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Contes du jour et de la nuit. Guy de Maupassant
Читать онлайн.Название Contes du jour et de la nuit
Год выпуска 0
isbn 4064066088255
Автор произведения Guy de Maupassant
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Mais tout à coup, il demeura immobile, perclus d'angoisse, en passant devant une fenêtre. On gémissait dans la maison.
Il s'approcha, et enjambant une bordure de thym, colla son oreille contre l'auvent, pour mieux écouter; assurément on gémissait. Il entendait fort bien de longs soupirs douloureux, une sorte de râle, un bruit de lutte. Puis, les gémissements devinrent plus forts, plus répétés, s'accentuèrent encore, se changèrent en cris.
Alors Boniface, ne doutant plus qu'un crime s'accomplissait en ce moment-là même, chez le percepteur, partit à toutes jambes, retraversa le petit jardin, s'élança à travers la plaine, à travers les récoltes, courant à perdre haleine, secouant sa sacoche qui lui battait les reins, et il arriva, exténué, haletant, éperdu à la porte de la gendarmerie.
Le brigadier Malautour raccommodait une chaise brisée au moyen de pointes et d'un marteau. Le gendarme Rautier tenait entre ses jambes le meuble avarié et présentait un clou sur les bords de la cassure; alors le brigadier, mâchant sa moustache, les yeux ronds et mouillés d'attention, tapait à tous coups sur les doigts de son subordonné.
Le facteur, dès qu'il les aperçut, s'écria:
—Venez vite, on assassine le percepteur, vite, vite!
Les deux hommes cessèrent leur travail et levèrent la tête, ces têtes étonnées de gens qu'on surprend et qu'on dérange.
Boniface, les voyant plus surpris que pressés, répéta:
—Vite, vite! Les voleurs sont dans la maison, j'ai entendu les cris, il n'est que temps.
Le brigadier, posant son marteau par terre, demanda:
—Qu'est-ce qui vous a donné connaissance de ce fait?
Le facteur reprit:
—J'allais porter le journal avec deux lettres quand je remarquai que la porte était fermée et que le percepteur n'était pas levé. Je fis le tour de la maison pour me rendre compte, et j'entendis qu'on gémissait comme si on eût étranglé quelqu'un ou qu'on lui eût coupé la gorge, alors je m'en suis parti au plus vite pour vous chercher. Il n'est que temps.
Le brigadier se redressant, reprit:
—Et vous n'avez pas porté secours en personne?
Le facteur effaré répondit:
—Je craignais de n'être pas en nombre suffisant.
Alors le gendarme, convaincu, annonça:
—Le temps de me vêtir et je vous suis.
Et il entra dans la gendarmerie, suivi par son soldat qui rapportait la chaise.
Ils reparurent presque aussitôt, et tous trois se mirent en route, au pas gymnastique, pour le lieu du crime.
En arrivant près de la maison, ils ralentirent leur allure par précaution, et le brigadier tira son revolver, puis ils pénétrèrent tout doucement dans le jardin et s'approchèrent de la muraille. Aucune trace nouvelle n'indiquait que les malfaiteurs fussent partis. La porte demeurait fermée, les fenêtres closes.
—Nous les tenons, murmura le brigadier.
Le père Boniface, palpitant d'émotion, le fit passer de l'autre côté, et, lui montrant un auvent:
—C'est là, dit-il.
Et le brigadier s'avança tout seul, et colla son oreille contre la planche. Les deux autres attendaient, prêts à tout, les yeux fixés sur lui.
Il demeura longtemps immobile, écoutant. Pour mieux approcher sa tête du volet de bois, il avait ôté son tricorne et le tenait de sa main droite.
Qu'entendait-il? Sa figure impassible ne révélait rien, mais soudain sa moustache se retroussa, ses joues se plissèrent comme pour un rire silencieux, et enjambant de nouveau la bordure de buis, il revint vers les deux hommes, qui le regardaient avec stupeur.
Puis il leur fit signe de le suivre en marchant sur la pointe des pieds; et, revenant devant l'entrée, il enjoignit à Boniface de glisser sous la porte le journal et les lettres.
Le facteur, interdit, obéit cependant avec docilité.
—Et maintenant, en route, dit le brigadier.
Mais dès qu'ils eurent passé la barrière il se retourna vers le piéton, et, d'un air goguenard, la lèvre narquoise, l'œil retroussé et brillant de joie:
—Que vous êtes un malin, vous?
Le vieux demanda:
—De quoi? j'ai entendu, j'vous jure que j'ai entendu.
Mais le gendarme, n'y tenant plus, éclata de rire. Il riait comme on suffoque, les deux mains sur le ventre, plié en deux, l'œil plein de larmes, avec d'affreuses grimaces autour du nez. Et les deux autres, affolés, le regardaient.
Mais comme il ne pouvait parler, ni cesser de rire, ni faire comprendre ce qu'il avait, il fit un geste, un geste populaire et polisson.
Comme on ne le comprenait toujours pas, il le répéta, plusieurs fois de suite, en désignant d'un signe de tête la maison toujours close.
Et son soldat, comprenant brusquement à son tour, éclata d'une gaieté formidable.
Le vieux demeurait stupide entre ces deux hommes, qui se tordaient.
Le brigadier, à la fin, se calma, et lançant dans le ventre du vieux une grande tape d'homme qui rigole, il s'écria:
—Ah! farceur, sacré farceur, je le retiendrai l' crime au père Boniface!
Le facteur ouvrait des yeux énormes et il répéta:
—J'vous jure que j'ai entendu.
Le brigadier se remit à rire. Son gendarme s'était assis sur l'herbe du fossé pour se tordre tout à son aise.
—Ah! t'as entendu. Et ta femme, c'est-il comme ça que tu l'assassines, hein, vieux farceur?
—Ma femme?...
Et il se mit à réfléchir longuement, puis il reprit:
—Ma femme.... Oui, all' gueule quand j'y fiche des coups.... Mais all' gueule, que c'est gueuler, quoi. C'est-il donc que M. Chapatis battait la sienne?
Alors le brigadier, dans un délire de joie le fit tourner comme une poupée par les épaules, et il lui souffla dans l'oreille quelque chose dont l'autre demeura abruti d'étonnement.
Puis le vieux, pensif, murmura:
—Non... point comme ça..., point comme ça..., point comme ça... all' n' dit rien, la mienne.... J'aurais jamais cru... si c'est possible... on aurait juré une martyre ...
Et, confus, désorienté, honteux, il reprit son chemin à travers les champs, tandis que le gendarme et le brigadier, riant toujours et lui criant, de loin, de grasses plaisanteries de caserne, regardaient s'éloigner son képi noir, sur la mer tranquille des récoltes.
ROSE
Les deux jeunes femmes ont l'air ensevelies sous une couche de fleurs. Elles sont seules dans l'immense landau chargé de bouquets comme une corbeille géante. Sur la banquette du devant, deux bannettes de satin blanc sont pleines de violettes de Nice, et sur la peau d'ours qui couvre les genoux un amoncellement de roses, de mimosas, de giroflées,