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      —Voyons, voyons, reprit la petite voix.

      Et aussitôt je vis sur le seuil de la porte un beau petit garçon de six à sept ans. Il était pauvrement mais proprement vêtu. Il me regarda d'un oeil curieux et un peu craintif.

      —Puis-je le caresser, grand'mère? dit-il.

      —Certainement, mon Georget; mais prends garde qu'il ne te morde.

      Le petit garçon allongea son bras, et, ne pouvant m'atteindre, il avança un pied, puis l'autre, et put me caresser le dos.

      Je ne bougeai pas, de peur de l'effrayer; seulement je tournai ma tête vers lui, et je passai ma langue sur sa main.

      Georget:—Grand'mère, grand'mère, comme il a l'air bon, ce pauvre âne, il m'a léché la main!

      La grand' mère:—C'est singulier qu'il soit tout seul. Où est son maître? Va donc, Georget, par le village et à l'auberge où s'arrêtent les voyageurs: tu demanderas à qui appartient ce bourri. Son maître est peut-être en peine de lui.

      Georget:—Vais-je emmener le bourri, grand'mère?

      La grand'mère:—Il ne te suivrait pas; laisse-le aller où il voudra.

      Georget partit en courant; je trottai après lui. Quand il vit que je le suivais, il vint à moi, et, me caressant, il me dit: «Dis donc, mon petit bourri, puisque tu me suis tu me laisseras bien monter sur ton dos». Et, sautant sur mon dos, il me fit: Hu! hu!

      Je partis au petit galop, ce qui enchanta Georget. Ho! ho! fit-il en passant devant l'auberge. Je m'arrêtai tout de suite. Georget sauta à terre; je restai devant la porte, ne bougeant pas plus que si j'avais été attaché.

      —Ou'est-ce que tu veux, mon garçon! dit le maître de l'auberge.

      —Je viens savoir, monsieur Duval, si ce bourri, qui est ici à la porte, ne serait pas à vous ou à une de vos pratiques.

      M. Duval s'avança vers la porte, me regarda attentivement. «Non ce n'est pas à moi, ni à personne que je connaisse, mon garçon. Va chercher plus loin.»

      Georget remonta sur mon dos; je repartis au galop, et nous marchâmes, demandant de porte en porte à qui j'appartenais. Personne ne me reconnaissait, et nous revînmes chez la bonne grand'mère, qui filait toujours assise devant sa maison.

      Georget:—Grand'mère, le bourri n'appartient à personne du pays. Qu'allons-nous en faire? Il ne veut pas me quitter, et il se sauve quand quelqu'un veut le toucher.

      La grand'mère:—En ce cas, mon Georget, il ne faut pas le laisser passer la nuit dehors; il pourrait lui arriver malheur. Va le mener à l'écurie de notre pauvre Grison, et donne-lui une botte de foin et un seau d'eau. Nous verrons demain à le mener au marché; peut-être retrouverons-nous son maître.

      Georget:—Et si nous ne le retrouvons pas, grand'mère?

      La grand'mère:—Nous le garderons jusqu'à ce qu'on le réclame. Nous ne pouvons pas laisser cette pauvre bête périr de froid pendant l'hiver, ou bien tomber aux mains de méchants garnements qui la battraient et la feraient mourir de fatigue et de misère.

      Georget me donna à boire et à manger, me caressa et sortit. Je lui entendis dire en fermant la porte:

      «Ah! que je voudrais qu'il n'eût pas de maître et qu'il restât chez nous!»

      Le lendemain Georget me mit un licou après m'avoir fait déjeuner. Il m'amena devant la porte, la grand'mère me mit sur le dos un bât très léger, et s'assit dessus. Georget lui apporta un petit panier de légumes, qu'elle mit sur ses genoux, et nous partîmes pour le marché de Mamers. La bonne femme vendit bien ses légumes, personne ne me reconnut et je revins avec mes nouveaux maîtres.

