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Fêtes et coutumes populaires. Charles Le Goffic
Читать онлайн.Название Fêtes et coutumes populaires
Год выпуска 0
isbn 4064066075378
Автор произведения Charles Le Goffic
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
On retrouverait difficilement ce haut symbolisme dans les fêtes populaires qui se célèbrent aujourd'hui encore, sur la terre de France, en l'honneur des patrons de corps de métiers. Les choses s'y passent plus simplement. C'est ainsi que, pour la fête de saint Joseph, qui est le patron des charpentiers, les membres de la corporation assistent, le matin, à une messe chantée et s'assemblent ensuite dans un grand banquet, que terminent des chansons et des rondes. D'autres corporations accrochent à la devanture de leurs ateliers ou de leur boutiques un rameau de sapin fleuri; quelques-unes enfin se livrent à des manifestations publiques et parcourent la ville, précédées de tambours et de fifres et conduites par quelque compagnon de haute stature qui brandit une canne enrubannée.
Il faut bien reconnaître d'ailleurs que l'intérêt et l'éclat de ces fêtes ont singulièrement décru depuis la Révolution. À l'époque où tous les corps de métiers étaient constitués en jurandes et en maîtrises, la solidarité était bien plus grande entre les maîtres, les compagnons et les apprentis. La piété était aussi plus vive. Chaque corporation formait une confrérie qui avait son autel et quelquefois son église particulière, qu'elle mettait son honneur à décorer luxueusement. Administrée par un comité de maîtres appelés syndics, prud'hommes ou garde-métiers, chacune de ces confréries était placée sous le vocable d'un saint ou d'un attribut religieux choisi par elle: ainsi les cordonniers et les savetiers formaient la Confrérie Saint-Crépin et Saint-Crépinien; les maréchaux ferrants, les taillandiers, les serruriers, les arquebusiers, les couteliers, les éperonniers, les cloutiers, les fourbisseurs, les selliers et les bourreliers, la Confrérie Saint-Éloi; les menuisiers, les tourneurs, les charrons, les charpentiers et les sculpteurs, la Confrérie Saint-Joseph ou de Sainte-Croix; les capitaines de navires, les marins, calfats, voiliers, étaminiers, cordiers, la Confrérie du Sacre.
Nous avons sur ces fêtes que célébraient les confréries en l'honneur de leurs saints patrons les détails les plus circonstanciés. Pour prendre un exemple dans l'histoire d'une petite ville qui a gardé à travers les âges sa physionomie curieuse d'autrefois, nous voyons par le cartulaire communal de Joseph Daumesnil, ancien maire et prieur-consul, ce qui se passait à Morlaix lors des fêtes de corporations. Les tailleurs faisaient chanter une grand'messe à Notre-Dame-du-Mur. Au moment de l'offertoire, le père abbé de la confrérie présentait un mouton blanc qui était ensuite conduit à l'hospice par tous les membres de la confrérie et donné en présent aux malades. Les bouchers célébraient leur fête les premiers jours de l'Avent. Après la cérémonie religieuse, on promenait dans les principales rues un bœuf qu'escortaient tous les membres de la corporation, bras nus et la hache sur l'épaule. Le cortège s'arrêtait aux carrefours et sur les places pour y faire le simulacre d'abattre l'animal; pendant ce temps deux ou trois confrères faisaient la quête dont le produit était employé dans un festin.
À Limoges, à Dieppe, à Lannion et dans quelques autres villes de France, certaines de ces fêtes se sont perpétuées jusqu'à nos jours et les corps de métiers (bouchers, ivoiriers, tailleurs de pierres, etc.) continuent à chômer l'anniversaire de leurs saints patrons. Saint Luc est celui des ivoiriers dieppois. À l'occasion de sa fête, qui échet le 18 octobre, les ivoiriers entendent une messe en musique et promènent par les rues leur bannière corporative, un beau rectangle de velours grenat frappé d'ancres aux quatre coins, avec un blason symbolique au milieu: l'éléphant d'Afrique tout d'or sur champ d'azur. Et, dans le banquet qui clôture la fête, on chante la Marseillaise des ivoiriers, paroles et musique de M. Bray, ex-ivoirier à Dieppe, présentement organiste au Tréport:
Dans l'art de buriner l'ivoire,
Dieppe a conquis le premier rang.
Nous voulons conserver sa gloire
À ce vieux rivage normand:
Parfois bien faible est le salaire.
Qu'importe au talent créateur?
De Graillon1 la vie exemplaire
Guidera toujours le sculpteur.
Note 1:
Célèbre sculpteur ivoirier dieppois.
Refrain:
Et vaillamment nous bravons la misère,
Aussi fiers que des rois,
En travaillant sous la noble bannière
Des ivoiriers dieppois!
Il ne faudrait pas remonter très loin pour trouver, à Paris même, des fêtes patronales et corporatives du plus aimable coloris. Telle la Saint-Crépin, décrite en 1851 dans La Liberté de Pensée par un rédacteur qui signait Pierre Vinçart, ouvrier.
Que de changements en un demi-siècle! Il apparaît bien, à lire Vinçart, que ces ouvriers de 1848 étaient des hommes d'un autre âge dont se gaudiraient nos syndicalistes d'aujourd'hui. Leur socialisme avait je ne sais quoi de naïf et de cordial. Les «compagnons» partaient des différents quartiers de Paris le matin du 25 octobre et se dirigeaient vers Montmartre. Quoique réuni à la capitale, Montmartre, au point de vue corporatif, formait encore un district autonome, avec sa cayenne (sorte de siège social), son père et sa mère des compagnons. La mère et le père de Paris prenaient la tête du défilé; derrière eux venait la musique, puis «les autorités municipales», enfin les compagnons eux-mêmes, des fleurs à la boutonnière et des flots de rubans à leurs cannes. Le cortège ainsi formé gagnait pedetentim l'église paroissiale de Montmartre et y pénétrait en grand arroi, après avoir exécuté devant le portail toutes les cérémonies du «devoir» corporatif, telles qu'évolutions, hurlements, marches, etc., en un mot la guillebrette entière, qui était le nom générique donné aux cérémonies du compagnonnage.
«Dans l'église, dit Pierre Vinçart, le pain bénit est surmonté de l'effigie de saint Crépin; l'ancien évêque de Soissons est habillé en empereur du Bas-Empire et tient à la main une grande botte à revers. À la sortie de la messe, les compagnons réitèrent leurs cérémonies et, se remettant en ordre, ils vont à la barrière des Martyrs, chez le restaurateur ayant pour enseigne: Au rendez-vous des Princes. Ils y font un splendide repas. Deux femmes seulement sont admises à ce banquet: ce sont les mères de Paris et de Montmartre qui, pendant la durée de cette fête, se traitent mutuellement de sœurs. De nombreuses chansons, ayant le compagnonnage pour sujet, sont chantées à la fin du dîner, où personne autre que des compagnons ne peut assister.»
L'auteur en vogue dans le peuple, et particulièrement chez les cordonniers, était alors Savinien Lapointe,