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      Voici ce que raconte Martial d'Auvergne.

      Un jour que La Hire et Pothon

       Le vinrent voir pour festoyment,

       N'avoit qu'une queue de mouton

       Et deux poulets tant seulement.

       Las! cela est bien au rebours

       De ces viandes délicieuses,

       Et de ces mets qu'on a tous jours

       En dépenses trop somptueuses.

      Une autre fois, Charles VII, qui se trouvait alors à Bourges, vint à manquer de chaussures; il fit mander un maître cordonnier de la ville.

      —Maître, lui dit-il, prends moi la mesure d'une paire de souliers.

      L'homme obéit.

      —Maintenant, reprit le roi, tu peux te retirer, j'entends que ces souliers soient faits sans délai.

      Et comme l'homme ne bougeait pas.

      —Ne m'as-tu donc pas entendu? ajouta Charles VII.

      —Pardonnez-moi, Sire, dit alors le maître cordonnier, seulement il faut être juste en affaires.

      —Certainement, mais que veux-tu dire?

      —Rien, sinon qu'il m'est impossible de faire les souliers dont je viens de prendre la mesure.

      —Et pourquoi?

      —Je n'ai point l'habitude, Sire, de faire crédit aux gens insolvables, et depuis longtemps ceux qui fournissent au roi ne sont pas payés....

      Charles VII entra dans une furieuse colère, mais le maître cordonnier n'avait rien dit qui ne fût l'exacte vérité; comment se révolter contre un fait?

      Le soir même, le roi se plaignait amèrement de l'insolence de cet homme.

      —Hélas, Sire, répondit un de ses familiers, il faut bien vous résoudre à n'avoir plus crédit à Bourges, «puisque vous laissez les Anglais vous prendre tout.»

      A ces moments d'humiliants déboires «la rougeur d'une noble vergogne» colorait le front du prince; il maudissait son apathie et jurait de reconquérir son royaume, il demandait ses armes et voulait, à l'instant même, courir sus à l'Anglais, puis il allait s'enfermer seul dans une des pièces les plus sombres de son château et répandait des larmes amères. Mais sa colère se dissipait aussi vite qu'elle était venue, le lendemain il avait tout oublié et de rechef ne pensait qu'à trouver «expédients de divertissements et de fêtes.»

      Tel était le caractère de ce prince, faible, nonchalant, mobile. Impressionnable à l'excès, il avait des éclairs d'indignation et de courage, mais fréquentes étaient ses heures d'abattement et de désespoir. Un instant la voix inspirée de Jeanne Darc avait réveillé en lui le sentiment du devoir, mais cette voix éteinte, son caractère avait repris le dessus, et il semblait épuisé par les efforts d'énergie qu'il avait dû faire. Si bien que l'oeuvre de la Pucelle menaçait de devenir inutile, lorsque parut Agnès Sorel.

      Le trône, sous Charles VII, a été sauvé par deux femmes, tel est le cri de l'histoire.

      L'une est la vierge inspirée, qui, son miraculeux étendard à la main, conduisait elle-même les soldats à la bataille; l'autre est la maîtresse du roi, la dame de beauté

      Qui toujours songeant à la gloire

       Avant de songer à l'amour,

      devint la bonne fée de son amant et contribua à lui faire mériter ce surnom de «Victorieux» que lui décernèrent ses contemporains.

      La France doit tant aux femmes, disait le tendre et discret Fontenelle, que pour les Français la galanterie est un véritable devoir de reconnaissance.

      C'était vers la fin du mois d'octobre 1431; cinq mois s'étaient écoulés depuis la mort de Jeanne Darc. La cour errante du roi de France avait pris ses quartiers d'hiver au château de Chinon. Charles VII affectionnait tout particulièrement cette résidence bâtie au sommet d'un côteau au milieu de l'un des plus ravissants paysages de ce beau pays de Touraine.

