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cristaux, des porcelaines peintes et dorées, de l'argenterie et bien d'autres choses encore. Les tapissiers-décorateurs, aidés par les domestiques du nouveau locataire, eurent bientôt mis tout en place. Cela fait, les étrangers, après avoir donné à tout le coup d'œil du maître et fait rectifier ce qui ne leur parut pas convenable, se retirèrent emportés par le brillant véhicule qui les avait amenés.

      Tant que dura la belle saison, ils reçurent à leur pavillon belle et nombreuse compagnie; mais au commencement de l'automne qui suivit, tous les services furent emballés et remportés à Paris; les étrangers ne firent plus à Choisy-le-Roi que de rares apparitions, et les volets et les portes du pavillon restèrent constamment fermés.

      Cette histoire commence vers la fin d'une sombre journée du mois de février. L'aspect du paysage dont nous avons esquissé les traits principaux est bien changé; le loriot au plumage doré ne siffle plus sous la ramée; les bateaux à vapeur ne glissent plus joyeusement sur les ondes unies de la Seine; le soleil n'éclaire plus les habitations qui couronnent les deux rives du fleuve. Le ciel d'un gris terne ressemble à une immense nappe de plomb; une pluie fine qui tombe depuis le matin avec un bruit monotone a détrempé le sol qui est couvert de larges flaques d'eau; le vent gémit à travers les vieux arbres; les eaux du fleuve, si limpides lorsqu'elles réfléchissaient l'azur d'un beau ciel, sont devenues ternes et limoneuses.

      Deux hommes, misérablement vêtus, rôdaient depuis quelques instants autour du pavillon des gardes. Avec la nuit, le froid était devenu plus vif et avait converti en brillants stalactites chaque goutte de pluie qui s'était arrêtée sur les rameaux dépouillés.

      Il n'apparaissait pas de lumière à l'intérieur. Les deux hommes qui marchaient près l'un de l'autre s'arrêtèrent au même instant, comme s'ils avaient obéi à la même pensée. Tout était calme autour d'eux; seulement à de rares intervalles, on entendait retentir le son aigu du sifflet des conducteurs de wagons, ou les aboiements du chien de garde de quelque ferme isolée.

      —Tu le vois, je ne me suis pas trompé, dit à voix basse à son compagnon l'un de ces deux hommes, la taule[1] n'est pas habitée.

      —C'est bien, il ne s'agit plus que d'enquiller[2]. Tu as les halènes[3]?

      —Comme tu dis, Fifi.

      L'homme releva un vieux bourgeron de toile bleue qui composait, avec un mauvais pantalon de treillis, un costume très-peu capable de le défendre contre les rigueurs de la saison, et fit voir à son camarade que son buste était entouré d'une corde de grosseur moyenne.

      —V'là la tourtousse[4]! dit-il.

      —C'est tout ce qu'il faut. J'ai une vanterne sans loches, des bûches plombantes et des caroubles dans les valades de ma pelure[5].

      —Tu es bien heureux d'avoir une pelure[6], car il fait diablement vert[7].

      En effet, le givre tombait sur les membres presque nus du misérable qui s'était débarrassé de la corde qui ceignait son corps; des petits glaçons pendaient après les poils incultes qui ombrageaient sa lèvre supérieure; ses dents claquaient avec force. Il se tenait courbé et il se battait les flancs sans pouvoir parvenir à se réchauffer.

      —Allons, de l'atou[8], lui dit son compagnon, si le chopin[9] est bon, tu pourras demain au matois[10] abloquir des frusquins à la forêt Noire[11].

      —Oh! qu'oui, qu'j'irai à la forêt Noire, et que je m'collerai[12] une castorine toute batifonne[13] et doublée en lyonnaise[14], dans les bons numéros.

      Tout en parlant, l'homme avait cherché sur le sol et il avait ramassé une pierre d'une certaine grosseur.

      —Voilà je crois ce qu'il nous faut, dit-il.

      L'autre individu, qui avait fait plusieurs nœuds à la corde, attacha la pierre à une de ses extrémités et la lança sur le chaperon du mur. La pierre tomba de l'autre côté. Il tira la corde à lui, il s'y cramponna avec force, et, lorsqu'il se fut assuré qu'elle était bien assujetie:

      —A gaye, dit-il[15].

      Il se suspendit à la corde, et, en un instant, il eut atteint la crête du mur sur lequel il se mit à cheval. Son camarade l'imita.

      Ils n'eurent besoin pour descendre, que de répéter la même manœuvre.

      Après avoir traversé la cour, ils se trouvèrent sous un élégant péristyle devant une porte en chêne qui paraissait solide. De chaque côté de cette porte, il y avait des fenêtres à hauteur d'appui qu'ils examinèrent d'abord. Ces fenêtres étaient fermées de fortes persiennes assujetties par de larges barres de fermeture en fer méplat et à clavettes, et fermées à l'intérieur par des cadenas à secrets.

      —Il y a des crapauds aux vanternes[16] impossible d'enquiller[17] par là, voyons la lourde[18].

      —Tiens, c'est une entrée tourmentée.

      —Forée?

      —Non, bénarde.

      —C'est bon, nous pourrons peut-être bien débrider[19].

      Les deux larrons avaient essayé presque toutes les fausses clés de leur trousseau lorsque la porte roula sur ses gonds. Ils s'arrêtèrent quelques instants.

      —Prêtons loches[20], dit l'un d'eux avant de se déterminer à entrer.

      —Je n'entends que nibergue[21] répondit l'autre, coque la camoufle[22] et au petit bonheur.

      —La piole est rupine[23], il doit y avoir gras[24].

      Ils venaient de fermer la porte du vestibule, et ils se croyaient chez eux, lorsqu'ils entendirent le bruit des pas de deux personnes qui marchaient sur le gravier de la route et qui s'arrêtèrent devant la grille qui défendait l'entrée de la cour; une clé tourna dans la serrure, la grille fut ouverte, et deux hommes enveloppés de larges manteaux, entrèrent dans la cour et se dirigèrent vers la maison, après avoir fermé avec soin.

      Les premiers arrivés avaient vu à travers deux guichets à claire-voie pratiqués dans les panneaux de la porte tout ce qui venait de se passer.

      —Merci, nous sommes marrons[25], dit le plus misérable des deux, planquons-nous[26].

      —Il tremble toujours ce Délicat, n'avons-nous pas des lingres[27] bien affilés.

      —Oui, mais ces deux chênes[28] paraissent de taille à se défendre, le plus sûr est de nous esgarer[29], nous trouverons peut-être notre belle lorsqu'ils seront dans le pieu[30] et s'il faut les refroidir[31], ma foi alors comme alors.

      Après ces quelques paroles échangées rapidement et à voix basse, ils se blottirent derrière la porte d'un petit dégagement, après avoir éteint la bougie de leur lanterne sourde.

      Il était temps; les nouveaux venus entraient dans la pièce qu'ils venaient de quitter et peu d'instants après ils allumaient une lampe.

      Les larrons cachés dans le petit dégagement ne pouvaient rien voir mais ils pouvaient tout entendre.

      —Qui de nous ira à la cave, dit un des nouveaux venus?

      —Ce sera vous, monsieur le marquis.

      —Soit, pendant ce temps, monsieur mon intendant vous ferez du feu, j'ai besoin de me réchauffer un peu.

      Le marquis prit une clé accrochée au mur près de la porte du dégagement et sortit de la salle.

      —As-tu entendu, dit Délicat à son camarade, il paraît

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