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vu autant de chardons; de plus, il y a un puits. Je reviens tout de suite.»

      En effet, elle ne tarda pas à revenir et se mit à chercher çà et là dans la voiture, d'où elle sortit le fourneau en terre, quelques morceaux de charbon et une vieille casserole, puis elle alluma le feu avec des brindilles et le souffla, en s'agenouillant devant, à pleins poumons.

      Quand il commença à prendre, elle remonta dans la voiture:

      «C'est du riz que tu veux, n'est-ce pas?

      — J'ai si peu faim.

      — Aurais-tu faim pour autre chose? J'irai chercher ce que tu voudras. Veux-tu?…

      — Je veux bien du riz.»

      Elle versa une poignée de riz dans la casserole où elle avait mis un peu d'eau, et, quand l'ébullition commença, elle remua le riz avec deux baguettes blanches dépouillées de leur écorce, ne quittant la cuisine que pour aller rapidement voir comment se trouvait Palikare et lui dire quelques mots d'encouragement qui, à vrai dire, n'étaient pas indispensables, car il mangeait ses chardons avec une satisfaction, dont ses oreilles traduisaient l'intensité.

      Quand le riz fut cuit à point, à peine crevé et non réduit on bouillie, comme le servent bien souvent les cuisinières parisiennes, elle le dressa sur une écuelle en une pyramide à large base, et le posa dans la voiture.

      Déjà elle avait été emplir une petite cruche au puits et l'avait placée auprès du lit de sa mère avec deux verres, deux assiettes, deux fourchettes; elle posa son écuelle de riz à côté et s'assit sur le plancher, les jambes repliées sous elle, sa jupe étalée

      «Maintenant, dit-elle, comme une petite fille qui joue à la poupée, nous allons faire la dînette, je vais te servir.»

      Malgré le ton enjoué qu'elle avait pris, c'était d'un regard inquiet qu'elle examinait sa mère, assise sur son matelas, enveloppée d'un mauvais fichu de laine qui avait dû être autrefois une étoffe de prix, mais qui maintenant n'était plus qu'une guenille, usée, décolorée.

      «Tu as faim, toi? demanda la mère.

      — Je crois bien, il y a longtemps.

      — Pourquoi n'as-tu pas mangé un morceau de pain?

      — J'en ai mangé deux, mais j'ai encore une belle faim: tu vas voir; si ça met en appétit de regarder manger les autres, la platée sera trop petite.»

      La mère avait porté une fourchette de riz à sa bouche, mais elle la tourna et retourna longuement sans pouvoir l'avaler.

      — Ça ne passe pas très bien, dit-elle en réponse au regard de sa fille.

      — Il faut te forcer: la seconde bouchée passera mieux, la troisième mieux encore.»

      Mais elle n'alla pus jusque-là, et après la seconde elle reposa sa fourchette sur son assiette:

      «Le coeur me tourne, il vaut mieux ne pas persister.

      — Oh! maman!

      — Ne t'inquiète pas, ma chérie, ce n'est rien; on vit très bien sans manger quand on n'a pas d'efforts à faire; avec le repos l'appétit reviendra.»

      Elle défit son fichu et s'allongea sur son matelas haletante, mais si faible qu'elle fût elle ne perdit pas la pensée de sa fille, et en la voyant les yeux gonflés de larmes elle s'efforça de la distraire:

      «Ton riz est très bon, mange-le; puisque tu travailles tu dois te soutenir; il faut que tu sois forte pour me soigner; mange, ma chérie, mange.

      — Oui, maman, je mange; tu vois, je mange.»

      À la vérité elle. devait faire effort pour avaler, mais peu à peu, sous l'impression des douces paroles de sa mère, sa gorge se desserra, et elle se mit à manger réellement; alors l'écuelle de riz disparut vite, tandis que sa mère la regardait avec un tendre et triste sourire:

      «Tu vois qu'il faut se forcer.

