier ainsi? dit Charlotte en la relevant d'un air embarrassé.

      —Je n'ai pas l'intention de m'humilier, répondit Ottilie, sans changer de position; mais j'aime à me rappeler le temps où ma tête s'élevait à peine à vos genoux, car alors déjà j'étais sûre de votre tendresse maternelle.

      Charlotte l'attira sur son coeur, puis elle la présenta à son mari et au Capitaine qui la reçurent avec une politesse affectueuse. Elle était belle, et la beauté trouve toujours et partout un accueil favorable.

      Ottilie écouta attentivement, mais elle ne prit aucune part à la conversation.

      Le lendemain matin Édouard dit à sa femme:

      —Ta nièce est très-aimable et sa conversation est fort amusante.

      —Fort amusante? mais elle n'a pas ouvert la bouche, répondit

       Charlotte en riant.

      —C'est singulier! murmura le Baron, comme s'il cherchait à recueillir ses souvenirs.

      Quelques indications générales sur les habitudes et les allures de la maison, suffirent à Ottilie pour la mettre bientôt à même de la diriger sans le secours de sa tante. Saisissant avec un tact merveilleux ce qui pouvait être agréable à chacun, elle donnait des ordres sans avoir l'air de commander; on lui obéissait avec plaisir, et lorsqu'elle s'apercevait d'un oubli ou d'une négligence, elle y remédiait sans gronder et en faisant elle-même ce qu'elle avait ordonné de faire.

      Ses fonctions de ménagère lui laissant beaucoup d'heures de loisir, elle pria sa tante de lui aider à les employer à la continuation des études qui, au pensionnat, occupaient toutes ses journées. Elle travaillait avec ordre, et de manière à confirmer tout ce que le professeur avait dit de ses facultés intellectuelles. Pour donner plus d'assurance à sa main, Charlotte lui glissait des plumes déjà fatiguées, mais la jeune fille les retaillait aussitôt pour les rendre dures et pointues.

      Les dames étaient convenues de ne parler entre elles qu'en français; c'était un moyen d'exercer Ottilie en cette langue qui semblait avoir le pouvoir de la rendre plus communicative, parce qu'en employant cet idiome, elle accomplissait le devoir qu'on lui avait imposé de se le rendre plus familier par la pratique. Quand elle s'en servait, elle disait souvent plus qu'elle n'en avait l'intention. Le tableau spirituel, quoique toujours bienveillant, qu'elle faisait de la vie et des intrigues du pensionnat, amusa beaucoup Charlotte; et la bonté qui dominait dans tous ses récits et que sa conduite justifiait, lui prouva que bientôt cette jeune fille serait pour elle une amie aussi sûre que fidèle.

      Voulant comparer les rapports du professeur et de la sous-maîtresse sur Ottilie avec ce que cette enfant disait et faisait sous ses yeux, Charlotte relisait souvent ces rapports. Selon ses principes, on ne pouvait jamais apprendre trop tôt à connaître le caractère des personnes avec lesquelles on devait vivre, parce que c'est le seul moyen de savoir ce que l'on peut craindre ou espérer de leur part; quels travers il faut se résigner à pardonner, et de quels défauts il est possible de les corriger. Cet examen ne lui apprit rien de nouveau; mais ce qu'elle savait sur son compte lui devint plus clair et elle y attacha plus d'importance. Ce fut ainsi que la trop grande sobriété de cette enfant lui donna des inquiétudes sérieuses.

      S'occupant avant tout de la toilette de sa nièce, Charlotte exigea qu'elle mît plus d'élégance et de richesse dans sa mise.

      A peine lui eut-elle exprimé ce désir, que la jeune fille tailla elle-même les belles étoffes qu'elle avait refusé d'employer au pensionnat, et elle leur donna les formes les plus gracieuses et les plus variées. Ces vêtements à la mode rehaussaient les charmes de sa personne. Les grâces naturelles embellissent les costumes les plus simples; mais lorsqu'une femme douée de ces grâces y ajoute des parures bien choisies et souvent renouvelées, ces séduisantes qualités semblent se multiplier et varier sous nos yeux.

      Cette innocente coquetterie qui n'était chez Ottilie que l'effet de l'obéissance, lui valut l'attention spéciale d'Édouard et du Capitaine; tous deux éprouvaient en la regardant un plaisir doux et bienfaisant. Si, par sa magnifique couleur, l'émeraude réjouit la vue et exerce sur cet organe une influence salutaire, pourquoi la beauté de la forme humaine n'agirait-elle pas en même temps et avec une puissance irrésistible sur tous nos sens et même sur nos facultés morales? La simple contemplation de cette beauté ne suffit-elle pas pour nous faire croire que nous sommes à l'abri de tout mal, et pour nous mettre en harmonie avec l'univers et avec nous-même?

      Le séjour d'Ottilie au château y amena plus d'un changement favorable pour tous. Les deux amis ne se faisaient plus attendre pour les heures des repas ou des promenades; ils se montraient, surtout, beaucoup moins empressés à quitter la table, et ne parlaient jamais que de choses qui pouvaient intéresser ou amuser la jeune fille. Ce désir de lui être agréable se révélait aussi dans le choix des lectures qu'ils faisaient à haute voix; ils poussaient même l'attention jusqu'à suspendre ces lectures, dès qu'elle s'éloignait, et ils ne les reprenaient que lorsqu'elle rentrait au salon.

      Ce changement n'avait point échappé à Charlotte: aussi désirait-elle savoir lequel des deux hommes l'avait principalement amené, et se mit-elle à les observer avec une attention scrupuleuse; mais elle ne découvrit rien, sinon que tous deux étaient devenus plus sociables, plus doux et plus communicatifs.

      Ottilie avait appris à connaître les habitudes et même les manies et les caprices de chacune des personnes au milieu desquelles elle vivait. Devinant mieux qu'elles-mêmes ce qui pouvait leur être agréable, elle accomplissait leurs souhaits sans leur donner le temps de les exprimer; un mot, un geste, un regard suffisait pour la guider. Cette persévérance active resta cependant toujours calme et tranquille. Le service le plus régulier se faisait par ses ordres, et souvent par elle-même, sans aucune apparence d'empressement ou d'inquiétude. Sa démarche était si légère, qu'on ne l'entendait ni s'en aller, ni revenir; et ses allures, quoique toujours paisibles, étaient si gracieuses, que nos amis se sentaient heureux en la voyant se mouvoir sans cesse pour prévenir leurs désirs. Cette obligeance infatigable, ces attentions permanentes devaient nécessairement plaire à Charlotte, ce qui ne l'empêcha pas de remarquer que, sur un point du moins, sa jeune parente poussait la prévenance trop loin, et elle lui en fit l'observation.

      —C'est sans doute une attention fort aimable, lui dit-elle, que de se baisser à l'instant pour relever un objet qu'une personne placée près de nous a laissé tomber par mégarde; mais, dans la bonne société, cette attention est soumise à certaines règles de bienséance qu'il faut respecter. Tu es si jeune encore que tu peux, sans inconvénient, rendre à toutes les femmes ce petit service que l'on doit toujours aux personnes âgées ou d'un rang élevé. Envers ses pareils, il est une gracieuse politesse; envers ses inférieurs, il devient une preuve de bonté et d'humanité; mais il est une inconvenance de la part d'une femme envers des hommes encore jeunes, quel que soit leur rang.

      —Je ferai tout mon possible pour ne plus m'en rendre coupable, répondit Ottilie. Permettez-moi cependant de mériter à l'instant même votre pardon de cette mauvaise habitude, en vous racontant comment je

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