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n'y eut plus rien à manger, ils se levèrent, regardèrent Prudence et les enfants, et ne purent s'empêcher de sourire en voyant leurs visages rouges et bouffis.

      —C'est puces qui ont mangé visage? demanda Boginski en cherchant à prendre un air de compassion.

      PRUDENCE.—Non, ce sont des punaises; nous n'avons pas dormi jusqu'au jour. Je ne pensais pas qu'à Paris on fût mangé de punaises.

      COZRGBRLEWSKI.—Paris grand! Place pour tous.

      —Il faut payer et partir, Madame, dit Boginski d'un air aimable.

      PRUDENCE.—A qui faut-il payer?

      BOGINSKI.—Moi vous épargner la peine. Donnez argent, et moi aller payer.

      Prudence remercia, salua et remit à son protecteur une pièce de vingt francs. Boginski revint bientôt, lui apportant douze francs de monnaie.

       Table des matières

      MADAME BONBECK

      Prudence acheva de tout ranger dans la malle, que les Polonais chargèrent sur leurs épaules, et tous descendirent l'escalier noir et tortueux, qui les mena jusque dans la rue. La malle fut posée à terre; Cozrgbrlewski courut chercher un fiacre, qu'il ne tarda pas à amener à la porte; on plaça la malle sur l'impériale; Prudence, Innocent, Simplicie et les Polonais s'entassèrent dans le fiacre.

      «15, rue Godot!» cria Boginski; et le fiacre partit. A dix heures sonnantes, il s'arrêta à l'adresse indiquée. Tous descendirent; on prit la malle.

      —Mme Bonbeck? dit Boginski au portier après avoir payé le fiacre avec l'argent de Prudence.

      —Au cinquième, au bout du corridor, première porte à gauche, répondit le portier sans regarder les entrants.

      Tous montèrent; au troisième étage, ils commencèrent à ralentir le pas, à souffler à s'arrêter.

      —Comme ma tante demeure haut! dit Simplicie.

      —L'escalier est joli et clair! dit Innocent.

      —Diable de Paris! marmotta Prudence. Tout y est incommode et pas du tout comme chez nous. Cette idée de bâtir des maisons qui n'en finissent pas; étage sur étage! Ça n'a pas de bon sens!

      —Ouf! dirent les Polonais en déposant lourdement leur charge à la porte de Mme Bonbeck;

      Boginski, qui, était au fait des usages de Paris, tira le cordon de la sonnette; une femme assez sale et d'apparence maussade vint ouvrir,

      —Qui demandez-vous? dit-elle d'un ton bref. C'est vous qui êtes venu hier soir pour parler à Madame?

      —Oui, Madame, et nous demander Bonbeck, dit Cozrgbrlewski

      —Qu'est c'est que ça, Bonbeck? répondit la bonne en fronçant le sourcil.

      —Mme Bonbeck, tante de M. Innocent que voici et de Mlle Simplicie que voilà, s'empressa de répondre Prudence en faisant force révérences.

      —Entrez, reprit la bonne en s'adoucissant… Et ces messieurs, entrent-ils aussi? Qu'est-ce qu'ils veulent?

      —Nous amis de Madame et des enfants; nous les défendre les aider beaucoup.

      —Ce sont nos protecteurs, nos sauveurs, reprit Prudence avec vivacité.

      —Entrez tous, continua la bonne, en jetant toutefois sur les Polonais un regard de méfiance.

      —Sac à papier! sabre de bois! vas-tu me laisser aller, toi, l'amour des chiens! cria une voix presque masculine.

      Au même instant, la porte du salon s'ouvrit, et Mme Bonbeck fit son entrée tenant par les oreilles un superbe épagneul qui sautait sur elle et gênait sa marche.

      C'était une femme de soixante-dix ans, sèche, vigoureuse, décidée, taille moyenne, cheveux gris, tête nue, petits yeux gris malicieux, nez recourbé, bouche maligne; l'ensemble bizarre et conservant des restes de beauté.

