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      Le vicomte s'empressa d'obéir.

      —C'est vraiment une chose curieuse, continua-t-elle en élevant son verre au-dessus de sa tête, que de voir le dernier rejeton, à ce qu'on dit, d'une des plus illustres familles de la Bretagne, servir d'échanson à une courtisane. Messieurs, je bois à votre santé, vous ne valez pas mieux que moi.

      —Bravo! Félicité, s'écrièrent toutes les femmes, c'est très bien! Mais achève ton histoire.

      Félicité chancelait sur sa chaise, ses yeux regardaient sans voir, la pauvre fille commençait à ressentir les premières atteintes de l'ivresse.

      —Ah! oui, dit-elle, il faut que j'achève mon histoire. Eh bien! moi aussi j'ai eu du bonheur, comme toi, Mina, comme vous toutes, mesdames ou mesdemoiselles, j'ai trouvé un homme qui paye ma marchande de modes, mon bijoutier et mes laquais; mais cet homme qui est vieux et laid, il ne m'aime pas, il m'a achetée comme il aurait acheté un cheval ou un chien de prix; je suis pour lui un objet de luxe, et il me quitterait demain si je cessais d'être à la mode... mais je suis à la mode! aussi je suis bien parée, j'ai des diamants et des laquais, et je dors sur la plume. Cela durera tant que dureront ma jeunesse et mes attraits... tant que je serai drôle, comme dit monsieur chose,... après, l'hôpital; c'est ce qui nous attend toutes... Lorsque j'y serai pour y mourir, on ne m'en chassera peut-être pas...

      Félicité Beauperthuis prit le verre placé à côté d'elle, et, bien qu'il fût vide, elle essaya de le porter à ses lèvres, mais elle n'eut pas la force de le soutenir, elle le laissa tomber, et il se brisa sur le parquet; puis elle promena autour d'elle des regards étonnés, sa tête tomba sur sa poitrine, et elle s'endormit profondément.

      Le récit qu'elle venait de faire avait diversement impressionné les convives; de Pourrières, quelques jeunes gens et les femmes étaient tous disposés à la croire et à la plaindre, les autres pensaient qu'elle avait voulu seulement se rendre intéressante.

      —Je n'aime ni les romans ni les drames, dit le limonadier à moustaches grises, et si ces dames ne peuvent nous raconter que des histoires à peu près semblables à celle que nous venons d'écouter, elles feront mieux de se taire; c'était très-ennuyeux.

      —Vous vous exprimez avec bien de la rudesse, mon cher, lui répondit la danseuse.

      —Ce n'est pas de la rudesse mais de la bonne franchise militaire.

      —Allons, allons, vous calomniez les militaires, ils sont en général très-polis, même ceux qui servent dans la grosse cavalerie.

      —De Lussan, l'histoire du lingot, dit Mina?

      —Je crains de mettre notre ami en colère, répondit le vicomte.

      —Allons donc, il n'est pas aussi méchant que l'animal dont parle la chanson, quand on l'attaque, il ne se défend pas.

      Le limonadier à moustaches grises quitta sans dire un mot le siége qu'il occupait, et sortit du salon en se glissant le long des murs, afin de ne pas être aperçu.

      —Un individu d'une probité plus que douteuse, dit de Lussan lorsqu'il fut dehors, se dit un jour, que ce serait faire quelque chose de très-drôle, et qui ferait bien rire messire Satan, que de trouver les moyens de mettre dedans notre estimable ami; après avoir longtemps réfléchi, voici comment il s'y prit pour arriver à son but.

      Il alla trouver cet honorable négociant, qu'il pria de lui accorder un entretien secret, et auquel, lorsqu'ils furent seuls, il tint à peu près ce langage:

      —J'exerçais en province la profession de marchand bijoutier; par suite d'affaires malheureuses, j'ai été forcé de quitter le commerce; et il ne me reste plus de tout ce que j'ai possédé, qu'un lingot d'or qui peut valoir environ dix mille francs; la position dans laquelle je me trouve m'interdit la faculté de vendre ouvertement ce lingot, formé de bijoux que j'ai trouvé le moyen de soustraire à mes créanciers à l'époque de ma faillite; si vous voulez me l'acheter, je serai assez raisonnable pour vous laisser la possibilité de réaliser un joli bénéfice.»

