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Ah! la vilaine petite masque! Ah! comme je vous fouetterais, ma mie, si j'étais votre mère!

      — Heureusement, madame, vous ne l'êtes point! dit Sibylle.

      Madame de Beaumesnil descendit de sa chaufferette, la regarda en face un instant, et, ne pouvant la tuer, se retira.

      Une demi-heure après, l'abbé Renaud faisait son entrée dans la cour du château de Férias, accompagné de Sibylle, qui lui avait refusé toute explication. Elle gagna sa chambre à la dérobée, tandis que le pauvre curé, essuyant les gouttes de sueur qui ruisselaient comme des larmes sur son visage, se présentait dans le salon.

      En apprenant l'étrange détermination de leur petite-fille, M. et madame de Férias furent atterrés: ce coup les atteignait dans les parties les plus vivantes et les plus sensibles de leur être; leur tendresse, leur conscience, leur fierté, tout souffrait, tout saignait à la fois. Miss O'Neil, qui était présente, partagea leur douleur. On fit appeler Sibylle. Elle descendit aussitôt. Sa pâleur était effrayante. Comme elle s'approchait de son aïeul pour l'embrasser, le vieillard l'arrêta de la main.

      — Ma fille, dit-il, gardez vos caresses; elles ne sont pas de saison quand vous nous brisez le coeur. Je ne vous reproche point vos pensées, vous n'en êtes pas maîtresse; mais votre confiance dépend de vous, et vous êtes impardonnable de nous la refuser. Vous me forcez de vous dire que j'ai le droit de l'exiger, et je l'exige. Vous entendez.

      Sibylle l'avait regardé d'un oeil fixe pendant qu'il parlait: elle sembla vouloir répondre, ses lèvres s'agitèrent vaguement, puis elles devinrent livides tout à coup, et l'enfant s'affaissa sur le parquet. On la mit au lit, et un accès de fièvre succéda à cette violente syncope. En revenant à elle, elle vit le marquis et la marquise penchés sur elle et lui souriant.

      — Ma chère fillette, lui dit son aïeul, calmez-vous. J'ai eu tort de vous presser. Si vous nous affligez, c'est à regret certainement; c'est pour obéir à quelques-uns de ces scrupules qui naissent souvent dans les consciences délicates. Ces chimères s'envoleront d'elles-mêmes quand il plaira à Dieu. En attendant, dans tout ce qui touche à la religion, je vous laisserai une pleine liberté.

      — Vous êtes bon! dit Sibylle. Elle passa un bras autour du cou du vieillard, attira sa tête blanche sur l'oreiller, et s'endormit paisiblement.

      M. de Férias, alarmé du profond ébranlement de ce jeune esprit, avait en effet résolu, non-seulement d'en respecter les mystérieuses angoisses, mais de le soustraire absolument pendant quelque temps à l'ordre de préoccupations qui semblait y avoir causé ces ravages. A dater de ce jour, les leçons de l'abbé Renaud furent suspendues: miss O'Neil fut priée d'éviter dans ses entretiens tout ce qui pouvait servir d'aliment à une exaltation dangereuse; le marquis enfin, bravant les murmures de l'opinion, les tristesses du curé et les froideurs croissantes de madame de Beaumesnil, eut le courage de dispenser Sibylle, jusqu'à nouvel ordre, de toute pratique religieuse. Le dimanche suivant, ce fut dans l'église de Férias une rumeur mêlée de blâme et de pitié quand on vit le marquis et la marquise prendre tristement place dans leur banc à côté de la chaise vide de leur petite-fille.

      A part les restrictions que la prudence de M. de Férias jugeait nécessaires, les choses reprirent au château leur cours accoutumé. Des jours calmes s'y succédèrent. M. et madame de Férias continuaient à tourner dans le cercle de leurs habitudes avec le même air de grave bienveillance; Sibylle et miss O'Neil poursuivaient leurs études et leurs promenades avec la même régularité. Tout semblait donc aller pour le mieux; seulement le visage des deux vieillards se montrait chaque matin plus altéré, comme si des larmes secrètes y eussent creusé chaque nuit un sillon plus profond: en même temps un cercle bleuâtre s'élargissait peu à peu sous les longs cils de l'enfant, et dès qu'elle était seule, sa tête s'inclinait comme sous le poids d'un fardeau. Quant à miss O'Neil, dont la structure osseuse était naturellement saillante, les pommettes de ses joues prenaient un relief extraordinaire.

      — Monsieur, dit-elle un jour à l'abbé Renaud, qui avait continué ses visites au château avec l'abnégation d'un vrai chrétien, vous voyez ce qui se passe: il y a ici une énigme fatale, un sphinx qui nous dévore tous. Il ne s'agit plus que de savoir lequel de nous succombera le premier, et je prie Dieu que ce soit moi.

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