      Je vécus chez eux pendant quatre ans; j'étais heureux; je ne faisais de mal à personne; je faisais bien mon service; j'aimais mon petit maître, qui ne me battait jamais; on ne me fatiguait pas trop; on me nourrissait assez bien. D'ailleurs, je ne suis pas gourmand. L'été, des épluchures de légumes, des herbes dont ne veulent pas les chevaux ni les vaches; l'hiver, du foin et des pelures de pommes de terre, de carottes, de navets: voilà ce qui nous suffit à nous autres ânes.

      Il y avait pourtant des journées que je n'aimais pas; c'étaient celles où ma maîtresse me louait à des enfants du voisinage. Elle n'était pas riche, et, les jours où je n'avais pas à travailler, elle était bien aise de gagner quelque chose en me louant aux enfants du château voisin. Ils n'étaient pas toujours bons.

      Voici ce qui m'arriva un jour dans une de ces promenades.

       Table des matières

       Table des matières

      Il y avait six ânes rangés dans la cour; j'étais un des plus beaux et des plus forts. Trois petites filles nous apportèrent de l'avoine dans une auge. Tout en mangeant, j'écoutais causer les enfants.

      Charles:—Voyons, mes amis, choisissons nos ânes. Moi, d'abord, je prends celui-ci (en me montrant du doigt).

      —Toi, tu prends toujours ce que tu crois le meilleur, dirent à la fois les cinq enfants. Il faut tirer au sort.

      Charles:—Comment veux-tu que nous tirions au sort, Caroline? Est-ce qu'on peut mettre les ânes dans un sac et les en tirer comme des billes?

      Antoine:—Ah! ah! ah! Est-il bête avec ses ânes dans un sac! Comme si on ne pouvait pas les numéroter, 1, 2, 3, 4, 5, 6, mettre les numéros dans un sac, et tirer au hasard chacun le sien.

      —C'est vrai, c'est vrai, s'écrièrent les cinq autres. Ernest, fais les numéros pendant que nous allons les écrire sur le dos des ânes.

      Ces enfants sont bêtes, me disais-je. S'ils avaient l'esprit d'un âne, au lieu de se donner l'ennui d'écrire les numéros sur notre dos, ils nous rangeraient tout simplement le long du mur: le premier serait l, le second 2, et ainsi de suite.

      Pendant ce temps, Antoine avait apporté un gros morceau de charbon. J'étais le premier, il m'écrivit un énorme 1 sur la croupe; pendant qu'il écrivait 2 sur la croupe de mon camarade, je me secoue fortement pour lui faire voir que son invention n'était pas fameuse. Voilà le charbon parti et le 1 disparu.

      —Imbécile! s'écria-t-il; il faut que je recommence.

      Pendant qu'il refait son n° l, mon camarade, qui m'avait vu faire, et qui était malin, se secoue à son tour. Voilà le 2 parti. Antoine commence à se fâcher; les autres rient et se moquent de lui. Je fais signe aux camarades, nous le laissons faire; aucun ne bouge. Ernest revient avec les numéros dans son mouchoir: chacun tire. Pendant qu'ils regardent leurs numéros, je fais encore un signe aux camarades, et voilà que tous nous nous secouons tant et plus. Plus de charbon, plus de numéros; il faut tout recommencer: les enfants sont en colère. Charles triomphe et ricane; Ernest, Albert, Caroline, Cécile et Louise crient contre Antoine, qui tape du pied; ils se disent des injures; mes camarades et moi, nous nous mettons à braire. Le tapage attire les papas et les mamans. On leur explique la chose. Un des papas imagine enfin de nous ranger le long du mur. Il fait tirer les numéros aux enfants.

      —Un! s'écrie Ernest. C'était moi.

      —Deux! dit Cécile. C'était un de mes amis.

      —Trois! dit Antoine. Et ainsi de suite jusqu'au dernier.

      —A présent, partons, dit Charles. Moi, d'abord, je pars le premier.

      —Oh! je saurai bien te rattraper,

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