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Ce que disait la flamme. Hector Bernier
Читать онлайн.Название Ce que disait la flamme
Год выпуска 0
isbn 4064066088408
Автор произведения Hector Bernier
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il menace donc:
—Yvonne, soyez franche! je le veux!
—Je le regrette!
—Que je le veuille?
—Non, que je l'aie dit!…
—Et moi qui m'illusionnais encore de l'espoir que vous n'aviez pas été sérieuse!
—Pardon, Lucien, de mon étourderie. Elle fut si peu volontaire.
—Je vous ai presque suppliée de ne pas éluder mes questions… Je croyais qu'elle était finie, votre…
—Insolence! je le mérite!
—Non, votre badinage mordant qui méprise…
—Cela, je ne le veux pas, Lucien! Je ne vous méprise pas, je vous… admire.
—Pourquoi venez-vous d'hésiter?
—J'allais vous dire davantage, une chose beaucoup plus douce que l'admiration toute seule. J'ai cru qu'il valait mieux… museler mon coeur.
—Vous croyez, en m'attendrissant, disperser l'orage. Eh bien, je vous parle à coeur large ouvert! Vous êtes la première jeune fille auprès de laquelle j'insiste. D'ordinaire, quand une jeune fille essaye de me faire danser comme une marionnette au gré de sa fantaisie, je l'abandonne, je la proscris de ma mémoire! Je l'ignore à tel point qu'elle me semble n'avoir jamais existé! Je n'ai jamais été dupe d'une femme, je ne le serai pas de vous! Je vous le déclare sans violence, mais avec la fermeté que je dois à mon honneur que vous offensez! On ne badine pas avec la dignité d'un homme, fût-on la plus jolie femme de Québec!
—Vous envisagez la chose avec trop de colère et un honneur trop minutieux, répondit Yvonne, irritée par cette explosion de fureur outrée.
—C'est fort bien, Mademoiselle Fontaine, nous allons faire nos adieux! Puisque vous ne cédez pas, nous nous séparons à jamais! Quand c'est fini, je suis impitoyable!
Et il se lève, le visage roide et majestueux. Yvonne a l'intuition qu'il ne ment pas, qu'il a l'orgueil bête, irréductible. C'est pour ne plus revenir qu'il s'en ira! Est-il impossible de l'asservir, toutefois? Si elle en faisait l'expérience hardie? Mais ce n'est pas de l'amour, cette bouderie puérile, et elle aime Lucien au point de lui sacrifier le désir profondément féminin de courber l'homme sous le joug dans une querelle d'amour.
—Lucien! ne partez pas! s'écrie-t-elle, affectueuse.
—Vous vous expliquez, alors?…
—Interrogez, je vais répondre…
—Pourquoi êtes-vous si différente, si acariâtre, ce soir?
—Je n'ai pas changé à votre égard, Lucien! Je pense de vous toutes les jolies choses d'auparavant…
—Pourquoi, s'il vous plaît?
—Je ne puis vous satisfaire, parce que vous grossissez ma faute. Vous en faites boule de neige: la chicane, je ne l'ai pas voulue. Rien en moi n'a voulu vous être désagréable!
—Vous ne serez donc pas franche! Je vous croyais la plus loyale des jeunes filles! Il n'y a que des femmes moins déloyales les unes que les autres, il n'y a pas de femmes vraiment, sans cesse loyales! Elles sont toutes comédiennes!
—Elles vous ont ainsi trompé? insinua-t-elle, adroitement.
—Me tromper, moi? Jamais, je suis… j'ai toujours flairé la ruse féminine. Et vous ne me trompez pas, Yvonne, je vous le répète solennellement!… Je vous demande une justification!
—Je vous ai déjà fait apologie aussi nettement que j'en suis capable! Mon humeur voulait, mon coeur ne voulait pas!… Je ne puis trouver autre chose!
—C'est précisément la cause de cette humeur maussade qu'il me faut!
—Eh bien… oui… il y a quelque chose, on m'a influencé contre vous, et j'avais les nerfs si mauvais…
—Qui donc? vous me devez cela!
—Qui?…
—Oui, savoir lequel éclaircira tout!
—Il est préférable que je ne dise pas son nom!…
—Vous l'avez cru?
—N'insistez pas, je ne suis pas préparée à tout vous dire, ce soir! Si vous m'aimez, Lucien, n'exigez pas, soyez généreux! Demain, un autre jour, il n'y aura plus de mystère entre nous. Je me sens trop nerveuse, trop triste… Je vous garde mon amour, mais j'ai besoin de réfléchir. Vous ne pouvez me refuser, il se passe en moi des choses qui torturent. Vous êtes bon, vous comprenez, dites?…
—Mais…
Une résonance de pas très fermes, escaladant les degrés de pierre au-dehors, fige le reste de sa phrase. Des plis d'amer désappointement se creusent entre les beaux sourcils de Lucien. D'un geste presque rageur, sa main gauche étreint le bras du fauteuil où il s'agite. Yvonne croit entendre la démarche de son père.
—C'est toi, papa? demande-t-elle, heureuse de la diversion qu'il apporte.
—C'est moi, Jean!
—Ah! murmure-t-elle, confuse, le coeur battant plus fort.
L'invitera-t-elle à venir? N'est-il pas dangereux qu'ils se rencontrent, tous les deux? Si elle n'appelle pas Jean, Lucien va peut-être le soupçonner d'être l'adversaire, le délateur. Il faut qu'il vienne.
—Jean, tu ne montes pas immédiatement? dit-elle, frémissante.
Un silence grave longuement tombe…
IV
L'APATHIE GÉNÉRALE, IMMENSE…
C'est que Jean revenait plus hostile à Lucien Desloges qu'il ne l'était. L'appel d'Yvonne l'incommode, l'agace, et il tergiverse. Il ne peut se dérober: il y aurait malséance et malveillance à le faire. Et l'obligation de feindre une sympathie courtoise, alors qu'il voudrait témoigner son indifférence et même son amertume, lui répugne, retarde sa docilité. Il devrait ne pas faire attendre, il veut obéir, mais une puissance intime l'en dissuade, l'immobilise sur place, et les secondes, à l'intérieur du salon, paraissent longues à vivre.
C'est que Jean revient de la première séance du Congrès de la langue française. Un peu distraitement, sans y mettre la passion d'un vrai coeur de patriote, il a suivi les préparatifs de ce ralliement des âmes françaises américaines autour de leur drapeau de survivance, la langue française. La curiosité, plus qu'un sentiment avide de jaillir, a conduit ses pas vers la salle du «Manège» où la rumeur de la foule enflait toujours. Avec quels sons palpitants d'amour et d'orgueils infiltrés le long des siècles, elle a monté de la gorge haletante des orateurs vers Dieu, la langue d'autrefois, pure et victorieuse, la langue de toujours!… A travers les rangs de ces milliers d'hommes et de femmes recueillis et parfois transfigurés, de poitrine en poitrine elle faisait courir des brises tantôt douces ineffablement, tantôt saturées des parfums enivrants du triomphe, et l'on aurait dit que tous les coeurs, au moment de certains silences grandioses, devenaient un seul coeur, le coeur gonflé de toute une