      Charles VII n'était, pas encore «le victorieux,» il n'était que le «roi de Bourges,» surnom que lui avaient donné ses ennemis.

      Les Anglais, avec leurs croix rouges,

       Voyant lors sa confusion,

       L'appelaient le roi de Bourges, Par forme de dérision.

      Les affaires, à cette époque, allaient plus mal que jamais, les finances étaient complètement épuisées; et, de tous côtés, on annonçait ou l'on prévoyait des désastres; on comprend dès lors la mortelle tristesse de cette petite cour.

      C'est donc avec un plaisir infini que Charles VII apprit l'arrivée à Chinon d'Isabelle de Lorraine, femme de René d'Anjou; il espérait que cette visite ferait quelque diversion à la monotonie de ses journées.

      Isabelle de Lorraine, l'une des princesses les plus distinguées de son temps, venait à la cour de France, pour y solliciter la liberté de son mari fait prisonnier à la bataille de Bulgneville. Elle avait à plaider une cause difficile, puis elle comptait pour réussir, sur son adresse et sur les beaux yeux d'une de ses filles d'honneur, Agnès Sorel, que l'on appelait alors la demoiselle de Fromenteau.

      Les espérances d'Isabelle ne furent pas trompées, toute la cour de Chinon n'eut plus bientôt d'yeux que pour la belle Tourangelle, et, plus que tous les autres, le roi la comblait de soins et d'attentions.

      Agnès Sorel était, il faut le dire, dans tout l'éclat de son admirable beauté, et voici le portrait que trace d'elle un de ses contemporains, c'est-à-dire de ses admirateurs:

      «C'était un teint de lis et de roses, des yeux où la vivacité était tempérée par tout ce que l'air de douceur a de plus séduisant, une bouche que les grâces avaient formée; tout cela était accompagné d'une taille libre et dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant, et d'un entretien dont la gaîté et le tour agréable n'excluaient ni la justesse, ni la solidité.»

      La femme de René d'Anjou, certaine désormais de l'influence d'Agnès sur le coeur du roi, comprit que sa cause était gagnée; cependant Charles hésitait à se prononcer. C'est qu'il savait qu'une fois la liberté de son mari assurée, Isabelle partirait pour la Sicile, où l'accompagnerait sa belle fille d'honneur, et il ne se sentait plus la force de se séparer d'Agnès.

      Isabelle avait, depuis longtemps déjà, pénétré le motif des hésitations du roi de France, mais il ne lui appartenait pas de les faire cesser. Elle attendit, décidée à profiter de la première occasion qui se présenterait. Elle n'eut pas longtemps à attendre.

      Heureusement pour la liberté de René d'Anjou, les princes et les rois vont fort vite en amour, et Agnès avait été touchée de la grande passion de Charles; elle se sentit prise de tendresse pour ce monarque que tout abandonnait, et dès ce moment elle prit la résolution de céder. Peut-être fut-elle tentée par la grandeur de la tâche imposée à l'amie de ce roi si faible, et conçut-elle dès ce moment la pensée d'user de toute son influence pour en faire un héros.

      Agnès consentit donc à se rendre aux voeux du roi, à seconder les secrets désirs d'Isabelle. Elle tomba malade, subitement, et, dès les premiers jours, sa maladie présenta un caractère si grave que les médecins, appelés par le roi, déclarèrent que la jeune fille ne pouvait entreprendre un long voyage, sans danger pour ses jours.

      Cette déclaration ne trompait certainement personne; mais elle sauvait les apparences. Charles VII, peu habitué à dissimuler ses impressions, laissa éclater sa joie. Isabelle de Lorraine, au contraire, témoigna un violent dépit; elle hésitait, disait-elle, entre deux partis: attendre le rétablissement de sa fille d'honneur ou partir sans elle. Il fallait cependant prendre une décision. Isabelle demanda une audience au roi, et lui fit observer que si elle tardait davantage à se mettre en route, elle serait

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