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Tu l’as dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de ses amis les plus habiles de s’installer à Caudebec, d’entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu’il est un tel, le policier célèbre, qu’adviendra-t-il ?

      – Que le rédacteur annoncera dans Le Réveil la présence à Caudebec dudit policier.

      – Parfait, et de deux choses l’une : ou bien le poisson – je veux dire Cahorn – ne mord pas à l’hameçon, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, tout frétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l’assistance de l’un de mes amis.

      – De plus en plus original.

      – Bien entendu, le pseudo-policier refuse d’abord son concours. Là-dessus, dépêche d’Arsène Lupin. Épouvante du baron qui supplie de nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut. Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, la nuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur, déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et les laissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe affrétée ad hoc. C’est simple comme Lupin.

      – Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point.

      Il y en a un, et il n’y en a qu’un.

      Lequel ?

      Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin, bref, de l’inspecteur Ganimard.

      – Moi !

      – Toi-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux : si tu vas là-bas et que le baron se décide à causer, tu finiras par découvrir que ton devoir est de t’arrêter toi-même, comme tu m’as arrêté en Amérique. Hein ! La revanche est comique : je fais arrêter Ganimard par Ganimard !

      Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter de tels accès de joie.

      L’arrivée d’un gardien lui donna le loisir de se remettre. L’homme apportait le repas qu’Arsène Lupin, par faveur spéciale, faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur la table, il se retira. Arsène s’installa, rompit son pain, en mangea deux ou trois bouchées et reprit :

      – Mais sois tranquille, mon cher Ganimard, tu n’iras pas là-bas. Je vais te révéler une chose qui te stupéfiera : l’affaire Cahorn est sur le point d’être classée.

      – Hein ?

      – Sur le point d’être classée, te dis-je.

      – Allons donc, je quitte à l’instant le chef de la Sûreté.

      – Et après ? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi sur ce qui me concerne ? Tu apprendras que Ganimard – excuse-moi – que le pseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron. Celui-ci, et c’est la raison principale pour laquelle il n’a rien avoué, l’a chargé de la très délicate mission de négocier avec moi une transaction, et à l’heure présente, moyennant une certaine somme, il est probable que le baron est rentré en possession de ses chers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc, plus de vol. Donc, il faudra bien que le parquet abandonne…

      Ganimard considéra le détenu d’un air stupéfait.

      – Et comment sais-tu tout cela ?

      – Je viens de recevoir la dépêche que j’attendais.

      – Tu viens de recevoir une dépêche ?

      – À l’instant, cher ami. Par politesse, je n’ai pas voulu la lire en ta présence. Mais si tu m’y autorises…

      – Tu te moques de moi, Lupin.

      – Veuille, mon cher ami, décapiter doucement cet œuf à la coque. Tu constateras par toi-même que je ne me moque pas de toi.

      Machinalement, Ganimard obéit, et cassa l’œuf avec la lame d’un couteau. Un cri de surprise lui échappa. La coque vide contenait une feuille de papier bleu. Sur la prière d’Arsène, il la déplia. C’était un télégramme, ou plutôt une partie de télégramme auquel on avait arraché les indications de la poste. Il lut :

      « Accord conclu. Cent mille balles livrées. Tout va bien. »

      – Cent mille balles ? fit-il.

      – Oui, cent mille francs ! C’est peu, mais enfin les temps sont durs… Et j’ai des frais généraux si lourds ! Si tu connaissais mon budget… un budget de grande ville !

      Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s’était dissipée. Il réfléchit quelques secondes, embrassa d’un coup d’œil toute l’affaire, pour tâcher d’en découvrir le point faible. Puis il prononça d’un ton où il laissait franchement percer son admiration de connaisseur :

      – Par bonheur, il n’en existe pas des douzaines comme toi, sans quoi il n’y aurait plus qu’à fermer boutique.

      Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit :

      – Bah ! Il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs… d’autant que le coup ne pouvait réussir que si j’étais en prison.

      – Comment ! s’exclama Ganimard, ton procès, ta défense, l’instruction, tout cela ne te suffit donc pas pour te distraire ?

      – Non, car j’ai résolu de ne pas assister à mon procès.

      – Oh ! Oh !

      Arsène Lupin répéta posément :

      – Je n’assisterai pas à mon procès.

      – En vérité !

      – Ah ça, mon cher, t’imagines-tu que je vais pourrir sur la paille humide ? Tu m’outrages. Arsène Lupin ne reste en prison que le temps qu’il lui plaît, et pas une minute de plus.

      – Il eût peut-être été plus prudent de commencer par ne pas y entrer, objecta l’inspecteur d’un ton ironique.

      – Ah ! Monsieur raille ? Monsieur se souvient qu’il a eu l’honneur de procéder à mon arrestation ? Sache, mon respectable ami, que personne, pas plus toi qu’un autre, n’eût pu mettre la main sur moi, si un intérêt beaucoup plus considérable ne m’avait sollicité à ce moment critique.

      – Tu m’étonnes.

      – Une femme me regardait, Ganimard, et je l’aimais. Comprends-tu tout ce qu’il y a dans ce fait d’être regardé par une femme que l’on aime ? Le reste m’importait peu, je te jure. Et c’est pourquoi je suis ici.

      – Depuis bien longtemps, permets-moi de le remarquer.

      – Je voulais oublier d’abord. Ne ris pas : l’aventure avait été charmante, et j’en ai gardé encore le souvenir attendri… Et puis, je suis quelque peu neurasthénique ! La vie est si fiévreuse, de nos jours ! Il faut savoir, à certains moments, faire ce que l’on appelle une cure d’isolement. Cet endroit est souverain pour les régimes de ce genre. On y pratique la cure de la Santé dans toute sa rigueur.

      – Arsène Lupin, observa Ganimard, tu te paies ma tête.

      – Ganimard, affirma Lupin, nous sommes aujourd’hui vendredi. Mercredi prochain, j’irai fumer mon cigare chez toi, rue Pergolèse, à quatre heures de l’après-midi.

      – Arsène Lupin, je t’attends.

      Ils se serrèrent la main comme deux bons amis qui s’estiment à leur juste valeur, et le vieux policier se dirigea

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