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lierre qui montaient jusque-là et se balançaient au vent. Une corniche de pierre en saillie, soutenue par une rangée d'affreux petits marmousets accroupis et tirant la langue, passait sous la fenêtre à trois ou quatre pieds environ, et se rattachait à l'ancien balustre de l'escalier, dont il ne restait plus que trois ou quatre colonnettes. De la fenêtre de maître François on pouvait voir le plus beau paysage du beau pays d'Anjou. Le clos des moines, tout planté de vignes, descendait en amphithéâtre et n'était séparé de la route que par une haie d'églantiers. Plus loin s'étendaient d'immenses prairies, que des pommiers émaillaient au printemps d'une pluie de fleurs blanches et rosés; puis, plus loin encore, entre les touffes rembrunies des grands arbres de la Chesnaie, on voyait au pied d'un coteau boisé, joyeuses et bien entretenues, les maisonnettes de la closerie où nous avons laissé Marjolaine.

      La table sur laquelle travaillait le frère médecin était auprès de la fenêtre, et de gros livres entassés lui servaient pour ainsi dire de rempart. Des ouvrages en latin, en grec, en hébreu, étaient ouverts pêle-mêle devant lui, à ses côtés et jusque sur le plancher, où le vent les feuilletait à son caprice. Les Dialogues de Lucien étaient posés sur les Aphorisme d'Hippocrate, la Légende dorée était coudoyée par Lucrèce, un petit Horace servait de marque à un immense Saint Augustin, qui ensevelissait le petit livre profane devant ses grands feuillets jaunes et bénis; le Satyricon de Pétrone était caché sous le Traité de la Virginité, par saint Ambroise, et près d'un gros in-folio de polémique religieuse était ouverte la Batracomyomachie d'Homère, dont les marges étaient tout illustrées, par le frère François lui-même, d'étonnants croquis à la plume, où les rats et les grenouilles figuraient en capuchons de moine, en tête rases de réformé, en robes fourrées de chattemite, en chaperons de formaliste et en gros bonnets de docteur.

      En rentrant dans sa cellule, maître François avait l'air grave et presque soucieux; il s'assit dans sa grande chaire de bois sculpté, et posant ses deux coudes sur la table couverte de papiers et de livres, il resta quelques minutes immobile, caressant à deux mains sa barbe frisée et pointue. Puis, se renversant sur le dossier de son siège, il étendit les bras en bâillant, et son bâillement se termina par un long éclat de rire.

      —Oh! le bon moine qu'ils vont faire! s'écria-t-il. Oh! la gloire future des cordeliers! Comme il fera croître et multiplier la sainte famille du Seigneur! Oh! le vrai parangon des moines! et combien les femmes et les filles se réjouiront des voeux qu'il va faire! Car, si à pas une ne doit-il du tout appartenir, toutes, en vérité, peuvent avoir espérance de conquérir ses bonnes grâces. Oh! comme il pratiquera bien la charité envers le prochain, et combien d'indulgence il fera gagner aux maris dont il confessera les femmes, et aux pères et mères dont il catéchisera les fillettes! Dieu garde de mal ceux qui n'en diront rien et qui voudront que pardessus tout et à propos de tout la Providence soit bénie! Ça, voyons un peu où j'en étais de mes annotations sur les ouvrages de Luther.

      Il tira alors d'une cachette pratiquée entre le mur et la table un in-folio chargé de notes manuscrites qu'il se mit à étudier. Parfois il frappait du dos de la main sur le livre et souriait d'une manière étrange en disant à demi-voix: Courage, Martin! D'autres fois, il haussait les épaules et soulignait un passage. A un endroit où était prédite la destruction de Rome, il écrivit en marge: Quando corpus destruitur, anima emancipatur. «Quand le corps est détruit, l'âme est délivrée.» Puis plus bas: Corpus est quod corrumpitur et mutatur, anima immortalis est. «Le corps se corrompt et change de forme, l'âme est immortelle.»

      A une autre page, il écrivit encore: «Il y a une Rome spirituelle comme une Jérusalem spirituelle. C'est la Jérusalem des scribes et des pharisiens qui a été détruite par Titus, et les luthériens ne pourront jamais renverser que la Rome des castrats et des moines hypocrites, celle de Jésus-Christ et de saint Pierre ne les craint pas.»

