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qu'elle l'avait fait lorsque Préval lui avait adressé la même question, elle avait devant les yeux, au moment où nous sommes arrivés, un but qu'elle voulait atteindre.

      —Si je ne vous aimais pas, seriez-vous ici, lorsque j'ai fait défendre ma porte à tout le monde.

      —Mais si vous m'aimez, Silvia, pourquoi ne me confiez-vous pas toutes vos pensées.

      —Mais je n'ai vraiment rien à vous confier, dit Silvia, en adressant à Servigny un de ses plus gracieux sourires.

      —Vous me trompez, Silvia, depuis quelques jours vous êtes triste, préoccupée; je vous en prie, ne me laissez pas ignorer plus longtemps le sujet de vos peines.

      —Puisque vous l'exigez, je vais vous satisfaire; mais, songez-y bien, je vous défends de vous moquer de moi.

      —Je vous écoute avec la plus sérieuse attention.

      Silvia était aussi bonne comédienne dans son boudoir que sur les planches de son théâtre; elle baissa modestement ses beaux yeux.

      —C'est une bien heureuse vie, n'est-ce pas, que celle d'une comédienne à laquelle le public veut bien accorder un peu de talent, dit-elle après quelques instants d'hésitation. Une actrice fait tout ce qu'elle veut, elle peut écouter tous les compliments qu'on lui adresse; les hommes les plus distingués s'empressent autour d'elle, c'est fort agréable sans doute: c'est le beau côté de la médaille dont voici le revers: Si prenant le temps comme il vient, nous cherchons dans une affection réelle une distraction aux ennuis incessants de notre profession, on nous méprise; si nous restons sages, on nous calomnie; nous sommes forcées, surtout en province, d'obéir à mille petites influences; il faut que nous recevions une foule de gens qui nous déplaisent, parce qu'ils iraient nous siffler au théâtre si nous ne les recevions pas dans notre salon; mais trouverons-nous parmi nos camarades ce que nous ne pouvons pas rencontrer dans le monde?... Ah! n'allez pas le croire; ceux de nos camarades qui ont moins de talent que nous, nous jalousent; ceux qui en on plus, nous méprisent; et tous cherchent à nous nuire: les hommes en faisant manquer nos entrées et les effets sur lesquels nous comptions, les femmes soit en ameutant contre nous ceux qui sont leur amants et ceux qui cherchent à le devenir, soit en cherchant à nous écraser par un luxe auquel nous ne pouvons atteindre.

      Silvia pleura en achevant ce petit discours dont Servigny ne devinait pas la conclusion; ses larmes qui paraissaient sincères, touchèrent le pauvre jeune homme.

      Silvia appréciant l'effet qu'elle avait produit, vit qu'elle pouvait continuer, ce qu'elle fit en ses termes:

      —J'ai une parure d'opales et d'émeraudes assez belle, je tiens à cette parure, non pas à cause de sa valeur qui n'est pas considérable, mais parce qu'elle a appartenu à ma pauvre mère (ici une pause, puis quelques nouvelles larmes), cependant, lors de mes débuts, n'ayant pas assez d'argent pour acheter les costumes qui m'étaient indispensables, je la confiai à un juif qui me prêta la somme dont j'avais besoin, il fut stipulé que si je ne lui rendais pas cette somme à une époque indiquée, la parure deviendrait sa propriété. J'espérais être en mesure à l'époque convenue, je ne savais pas alors qu'au commencement de notre carrière nous devons être exploitée par nos directeurs. Ce matin, le juif est venu chez moi, il ne veut plus attendre, et ce soir, si aujourd'hui je ne lui paye pas une assez forte somme, ma parure sera vendue.

      —Calmez-vous, ma chère Silvia; calmez-vous. Je vais aller voir ce juif, et il faudra bien qu'il attende quelques jours encore.

      —Il ne voudra rien entendre. Je sais que le marquis de Roselli, que je n'ai pas voulu recevoir, parce que je vous aime, Servigny, veut acheter cette parure pour la donner à la seconde chanteuse.

      Si Servigny avait eu à sa disposition la petite fortune qu'il possédait, il eut séché de suite les larmes qui coulaient le long des joues de la femme qu'il aimait; mais ne voulant pas lui laisser concevoir une espérance que, peut être, il ne pourrait pas réaliser, il sortit se bornant à l'engager à souffrir avec résignation ce qu'elle ne pouvait empêcher. Silvia qui avait remarqué la préoccupation à laquelle il paraissait en proie, et qui devinait que c'était d'elle qu'il allait s'occuper, se mit à rire aussitôt qu'il fut sorti.

