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me suis attaché, et, pour ce dernier, depuis sept ans déjà, ce qui, lorsque j'étais interne, m'avait fait appeler par mes camarades «le topique du cancer». Pour la tuberculose, je suis arrivé à découvrir son parasite, mais non encore à le débarrasser de toutes ses impuretés par des procédés de culture. J'en suis là. C'est-à-dire que je brûle, et que, demain peut-être, dans quelques jours, je tiens une découverte qui est une révolution et donne la gloire à celui qui l'a faite. De même pour le cancer, j'ai trouvé son micro-organisme. Mais tout n'est pas dit. Et voilà ce qu'il me faut abandonner en quittant Paris.

      —Pourquoi abandonner? Ne peux-tu pas continuer tes recherches en Auvergne?

      -C'est impossible pour toute sorte de raisons trop longues à expliquer, mais dont une seule suffira. Les cultures de ces parasites ne peuvent se faire que dans certaines températures rigoureusement maintenues au degré voulu, et ces températures ne peuvent être obtenues que dans des étuves comme celle de mon laboratoire, alimentées par le gaz dont l'entrée est réglée automatiquement par le plus ou moins de chaleur de l'eau. Comment veux-tu que cette étuve fonctionne dans un pays où il n'y a pas de gaz? Non, non, si je quitte Paris, tout est fini position aussi bien que travail; je deviens médecin de village et rien que médecin de village. Que les huissiers me mettent dehors demain, et tout ce que j'ai accumulé depuis quatre ans dans ce laboratoire, tous mes travaux en train, ce qui est achevé comme ce qui ne demande plus peut-être que quelques jours, que quelques heures, s'en va chez le brocanteur ou est jeté à la rue. De tant d'efforts, de tant de nuits passées, de tant de privations, de tant d'espérances, il ne reste qu'un souvenir... pour moi. Et encore s'il ne restait pas, peut-être serais-je moins exaspéré et accepterais je d'un coeur moins ulcéré la vie à laquelle je ne me résignerai jamais. Tu sais bien, que je suis un révolté, non un résigné.

      Elle se leva et, lui prenant la main qu'elle serra fortement:

      —Il faut rester à Paris, dit-elle. Pardonne-moi d'avoir insisté tout à l'heure pour te prouver que tu pouvais vivre dans ton village. C'était à moi que je pensais plus qu'à toi, à notre amour, à notre mariage; c'était une pensée égoïste, une mauvaise, pensée. Il faut chercher, il faut trouver un moyen, n'importe lequel, quoi qu'il puisse coûter, de ne pas renoncer à tes travaux.

      —Il faut! Mais comment? Crois-tu que je n'aie pas tout épuisé?

      Il raconta ses démarches auprès de Jardine, ses sollicitations, ses prières et aussi sa demande de prêt à Glady, enfin sa visite à Caffié.

      —Caffié! s'écria-t-elle, comment l'idée t'est-elle venue de t'adresser à Caffié?

      —Un peu parce que tu m'avais souvent parlé de lui.

      —Mais je t'en ai parlé comme du plus dur et du plus méchant des hommes, capable de tout, si ce n'est de ce qui est bon et de ce qui est bien.

      —Un peu aussi parce que je savais par un de mes clients qu'il prêtait à ceux qu'il pouvait exploiter.

      —Et il t'a répondu?

      —Qu'il ne trouverait sans doute personne pour consentir le prêt que je désirais; cependant il m'a promis de chercher, et il doit me rendre réponse demain soir; il m'a promis aussi de me défendre contre Jardine.

      —Tu t'es mis entre ses mains!

      —Eh! que veux-tu? Dans ma position, je n'ai pas la liberté de m'adresser à qui je veux et m'inspire confiance par son honorabilité. Que j'aille chez un notaire, un banquier: ils ne m'écouteront pas, puisqu'au premier mot je serai obligé de leur répondre que je n'ai ni gage ni garantie à offrir. C'est pour cela que les malheureux tombent sous la coupe des coquins; au moins ceux-là les écoutent et leur accordent quelque chose, si peu que ce soit.

