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est donc, n’est-ce pas, bien établi ?

      – Oui.

      – Eh bien ! dit Lupin, en se penchant davantage sur elle, d’une enquête à laquelle je me suis livré tantôt, il résulte que le second des trois prénoms, Louis, ou plutôt la partie de ligne sur laquelle il est inscrit, a été autrefois l’objet d’un travail de grattage. La ligne est surchargée d’une écriture nouvelle tracée avec de l’encre beaucoup plus neuve, mais qui, cependant, n’a pas effacé entièrement ce qui était écrit par en dessous. De sorte que…

      – De sorte que ? dit Mme Kesselbach, à voix basse.

      – De sorte que, avec une bonne loupe et surtout avec les procédés spéciaux dont je dispose, j’ai pu faire revivre certaines des syllabes effacées, et, sans erreur, en toute certitude, reconstituer l’ancienne écriture. Ce n’est pas alors Louis de Malreich que l’on trouve, c’est…

      – Oh ! Taisez-vous, taisez-vous…

      Subitement brisée par le trop long effort de résistance qu’elle opposait, elle s’était ployée en deux, et, la tête entre ses mains, les épaules secouées de convulsions, elle pleurait.

      Lupin regarda longtemps cette créature de nonchalance et de faiblesse, si pitoyable, si désemparée. Et il eût voulu se taire, suspendre l’interrogatoire torturant qu’il lui infligeait.

      Mais n’était-ce pas pour la sauver qu’il agissait ainsi ? Et, pour la sauver, ne fallait-il pas qu’il sût la vérité, si douloureuse qu’elle fût ?

      Il reprit :

      – Pourquoi ce faux ?

      – C’est mon mari, balbutia-t-elle, c’est lui qui a fait cela. Avec sa fortune, il pouvait tout, et, avant notre mariage, il a obtenu d’un employé subalterne que l’on changeât sur le registre le prénom du second enfant.

      – Le prénom et le sexe, dit Lupin.

      – Oui, fit-elle.

      – Ainsi, reprit-il, je ne me suis pas trompé : l’ancien prénom, le véritable, c’était Dolorès ? Mais pourquoi votre mari ? Elle murmura, les joues baignées de larmes, toute honteuse :

      – Vous ne comprenez pas ?

      – Non.

      – Mais pensez donc, dit-elle en frissonnant, j’étais la sœur d’Isilda la folle, la sœur d’Altenheim le bandit. Mon mari, ou plutôt mon fiancé, n’a pas voulu que je reste cela. Il m’aimait. Moi aussi, je l’aimais, et j’ai consenti. Il a supprimé sur les registres Dolorès de Malreich, il m’a acheté d’autres papiers, une autre personnalité, un autre acte de naissance, et je me suis mariée en Hollande sous un autre nom de jeune fille, Dolorès Amonti.

      Lupin réfléchit un instant et prononça pensivement :

      – Oui, oui, je comprends… Mais alors Louis de Malreich n’existe pas, et l’assassin de votre mari, l’assassin de votre sœur et de votre frère, ne s’appelle pas ainsi… Son nom…

      Elle se redressa et vivement :

      – Son nom ! Oui, il s’appelle ainsi… oui, c’est son nom tout de même… Louis de Malreich… L et M… Souvenez-vous… Ah ! Ne cherchez pas… c’est le secret terrible… Et puis, qu’importe !… le coupable est là-bas… Il est le coupable… je vous le dis… Est-ce qu’il s’est défendu quand je l’ai accusé, face à face ? Est-ce qu’il pouvait se défendre, sous ce nom-là ou sous un autre ? C’est lui… c’est lui… il a tué… il a frappé… le poignard… le poignard d’acier… Ah ! Si l’on pouvait tout dire !… Louis de Malreich… Si je pouvais…

      Elle se roulait sur la chaise longue, dans une crise nerveuse, et sa main s’était crispée à celle de Lupin, et il entendit qu’elle bégayait parmi des mots indistincts :

      – Protégez-moi… protégez-moi… Vous seul peut-être… Ah ! Ne m’abandonnez pas… je suis si malheureuse… Ah ! Quelle torture… quelle torture !… c’est l’enfer.