      —C'est bien! se dit-elle, c'est bien! Je crois que je puis sans me compromettre prier Dieu qu'il te fasse réussir dans tout ce que tu vas entreprendre.

      Le juif qui servait de compère à Silvia, car la parure d'opales et d'émeraudes n'avait été engagée que pour la mise en scène de la comédie qu'elle voulait jouer, possédait tous les défauts qui constituent les qualités des enfants d'Israël. Il était laid, sale, rusé et fripon; et toutes les fois qu'il rencontrait l'occasion de jouer, tout en gagnant quelques écus, un bon tour à un goï[197], il la saisissait avec le plus vif empressement.

      Ce moderne Schilock, qui était cependant la providence de toute la fashion marseillaise, habitait la plus vieille masure de la plus sale rue du triste quartier Saint-Jean. Il reçut Servigny avec un empressement qui parut de bon augure à celui-ci.

      —Vous voulez dégager la parure de mademoiselle Silvia, dit-il, lorsque le jeune homme lui eût fait connaître l'objet de sa visite; vous avez bien raison, mon jeune monsieur; c'est une bien jolie femme que mademoiselle Silvia, et qui vous aime bien, à ce que l'on dit.

      —Ah! on dit cela, répondit Servigny, intérieurement flatté, de ce qu'on savait qu'il était aimé d'une aussi jolie femme que Silvia.

      —Voici la parure, ajouta le juif posant sur une petite table, devant laquelle il était assis, une petite boîte de maroquin qu'il avait prise dans un tiroir; voilà une parure, dit-il, qui ne serait pas restée longtemps entre mes mains, si mademoiselle Silvia l'avait voulu. Monsieur le marquis de Roselli, une jeune seigneur italien, était disposé à faire pour elle tous les sacrifices possibles.

      Il ouvrit la petite boîte, Servigny se dit que Silvia devait être bien belle lorsqu'elle était parée de ces pierres qui reflétaient toutes les brillantes couleurs de l'iris, il fit un pas, et son corps obéissant machinalement à sa pensée, il tendit la main pour les recevoir, le juif couvrit la petite boîte de ces deux mains longues et osseuses.

      —Il faut me compter cinq mille francs, dit-il.

      —Je n'ai pas d'argent, dit Servigny, mais...

      Le juif ne lui laissa pas le temps d'en dire davantage, il remit la petite boîte dans le tiroir qu'il ferma et dont il mit la clé dans sa poche.

      —Il faut me compter cinq mille francs dit-il encore.

      —Voulez-vous prendre la peine de m'écouter, monsieur, lui dit Servigny. Les manières, la voix, le regard du juif, étaient changés depuis que Servigny avait laissé s'échapper de ses lèvres ces fatales paroles: «Je n'ai pas d'argent!» D'obséquieux, ils étaient devenus à peu près insolents, il fit cependant signe qu'il était disposé à l'écouter.

      —Servigny lui fit alors comprendre que s'il n'avait pas à sa disposition immédiate la somme nécessaire pour le satisfaire, il n'était cependant pas dépourvu de ressources; il lui apprit qu'il possédait une somme considérable déposée chez un notaire de Paris, et qu'il pouvait disposer de cette somme.

      —Je comprends bien, répondit le juif, je comprends bien; mais puisque je puis aujourd'hui même recevoir mon argent en vendant, au marquis de Roselli cette parure, qui m'appartiendra ce soir, pourquoi attendrais-je encore huit jours au moins? Si cependant vous m'offriez des sûretés et un intérêt raisonnable, nous pourrions peut-être nous entendre. Le juif avait examiné avec la plus sérieuse attention les pièces qui attestaient la vérité de ce qu'avançait Servigny.

      —Qu'à cela ne tienne! si vous voulez vous contenter d'une lettre de change à quinze jours de date de 5,500 fr...

      —Vous n'y pensez pas, je puis recevoir mon argent ce soir et gagner plus que vous ne m'offrez en vendant cette parure au marquis de Roselli.

      —Alors dites-moi ce que vous exigez.

      —Voilà: les pièces que

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