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c'était un dimanche, très-peu de personnes assistaient à l'office, et l'église est bien dénuée d'ornements. L'Entrepôt est d'une grande magnificence, les rues sont larges, alignées et garnies de trottoirs; surtout celle de la Cannebière, bordée de belles maisons et de riches magasins, ainsi que celles de Montgrand, de Rome, d'Aix; le cours, la promenade autour du port, l'un des plus beaux du Royaume, et la vue du Château d'If, ancienne prison d'état, forment un ensemble aussi agréable qu'imposant; partout des fontaines ornées de jets d'eau. Dans aucun lieu l'immoralité ne se couvre de moins de voiles pour multiplier les jouissances; aussi disent-ils, la ville est très-charmante. L'air y était froid; nous avions senti à Toulouse et à Marmande une douce haleine du printemps; mais le mistral ou vent du nord durait depuis quatre jours, et multipliait les grippes; ce n'est pas dans l'atmosphère qu'est le principe épidémique de la maladie; ce qui la détermine, ce sont les inclémences et les variations de l'air; ainsi l'air glacial du printemps, sans être une cause morbide et efficiente, a provoqué ces grippes ou phlegmasies des membranes muqueuses et pulmonaires, qu'une température plus douce aurait évitées.

      On voit à Marseille les vaches et les chèvres boire aux fontaines publiques. Les quais, comme à Toulouse, sont pavés de briques placées debout pour éviter la dégradation: dès notre arrivée à Marseille, nous fûmes voir M. Gouin, négociant qui, sur l'affectueuse recommandation de M. son père, un des premiers banquiers de Nantes, nous fit un accueil de dévouement; il nous procura sans peine une lettre de crédit sur les maisons de banque les plus considérables de l'Italie, entr'autres chez le millionnaire duc de Torlonia de Rome. Jusqu'à notre départ, il n'a cessé de nous prodiguer des marques de cordialité; en cas de difficulté, dans les pays étrangers que nous allions parcourir, il nous a invités avec beaucoup de bienveillance, à nous adresser à lui.

      C'est à Marseille que nous avons eu à nous occuper de nouveau de la grande affaire de nos passeports. À Nantes, on avait exigé que je prisse un passeport, un autre pour ma femme; on en aurait exigé pour chacun de nos enfants et de nos domestiques, si nous eussions formé un cortège. On nous donnait ces passeports séparés dont le coût est de dix francs chaque, pour nous procurer une plus grande sécurité en Italie. À Marseille, on a été étonné de cette mesure divisionnaire et dispendieuse; divisionnaire, en ce qu'on sépare deux personnes que la loi a rendues inséparables jusqu'à la mort; dispendieuse, en ce qu'un passeport coûte au moins deux cents francs de droits dans toute l'Italie, et qu'il n'est pas nécessaire de dissiper l'argent français, ayant déjà un assez gros budget à combler; eh bien! nous nous étions donc munis de nos deux passeports consciencieusement et religieusement, lorsqu'à la Préfecture de Marseille, on n'a pas jugé nécessaire de grossir le fisc étranger: M. le Préfet a eu l'extrême bonté de retenir le passeport de Mme Mercier, et de la mettre sur le mien. Ainsi journellement se délivrent les passeports à Marseille. Quotidiennement les Anglais, nos devanciers dans le régime constitutionnel, voyagent avec leur nombreuse famille, un pompeux domestique et un seul passeport; cette jurisprudence est tellement admise en Italie, que comme Mme Mercier, par cet incident, n'était pas portée au lieu ordinaire des passeports, mais bien dans un autre endroit qui demandait plus de recherches, on ignorait d'abord avec qui je voyageais. Pourquoi une semblable construction de passeport; ils croyaient que cela provenait de ce que notre pays, refoulé dans les départements de l'Ouest, était arriéré et avait peu de relations avec l'Étranger. Quoi!

      Les Armoricains malheureux,

       Séparés du reste du monde,

       Ne connaîtront donc que l'onde,

       Ne seront connus que des Cieux!

      On trouvait extraordinaire et tout-à-fait métallique, d'avoir deux passeports pour une simple conjugalité.