      A la fin du volume, il écrivit en grosses lettres: «ECCLESIA CATHOLICA.—Association universelle. ECCLESIA LUTHERANA.—Société de maître Luther.» Puis il se prit à rire.

      Mais bientôt reprenant son sérieux et devenant rêveur:—Eh bien! oui, murmurait-il, la société universelle doit respecter les droits de maître Martin, si elle veut que maître Martin se soumette aux devoirs que la société universelle lui impose!—Brûler un homme parce qu'il se trompe… c'est sanctifier l'erreur par le martyre. Toute pensée est vraie par le seul courage de sa protestation et de sa résistance dès qu'on veut la rendre esclave et l'empêcher de se produire, et l'on doit combattre pour elle jusqu'à la mort: car la vérité ne craint pas le mensonge, elle le dissipe par elle-même comme le jour dissipe la nuit. C'est le mensonge qui a peur de la vérité: ce sont donc les persécuteurs qui sont les vrais sectaires. La liberté généreuse est catholique, parce qu'elle seule doit conquérir et sauver l'univers: elle est apostolique, parce que les apôtres sont morts pour la faire régner sur la terre. La vraie église militante, c'est la société des martyrs!… la liberté de conscience… Voilà la base de la religion éternelle: voilà la clef du ciel et de l'enfer!

      Maître François rouvrit encore une fois son livre, et à un endroit où il était parlé de la prétendue idolâtrie de l'église romaine, il écrivit:

      Quid judicas si tu non vis judicari? Libertatem postulas, da libertatem.—Pourquoi juger si tu ne veux pas qu'on te juge? Tu veux la liberté, donne la liberté.»

      Et plus bas: «Chacun peut renverser ses propres idoles dès qu'il ne les adore plus. Mais, si ton idole est encore un Dieu pour ton frère, respecte le Dieu de ton frère, si tu veux qu'il respecte ton incrédulité: et laisse-lui sa religion, pour qu'il n'attente pas à ta vie: car l'homme doit estimer sa vie moins que ses dieux.»

      Au bas d'une autre page, il écrivit encore: «Je proteste contre la protestation qu'on impose, et quand les luthériens iront torturer les catholiques, les vrais protestants seront les martyrs… Voilà le vrai: le reste n'est que de la brouillerie et du grimoire… Mais que répondrons-nous aux sorbonistes, aux subtilités d'Eckius, aux doctes fariboles de Melanchton et aux arguments que le diable fait à maître Martin Luther? Solventur risu tabuloe, lu missus abibis!» J'en accepte l'augure, et buvons frais, dit maître François en fermant son gros livre.

      Autre argument ne peut mon coeur élire, Voyant le deuil qui vous mine et consomme: Mieux vaut de ris que larmes écrire, Pour ce que rire est le propre de l'homme.

      Où diable ai-je pris ce quatrain? Je crois en vérité que je viens de le faire. J'ai donc pris au fond du pot, puisque je rime déjà!

      En ce moment on frappa discrètement à la porte, puis le loquet tourna avec précaution, et la plus jolie tête de moinillon qui fût oncques encapuchonnée regarda dans la chambre, en disant:

      —Peut-on entrer, maître François?

      —Comment! vous ici, frère Lubin? Mais, petit malheureux, vos épaules vous démangent-elles? et voulez-vous que frère Paphnuce, demain au chapitre, vous fasse donner du miserere jusqu'à vitulos?

      —Je me moque bien de frère Paphnuce, dit le novice en se glissant dans la bibliothèque dont il referma cependant la porte avec soin et sans bruit; il faut absolument que je vous parle; vous savez que je dois faire profession dans trois jours?

      —Frère Paphnuce ne me l'a pas laissé ignorer, mon pauvre petit frère Lubin, et je vous en félicite de mon mieux; ce n'est pas ma faute si ce n'est guère.

      Cependant le frère Lubin s'était vite installé à la fenêtre, et, avec des larmes au bord des yeux, il regardait du côté de la Chesnaie.

      —J'ai eu bien de la peine à m'échapper, dit-il après un long silence: frère Paphnuce me croit en oraison dans la grotte de la Basmette, d'où l'on a déjà déplacé la statue peinte de madame sainte Madeleine, pour mettre à sa place l'image miraculeuse de saint François, vous savez, cette statue de bois qu'on habille en vrai franciscain, et qui pleure, dit-on, lorsque l'ordre est menacé de quelque danger; est-ce vrai cela, maître François?

      —Vous pouvez le croire, puisque

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