      —A bas! l'amour des chiens! Va embrasser tes nouveaux compagnons! Bonjour, Simplette; bonjour pauvre Innocent; bonjour, dame Prude. On vous a annoncés hier soir; je vous attendais; je n'ai pas été vous prendre à la gare, comme le demandait mon frère, parce que j'avais de la musique… chez moi, mais j'ai bien pensé que vous vous tireriez d'affaire sans moi. Ah! ah! ah! quelles mines vous avez!… Allons donc, n'allongez pas vos visages! Sont-ils rouges, sont-ils drôles! Et vous autres, grands nigauds! Des Polonais, pas vrai? Je vous reconnais, mes gaillards. Allons entrez tous chez la vieille tante. Pas de cérémonies, et pas d'air guindé! J'aime qu'on rie chez moi! Celui qui ne rit pas n'a pas une bonne conscience! Par ici, l'amour des chiens, par ici; fais-leur voir comme tu es bon ami avec l'amour des chats… Tenez, voyez-moi ça! Voyez cet amour de chat! un peu pelé parce qu'il est vieux comme sa maîtresse, et qu'il bataille par-ci par-là avec l'amour des chiens. A bas! à bas! l'amour des chats! Voyons, pas de batailles! A bas, l'amour des chiens! Sac à papier! A bas! Je dis!

      L'amour des chiens, l'amour des chats n'écoutaient pas les paroles conciliantes de leur maîtresse, ils se battaient comme des enragés; l'amour des chiens arrachait à belles dents les poils déjà endommagés de son ami; l'amour des chats griffait à pleines griffes le nez, les oreilles, les yeux de son camarade. Mme Bonbeck criait, se jetait entre eux, tapait l'un, tapait l'autre, sans pouvoir les séparer.

      —Satanées bêtes! s'écria-t-elle. Ah! vous en voulez? On y va, on y va!

      Et, saisissant un fouet, elle distribua des avertissements si frappants, que chien et chat se séparèrent et se réfugièrent dans leurs coins, hurlant et miaulant.

      Mme Bonbeck remit son fouet en place, s'approcha en riant des enfants consternés, de Prudence pétrifiée et des Polonais ébahis:

      —Voilà ma manière, dit-elle. Je fais tout rondement. Allons entrez au salon. Prude, ma fille, va-t'en dans ta chambre; range tout, Croquemitaine, t'aidera. C'est ma bonne que j'appelle Croquemitaine, parce qu'elle à toujours l'air de vouloir avaler tout le monde. Allons, ajouta-t-elle en poussant à deux mains les enfants et les Polonais, je veux qu'on rie, moi.

      —Ah! ah! ah! ont-ils l'air effarés! Je ne vous mangerai pas allez!

      COZRGBRLEWSKI.—Moi pas me laisser avaler, pas passer. Gorge étroite, moi large!

      MADAME BONBECK.—Bien dit, mon garçon! Comment vous appelez-vous?

      COZRGBRLEWSKI.—Cozrgbrlewski. Mâme Bonbeck.

      MADAME BONBECK.—Eh? Coz… quoi?

      COZRGBRLEWSKI.—Cozrgbrlewski. Mâme Bonbeck.

      MADAME BONBECK.—Diable de nom! Ces Polonais, ça a des noms qu'une langue française ne peut pas prononcer.

      BOGINSKI.—Langue française douée, jolie, bonne, comme dames français.

      MADAME BONBECK.—Tiens, tiens, vous êtes le flatteur de la bande! C'est bien mon ami; c'est l'ancienne politesse française. Et comment vous appelez-vous?

      BOGINSKI—Boginski, Madame Bonbeck.

      MADAME BONBECK.—A la bonne heure! Boginski! c'est un nom chrétien, au moins. Cozi.. ki! je ne vous appellerai pas souvent, vous. Et toi, Simplette, et toi, Innocent, allez-vous rester à tournoyer comme des toupies d'Allemagne? Que veux-tu faire, toi?

      SIMPLICIE, timidement.—Ce que vous voudrez, ma tante.

      MADAME BONBECK, l'imitant.—Ce que vous voudrez, ma tante… Sotte, va! Tâche d'avoir une volonté, sans quoi je t'en donnerai avec le fouet de l'amour des chiens et l'amour des chats.

      Simplicie frémit et regarda sa tante avec terreur.

      MADAME

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