      Une semblable proposition devait être accueillie par notre ami, on prit jour pour conclure le marché.

      Le propriétaire du lingot fit observer au limonadier à moustaches grises, qu'ils ne devaient pas traiter coram populo une affaire aussi délicate; notre ami comprit la justesse de cette observation et il s'empressa de louer une petite mansarde au sixième étage d'un très-modeste hôtel garni, dans laquelle il se trouva au moment indiqué.

      —Avez-vous apporté tout ce qu'il faut pour essayer le titre de l'or, lui dit le possesseur du lingot.

      —Ma foi, non.

      —Comment faire, alors.

      —C'est très-embarrassant.

      —Eh! mais j'y pense, j'ai justement sur moi une petite scie, nous allons en détacher un morceau que vous irez faire essayer chez le premier bijoutier.

      Le lingot fut tiré de son enveloppe et posé sur une table; notre ami se chargea de le tenir pendant que l'autre sciait, un morceau enlevé en quelques traits de scie, tomba à terre; le fripon se baissa, le ramassa, et le remit à notre digne ami qui l'examina quelques instants avant de sortir pour le faire essayer.

      —C'est de l'or, et du meilleur, lui dit le bijoutier auquel il s'adressa.

      Rien ne s'opposant plus à la conclusion du marché, notre ami compta six beaux billets de mille francs au fripon en question, qui se retira, aussi satisfait qu'un juif qui vient de tromper un chrétien.

      Quelques jours après, le lingot était devenu la propriété d'un honnête banquier qui l'avait acheté de confiance; mais lorsqu'on voulut en faire usage, on s'aperçut que ce n'était que du cuivre première qualité; de là, procès: avoués et huissiers d'entrer en campagne, de sorte qu'en définitive notre ami fut forcé de restituer au banquier la somme qu'il en avait reçue et qu'il se trouva avoir payé six mille francs un morceau de cuivre pesant quelques livres.

      Le malheureux marchand d'eau chaude ne s'était pas aperçu que le fripon, lorsqu'il s'était baissé, avait adroitement substitué un morceau de l'or le plus pur à celui qui avait été détaché du lingot.

      —Ce limonadier se plaignit sans doute, et le voleur fut puni, dit le jeune poëte incompris.

      Vous êtes dans l'erreur, mon cher monsieur, lui répondit de Préval, il ne se plaignit pas et le voleur ne fut pas puni; des gens qui se respectent ne mettent jamais la justice dans la confidence de leurs affaires. Si chaque fois que l'on a sujet de se plaindre d'un ami, on allait trouver le procureur du roi, nous ne verrions pas aujourd'hui Oreste et Pylade assis à la même table, l'un à côté de l'autre; Préval désignait le comte palatin du saint-empire romain et son inséparable ami.

      —Le passé est un songe, répondit ce dernier.

      —C'est vrai! dit Mina; occupons-nous seulement du présent, et prions cet ex-légitimiste de nous raconter l'histoire de sa conversion.

      —Il est défendu de parler politique dans une réunion de plus de vingt personnes; répondit celui auquel Mina s'était adressée.

      —Dites donc, mon honorable ami, reprit le député patriote, ne serez-vous pas un peu embarrassé, lorsqu'il faudra que vous rendiez vos comptes à vos commettants?

      —Pas plus que vous, mon très-cher; car on dit dans le monde que depuis que l'on ne voit, chez vous, que des boiteux et des louches, tout y va de travers.

      —Vous êtes un paltoquet.

      —Vous en êtes un autre.

      —La! la! messieurs! avez-vous oublié que ce n'est qu'en famille qu'il faut laver son linge sale? dit Roman.

      —Vous nous devez une histoire, ajouta de Préval, en s'adressant à la danseuse; vous exécuterez-vous avec autant de bonne grâce que notre amie Félicité?

      —Certainement,

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