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universitaire et ex-chef… »

      « A-t-il été enterré à Ankara ? » demande-t-elle, n’ayant pas bien compris le problème.

      « Luigi Barbarino, c’est son nom, est mort il y a une semaine, pendant qu’il excavait dans un site archéologique à Tarse. Il faut que j’aille jusqu'à là-bas pour récupérer son corps… »

      « J’ai un copain qui vit à Tarse… “Ex” copain en réalité : il peut t’aider. Il est ingénieur dans une industrie pétrochimique. Je note son adresse » affirme-t-elle en déchirant une page de son agenda et y écrivant dessus.

      Par contre, je ne veux pas m’en profiter : « Merci, mais comment ferai-je avec la langue ? »

      « Il parle bien l’italien » répond-elle presque irritée. « Je lui l’ai appris »

      « Serait-il possible d’avoir son numéro de portable, pour l’appeler d’ici ? »

      « En réalité, je l’ai éliminé, mais si tu te rends à cet adresse tu le trouveras surement. Dis-lui que c’est Chiara qui t’envoie. »

      Elle me traite comme un enfant : elle me ramené à la gare des bus, demande un billet à mon nom et me faire monter sur l’autobus. Son parfum est un mixte entre le mystère et l’Orient. Je m'éloigne d’elle, mais pas avant de lui avoir laissé mon numéro écrit sur un papier.

      De l'extérieur le bus pour Tarse à l’air mignon, style années ‘60, et quand je rentre je comprends que c’est vraiment de cette période. De plus tout le monde fume : l’air est irrespirable. Heureusement les fenêtres dans les années soixante pouvaient encore s’ouvrir : je passe les six heures de voyage avec ma tête dehors, comme les chiens (qui sait pourquoi en plus). De cette façon je vois Ankara, jusqu'à ce moment j’en n’avait connu que les tristes bureaux. Les bâtiments rassemblent à l’interminable étendue urbaine grise et vague de Londres, avec une seule différence : ici elle est plus décadente ! Pour un moment j’efface de ma visuelle les maisons et les coupoles des mosquées et j’essaye en vain de voir la colonne que la ville de Ancyra (Ankara à l'époque des romains) avait construit en honneur de l’empereur Flavio Claudio Julien.

      Le cher Julien !

      Depuis des années j’ai une vraie fixation pour le dernier empereur païen d'époque romaine : quand je travaillais à la fac j’ai écrit plusieurs articles et un pair de livres à propos de lui. Surnommée l’Apostat car du christianisme il s'était converti au paganisme et essaya, pour toute sa brève vie, de ramener de nouveaux croyants en faisant de reformes sur la religion traditionnelle : son utopie était de faire revenir au paganisme tout l’empire, désormais inévitablement chrétien. La raison de son charme pour moi est entièrement la : l’empereur Julien voulait changer le monde, sans se rendre compte que le monde avait déjà changé, mais en tout autre direction, et on ne pouvait pas aller à l'arrière. Toujours dans l’avion, je m'étais promis que la colonne de l’empereur philosophe aurait été la première chose que j’allais voir à Ankara, mais avec ce bordel bureaucratique. En réalité c’est Julien le vrai motif qui m’a poussée en Turquie : la mission officielle aurait été celle de récupérer le corps du pauvre Barbarino, mais je suis la surtout pour voir la tombe du cher empereur, jamais retrouvée jusqu'à maintenant, et que le professeur, juste avant mourir, m’avait écrit d’avoir finalement retrouvée !

      Le bus voyage vite sur une interminable plaine désertique. Je m’endors en imaginant de me trouver dans un de ces films ou le protagoniste traverse en bus les États américains, d’une cote à l’autre.

      En ce moment, à Ankara, le lieutenant Karim, le même de cet infini après-midi en douane, rentre chez lui, ou ses deux enfants l’attendent : leur maman est partie il y a beaucoup d'années. Aturk, le plus grand, était derrière la porte depuis plusieurs minutes et l’ouvre grande dès qu’il entend le bruit de la vielle bagnole.

      « Alors, ils vont me la donner ? »

      « On ne dit même pas bonjour ? » répond brusque son père.

      « Bienvenu Mr le lieutenant », dit Aturk en ton de moquerie, et il répète : « Je vais l’avoir ? »

      Karim ne réponds pas, il rentre dans la maison, laisse sa veste sur le portemanteau et va s’asseoir sur le fauteuil marron du salon ; son fils le suit.

      « On ne m’a rien dit. »

      « Et tu ne peux pas les appeler ? Tu te rends compte de l’importance de cela ? »

      « Je sais » il répond sec. « Ramène-moi quelque chose à boire »

      Le lieutenant se lève pour récupérer de la poche interne de sa veste un petit cahier noir en cuir, revient sur le fauteuil et compose le numéro : « Bonsoir, c’est… »

      « Ne dites pas votre nom ! »

      Il est de suite interrompu par la voix de l’autre cote de l’appareil.

      « Je vous ai dit de ne pas appeler. »

      « Oui… c’est vrai, mais, vous savez… »

      La voix mystérieuse coupe court : « Avez-vous fait ce que j’ai demandé ? »

      « Oui, monsieur… »

      « Je vous ai dit de ne pas faire de noms ! »

      « Bref, cet italien : nous l’avons arrêtée et gardée, jusqu'à ce qu’on a pu. Maintenait il a un passepartout de l’ambassade, il aura son passeport seulement lundi. »

      « Bien ! N’oubliez pas : quand il revient à Ankara avec le cercueil, faites comme nous avons écrit. »

      « Oui, bien la sceller et marquer les lettres… »

      « Suivez les instructions » l’interromps la voix autoritaire.

      Le lieutenant continu craintif : « Bien sûr. Je voulais savoir si, comme d’accord, mon fils… »

      « Il peut faire sa demande. »

      « Donc vous m’assurez qu’il obtiendra… »

      Encore la voix, autoritaire : « Je vous dis de faire demande : elle sera acceptée ! »

      « Je…Je vous remercie. »

      « Au revoir. N’appelez plus jamais à ce numéro ! »

      « Merci encore, bonne soirée. »

      Aturk rentre de la cuisine avec un pas lente et maladroit, attentif à ne renverser même pas une goutte du verre rempli au bout d’un vin blanc de mauvaise qualité : « Alors ? »

      « Tu peux faire ta demande. »

      Son fils ne comprends pas l’expression : « Mais je l’ai prête depuis des mois… »

      « Je te dis, fais ta demande : la place est à toi. »

      « Merci, merci » Aturk se rapproche de son père comme pour lui faire un bisou. Il se limite à l’embrasser, avec un froid retour.

      « Allez, va préparer le diner pour toi et ton frère. »

      Le lieutenant bois à petites gorgées son vin, avant d’aller se coucher, satisfait de sa journée.

      Samedi 17 Juillet

      Je m'étais endormi en rêvant la Californie, je me réveille entre les bruits de clackson et un vociférer incompréhensible, pendant que le bus rentre lentement en gare. Tarse semble Palerme, célèbre, selon le film ‘‘ Johnny Stecchino ’‘, pour le trafic chaotique.

      J’arrive à pieds dans ce que j’estime être le centre-ville : je passe à cote d’une porte monumentale d'époque romaine (est-ce la célèbre porte ou Antoine rencontra Cléopâtre avant de la défaite d’Aktium ?) Ici personne ne parle Allemand, je montre juste le papier avec l’adresse de l'ingénieur à au moins dix personnes : entre gestes et quelques mots en anglais, on m’indique une rue à cote du fleuve Tarsus Çayi.

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