      De sa main libre, il lui frôla les cheveux et le front avec une douceur infinie, et, sous la caresse, elle se détendit et s’apaisa peu à peu.

      Alors, il la regarda de nouveau, et longtemps, longtemps, il se demanda ce qu’il pouvait y avoir derrière ce beau front pur, quel secret dévastait cette âme mystérieuse. Elle aussi avait peur ? Mais de qui ? Contre qui suppliait-elle qu’on la protégeât ?

      Encore une fois, il fut obsédé par l’image de l’homme noir, de ce Louis de Malreich, ennemi ténébreux et incompréhensible, dont il devait parer les attaques sans savoir d’où elles venaient, ni même si elles se produisaient.

      Qu’il fût en prison, surveillé jour et nuit la belle affaire ! Lupin ne savait-il pas par lui-même qu’il est des êtres pour qui la prison n’existe point, et qui se libèrent de leurs chaînes à la minute fatidique ? Et Louis de Malreich était de ceux-là.

      Oui, il y avait quelqu’un en prison à la Santé, dans la cellule des condamnés à mort. Mais ce pouvait être un complice, ou telle victime de Malreich tandis que lui, Malreich, rôdait autour du château de Bruggen, se glissait à la faveur de l’ombre, comme un fantôme invisible, pénétrait dans le chalet du parc, et, la nuit, levait son poignard sur Lupin, endormi et paralysé.

      Et c’était Louis de Malreich qui terrorisait Dolorès, qui l’affolait de ses menaces, qui la tenait par quelque secret redoutable et la contraignait au silence et à la soumission.

      Et Lupin imaginait le plan de l’ennemi : jeter Dolorès, effarée et tremblante, entre les bras de Pierre Leduc, le supprimer, lui, Lupin, et régner à sa place, là-bas, avec le pouvoir du grand-duc et les millions de Dolorès.

      Hypothèse probable, hypothèse certaine, qui s’adaptait aux événements et donnait une solution à tous les problèmes.

      « À tous ? objectait Lupin… Oui… Mais alors pourquoi ne m’a-t-il pas tué cette nuit dans le chalet ? Il n’avait qu’à vouloir et il n’a pas voulu. Un geste, et j’étais mort. Ce geste, il ne l’a pas fait. Pourquoi ? »

      Dolorès ouvrit les yeux, l’aperçut, et sourit, d’un pâle sourire.

      – Laissez-moi, dit-elle.

      Il se leva, avec une hésitation. Irait-il voir si l’ennemi était derrière ce rideau, ou caché derrière les robes de ce placard ? Elle répéta doucement :

      – Allez, je vais dormir…

      Il s’en alla.

      Mais dehors, il s’arrêta sous des arbres qui faisaient un massif d’ombre devant la façade du château. Il vit de la lumière dans le boudoir de Dolorès. Puis cette lumière passa dans la chambre. Au bout de quelques minutes, ce fut l’obscurité.

      Il attendit. Si l’ennemi était là, peut-être sortirait-il du château ?

      Une heure s’écoula, deux heures… Aucun bruit.

      « Rien à faire, pensa Lupin. Ou bien il se terre en quelque coin du château ou bien il en est sorti par une porte que je ne puis voir d’ici… À moins que tout cela ne soit, de ma part, la plus absurde des hypothèses. »

      Il alluma une cigarette et s’en retourna vers le chalet.

      Comme il s’en approchait, il aperçut, d’assez loin encore, une ombre qui paraissait s’en éloigner.

      Il ne bougea point, de peur de donner l’alarme.

      L’ombre traversa une allée. À la clarté de la lumière, il lui sembla reconnaître la silhouette noire de Malreich.

      Il s’élança.

      L’ombre s’enfuit et disparut.

      –

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