      — Si j'osais, maman!

      — Tu peux oser.

      — Je te répondrais que ce que tu me dis, c'était cela même que je te disais.

      — Moi, je suis malade.

      — C'est pour cela que si tu voulais j'irais chercher un médecin; nous sommes à Paris, et à Paris il y a de bons médecins.

      — Les bons médecins ne se dérangent pas sans qu'on les paye.

      — Nous le payerions.

      — Avec quoi?

      — Avec notre argent; tu dois avoir sept francs dans ta robe et en plus un florin que nous pouvons changer ici; moi j'ai dix-sept sous. Regarde dans ta robe.»

      Cette robe noire, aussi misérable que la jupe de Perrine, mais moins poudreuse, car elle avait été battue, était posée sur le matelas et servait de couverture; sa poche explorée donna bien les sept francs annoncés et le florin d'Autriche.

      «Combien cela fait-il en tout? demanda Perrine, je connais si mal l'argent français.

      — Je ne le connais guère mieux que toi.»

      Elles firent le compte, et en estimant le florin à deux francs elles trouvèrent neuf francs quatre-vingt-cinq centimes.

      «Tu vois que nous avons plus qu'il ne faut pour le médecin, continua Perrine.

      — Il ne me guérirait pas par des paroles, il ordonnerait des médicaments, comment les payer?

      — J'ai mon idée. Tu penses bien que quand je marche à côté de Palikare, je ne passe pas tout mon temps à lui parler, quoiqu'il aimerait cela; je réfléchis aussi à toi, à nous, surtout à toi, pauvre maman, depuis que tu es malade, à notre voyage, à notre arrivée à Maraucourt. Est-ce que tu crois que nous pouvons nous y montrer dans notre roulotte qui, si souvent, sur notre passage a fait rire? Cela nous vaudrait-il un bon accueil?

      — Il est certain que même pour des parents qui n'auraient pas de fierté, cette entrée serait humiliante.

      — Il vaut donc mieux qu'elle n'ait pas lieu; et puisque nous n'avons plus besoin de la roulotte nous pouvons la vendre. D'ailleurs à quoi nous sert-elle maintenant? Depuis que tu es malade, personne n'a voulu se laisser photographier par moi; et quand même je trouverais des gens assez braves pour se fier à moi, nous n'avons plus de produits. Ce n'est pas avec ce qui nous reste d'argent que nous pouvons dépenser trois francs pour un paquet de développement, trois francs pour un virage d'or et d'acétate, deux francs pour une douzaine de glaces. Il faut la vendre.

      — Et combien la vendrons-nous?

      — Nous la vendrons toujours quelque chose: l'objectif est en bon état; et puis il y a le matelas…

      — Tout, alors?

      — Cela te fait de la peine?

      — Il y a plus d'un an que nous vivons dans cette roulotte, ton père y est mort, cela fait que si misérable qu'elle soit, la pensée de m'en séparer m'est douloureuse; de lui c'est tout ce qui nous reste, et il n'est pas une seule de ces pauvres choses à laquelle son souvenir ne soit attaché.»

      Sa parole haletante s'arrêta tout à fait, et sur son visage décharné des larmes coulèrent sans qu'elle pût les retenir.

      «Oh! maman, s'écria Perrine, pardonne-moi de t'avoir parlé de cela.

      — Je n'ai rien à te pardonner, ma chérie; c'est le malheur de notre situation que nous ne puissions, ni toi ni moi, aborder certains sujets sans nous attrister réciproquement, comme c'est la fatalité de mon état que je n'aie aucune force pour résister, pour penser, pour vouloir, plus enfant que tu ne l'es toi-même. N'est- ce pas moi qui aurais dû te parler comme tu viens de le faire, prévoir ce que tu as prévu, que nous ne pouvions pas arriver à Maraucourt dans cette roulotte, ni nous montrer dans

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