      N'ayant point fait viser nos passeports à Paris, ce qui est fort inutile quand on va à Marseille, nous nous bornâmes, pour simplifier l'opération, à le faire viser au vieux Consul Sarde, pour aller à Gênes, afin, à Gênes, de le faire régulariser au Consul de Toscane; à Florence, au Consul Pontifical; à Rome, au Consul Napolitain, etc., et non à tous les Consuls à la fois, ce qui aurait exigé dans chaque ville, la répétition de formalités dispendieuses à tous les consulats.

      La gendarmerie, dans la route, ne nous a demandé notre passeport qu'à

       Bourbon-Vendée et à Marseille.

      Deux moyens se présentaient d'aborder l'Italie: celui de prendre le littoral de la mer par le Luc et Antibes, contrées si riches en beautés de la nature, ou de monter un bateau à vapeur, et de voguer pour la première fois sur les côtes. Comme nous voyagions dans le but d'admirer les merveilles du pays, la navigation sur la mer ne remplissait pas nos projets: aussi, malgré la recommandation que M. De La Borde avait eu l'honnêteté de nous donner auprès de M. Bazin, son beau-frère, propriétaire des, bateaux à vapeur de Marseille pour l'Italie, nous nous déterminons à prendre la grande route de Toulon.

      La voie publique n'est pas soignée, elle est même fort cahoteuse à travers de hautes montagnes couvertes d'oliviers. Autrefois, le brigand attendait le voyageur, mais la sollicitude du gouvernement a installé des corps-de-garde de gendarmerie: des mannequins mécaniques mus par un voleur expérimenté, ne viennent plus inspirer la terreur.

       Table des matières

       De Toulon, Nice, à Gènes.

      Toulon est dominé par la montagne Faran, le fort Rouge, Sainte-Catherine, et le fort la Marquise. C'est une assez jolie ville, mais bâtie irrégulièrement; mille ruisseaux descendant des rochers et des montagnes auxquels elle est adossée, circulent de toutes parts dans les rues, et une multitude de fontaines les recueillent; son port est magnifique, et prend tous les jours les plus grands développements.

      Le Bagne compte parmi les forçats des colonels, des avocats, des prêtres, des notaires, etc. Notre guide nous fit remarquer, au milieu de ces groupes de pénitents, l'adroit escroc qui avait si bien dérobé les bijoux de Mlle Mars; habile industriel et excellent ferblantier; il a su se créer au bagne de petites richesses, des économies et un avenir dans la société; ses peines allaient se terminer.

      La nourriture des forçats consiste dans du pain sec, de l'eau et une mauvaise soupe de fèves.

      Nous avons monté l'Hercule, de cent trente canons, vaisseau du prince de Joinville. Les caisses à eau sont en tôle, elles se rouillent, mais l'eau reste bonne bien mieux que dans les tonnes en bois, que les vers corrompent. Tout l'Arsenal est magnifique; on y voit une belle Scierie à vapeur; dans le port, est une quantité de vaisseaux, de frégates, de goëlettes. Cinq mille forçats et cinq mille ouvriers civils y sont constamment occupés.

      Toulon est une place de guerre de première ligne; quoique dominée par des montagnes, la ville est protégée par des forts extérieurs. La vie y est fort chère; ce printemps n'est pas le beau Ciel de Provence; nous avions choisi cette époque pour voyager dans le Midi de la France, avec une douce température; plus tard; nous eussions redouté un soleil brûlant et les ardeurs de la canicule. Les petits pois étaient rares lors de notre séjour, ils valaient trois francs la livre, les sardines, cinq sous la livre, le vin, trente francs la barrique: tout se vend à la livre, même le poisson.

      Nous nous sommes trouvés dans un moment surtout où Toulon était très-animé. Douze ou quinze cents hommes allaient réparer, en Afrique, l'échec de nos armes, et remonter notre moralité belliqueuse. Nous avons pris possession de Constantine, pour reconquérir notre ascendant sur les Africains. La conquête de l'Algérie est un fruit précieux à la civilisation: abattre le géant de la piraterie qui chargeait de fers et de tortures tout ce qui n'était pas de son domaine, a été une oeuvre de haute philantropie pour les nations européennes; mais, avec la prise de Constantine, notre mission guerrière est accomplie; dans les sublimes théories providentielles, notre rôle est d'être régénérateurs, et non des Tamerlan et de Gengiscan: il faut alléger le joug des nations et ne pas en apesantir le fardeau; l'Afrique devenue la proie du cimeterre musulman,

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