      —Que t'a-t-il accordé?

      —Ses conseils.

      —Et tu les as acceptés?

      —C'est toujours du temps de gagné. Demain peut-être, on m'eût mis dans la rue: Caffié m'obtiendra quelque répit.

      —Et de quel prix payeras-tu cette défense?

      —Il n'y a que ceux qui ont quelque chose qui s'inquiètent du prix.

      —Tu as ton nom, ton repos, ta dignité, ton honneur, et, une fois que tu seras aux mains de Caffié, qui peut savoir ce qu'il exigera de toi, ce qu'il te forcera à faire sans que tu puisses lui résister!

      —Alors tu veux que je quitte Paris?

      —Non certes; mais je veux que tu te tiennes en garde contre Caffié, que tu ne connais pas et que je connais, moi, par tout ce que Florentin nous racontait pendant qu'il était chez lui. Si secret qu'il soit, un homme d'affaires ne peut pas se cacher de son clerc: ce n'est pas seulement de coquineries que Caffié est coupable, c'est aussi de vrais crimes; je t'assure qu'il a mérité dix fois la mort. Pour gagner cent francs il est capable de tout: il faut qu'il gagne, qu'il amasse, rien que pour le plaisir d'amasser, puisqu'il n'a ni enfant ni parent, ni héritier.

      —Eh bien, je te promets de me tenir sur mes gardes, comme tu me le conseilles; mais, si coquin que puisse être Caffié, je crois que je dois accepter le concours qu'il m'a offert. Qui sait ce qui peut se produire pendant le temps qu'il me fera gagner? Car je n'ai pas à te dire, n'est-ce pas, que je connais d'avance sa réponse pour le prêt que je lui ai demandé: il n'aura trouvé personne.

      —Je viendrai quand même demain soir pour connaître cette réponse.

       Table des matières

      Bien que Saniel ne se fit pas d'illusion sur la réponse de Caffié, il alla le lendemain, à la même heure que la veille, sonner à la porte de l'homme d'affaires.

      Comme la veille, il eut à attendre assez longtemps avant que la porte s'ouvrît; à la fin il entendit un pas traînant sur le carreau.

      —Qui est là? demanda la voix de Caffié.

      Aussitôt que Saniel eut répondu, le pène fut tiré.

      —Comme je n'aime pas être dérangé le soir par des importuns, dit Caffié, je n'ouvre pas toujours; mais j'ai pour mes clients un signal qui me permet de les reconnaître: après avoir sonné, vous frappez du doigt trois coups également espacés contre le bois de la porte.

      Pendant cette explication, Saniel était entré dans le cabinet de l'homme d'affaires.

      —Vous êtes-vous occupé de ma demande? dit-il après un moment d'attente, car Caffié paraissait décidé à ne pas engager l'entretien le premier.

      —Oui, mon cher monsieur, j'ai couru toute la matinée pour vous; je ne néglige jamais mes clients, leur affaire est la mienne.

      Il fit une pause.

      —Alors? demanda Saniel.

      Caffié donna à sa physionomie une expression désolée.

      —Que vous avais-je dit, mon cher monsieur, rappelez-vous-le, je vous prie? Une expérience comme la mienne ne parle pas à la légère, faites-moi l'honneur de le croire. Eh bien, ce que j'avais prévu s'est réalisé: partout la même réponse: l'aléa est trop grand; personne n'en veut courir la chance.

      —Même pour un gros intérêt?

      —Même pour un gros intérêt: il y a tant de concurrence dans votre profession? Moi, je crois à votre avenir et je vous l'ai prouvé par ma proposition; mais, moi, je ne suis que l'intermédiaire et non le bailleur de fonds, malheureusement.

      Caffié avait insisté sur le mot «ma proposition» et du regard il l'avait encore soulignée; mais Saniel ne parut pas avoir compris.

      —Et l'assignation du tapissier? demanda-t-il.

      —Soyez

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