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ces cris. J'écoutai de toutes mes oreilles, et j'entendis Jules dire à son père:

      —Mon père, je vais prendre le grand fouet du charretier, j'attacherai l'âne un arbre, et je le battrai jusqu'à ce qu'il tombe par terre.

      —Va, mon garçon, va, mais ne le tue pas; nous perdrions l'argent qu'il nous a coûté. Je le vendrai à la prochaine foire.

      Je restai tremblant de frayeur en les entendant et en voyant Jules courir à l'écurie pour chercher le fouet. Il n'y avait pas à hésiter, et, sans me faire scrupule cette fois de faire perdre à mes maîtres le prix qu'ils m'avaient payé, je courus vers la haie qui me séparait des champs: je m'élançai dessus avec une telle force que je brisai les branches et que je pus passer au travers. Je courus dans le champ, et je continuai à courir longtemps, bien longtemps, croyant toujours être poursuivi. Enfin, n'en pouvant plus, je m'arrêtai, j'écoutai ... je n'entendis rien. Je montai sur une butte, je ne vis personne. Alors, je commençai à respirer et à me réjouir de m'être délivré de ces méchants fermiers. Mais je me demandais ce que j'allais devenir. Si je restais dans le pays, on me reconnaîtrait, on me rattraperait, et l'on me ramènerait à mes maîtres. Que faire? Où aller?

      Je regardai autour de moi; je me trouvai isolé et malheureux, et j'allai verser des larmes sur ma triste position, lorsque je m'aperçus que j'étais au bord d'un bois magnifique: c'était la forêt de Saint-Evroult. «Quel bonheur! m'écriai-je. Je trouverai dans cette forêt de l'herbe tendre, de l'eau, de la mousse fraîche: j'y demeurerai pendant quelques jours, puis j'irai dans une autre forêt, plus loin, bien plus loin de la ferme de mes maîtres.»

      J'entrai dans le bois; je mangeai avec bonheur de l'herbe tendre, et je bus l'eau d'une belle fontaine. Comme il commençait à faire nuit, je me couchai sur la mousse au pied d'un vieux sapin, et je m'endormis paisiblement jusqu'au lendemain.

       Table des matières

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      Le lendemain, après avoir mangé et bu, je songeai à mon bonheur.

      «Me voici sauvé, pensais-je; jamais on ne me retrouvera, et dans deux jours, quand je serai bien reposé, j'irai plus loin encore.»

      A peine avais-je fini cette réflexion, que j'entendis l'aboiement lointain d'un chien, puis d'un second; quelques instants après, je distinguai les hurlements de toute une meute.

      Inquiet, un peu effrayé même, je me levai et je me dirigeai vers un petit ruisseau que j'avais remarqué le matin. A peine y étais-je entré, que j'entendis la voix de Jules parlant aux chiens.

      «Allons, allons, mes chiens, cherchez bien, trouvez-moi ce misérable âne, mordez-le, déchirez-lui les jambes, et ramenez-le moi, que j'essaye mon fouet sur son dos.»

      La frayeur manqua me faire tomber; mais je réfléchis aussitôt qu'en marchant dans l'eau les chiens ne pourraient plus sentir la trace de mes pas; je me mis donc à courir dans le ruisseau, qui était heureusement bordé des deux côtés de buissons très épais. Je marchai sans m'arrêter pendant fort longtemps; les aboiements des chiens s'éloignaient ainsi que la voix du méchant Jules: je finis par ne plus rien entendre.

      Haletant, épuisé, je m'arrêtai un instant pour boire; je mangeai quelques feuilles de buissons; mes jambes étaient raides de froid, mais je n'osais par sortir de l'eau, j'avais peur que les chiens ne vinssent jusque-là et ne sentissent l'odeur de mes pas. Quand je fus un peu reposé, je recommençai à courir, suivant toujours le ruisseau, jusqu'à ce que je fusse sorti de la forêt. Je me trouvai alors dans une grande prairie où paissaient plus de cinquante boeufs. Je me couchai au soleil dans un coin de l'herbage; les boeufs ne faisaient aucune attention à moi, de sorte que je pus manger et me reposer à mon aise.

      Vers le soir, deux hommes entrèrent dans la prairie.

      —Frère, dit le plus grand des deux, si nous rentrions les boeufs cette nuit? On dit qu'il y a des loups dans le bois.

      —Des loups? Qui est-ce qui t'a dit cette bêtise?

      —Des gens de Laigle. On raconte que l'âne de la ferme des Haies a été emporté et dévoré dans la forêt.

      —Bah! laisse donc. Ils sont si méchants, les gens de cette ferme, qu'ils auront fait mourir leur âne à force de coups.

      —Et pourquoi donc qu'ils diraient que le loup l'a mangé?

      —Pour qu'on ne sache pas qu'ils l'ont tué.

      —Tout de même il vaudrait mieux rentrer nos boeufs.

      —Fais comme tu voudras, frère; je ne tiens ni à oui ni à non.

      Je ne bougeais pas dans mon coin, tant j'avais peur qu'on ne me vît. L'herbe était haute et me cachait, fort heureusement; les boeufs ne se trouvaient pas du côté où j'étais étendu; on les fit marcher vers la barrière, et puis à la ferme où demeuraient leurs maîtres.

      Je n'avais pas peur des loups, parce que l'âne dont on parlait c'était moi-même, et que je n'avais pas vu la queue d'un loup dans la forêt où j'avais passé la nuit. Je dormis donc à merveille, et je finissais mon déjeuner quand les boeufs rentrèrent dans la prairie: deux gros chiens les menaient. Je les regardais tranquillement, lorsqu'un des chiens m'aperçut, aboya d'un air menaçant, et courut vers moi; son compagnon le suivit. Que devenir? Comment leur échapper? Je m'élançai sur les palissades qui entouraient la prairie; le ruisseau que j'avais suivi la traversait; je fus assez heureux pour sauter par-dessus, et j'entendis la voix d'un des hommes de la veille qui rappelait ses chiens. Je continuai mon chemin tout doucement, et je marchai jusqu'à une autre forêt, dont j'ignore le nom. Je devais être à plus de dix lieues de la ferme des Haies: j'étais donc sauvé; personne ne me connaissait, et je pouvais me montrer sans craindre d'être ramené chez mes anciens maîtres.

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      Je vécus tranquillement un mois dans cette forêt. Je m'ennuyais bien un peu quelquefois, mais je préférais encore vivre seul que vivre malheureux. J'étais donc à moitié heureux lorsque je m'aperçus que l'herbe diminuait et devenait dure; les feuilles tombaient, l'eau était glacée, la terre était humide.

      «Hélas! hélas! pensai-je; que devenir? Si je reste ici, je périrai de froid, de faim, de soif. Mais où aller? Qui est-ce qui voudra de moi?»

      A force de réfléchir, j'imaginai un moyen de trouver un abri. Je sortis de la forêt, et j'allai dans un petit village tout près de là. Je vis une petite maison isolée et bien propre; une bonne femme était assise à la porte, elle filait. Je fus touché de son air de bonté et de tristesse; je m'approchai d'elle, et je mis ma tête sur son épaule. La bonne femme poussa un cri, se leva précipitamment de dessus sa chaise, et parut effrayée. Je ne bougeai pas; je la regardai d'un air doux et suppliant.

      —Pauvre bête! dit-elle enfin, tu n'as pas l'air méchant. Si tu n'appartiens à personne, je serais bien contente de t'avoir pour remplacer mon pauvre vieux Grison, mort de vieillesse. Je pourrai continuer à gagner ma vie en vendant mes légumes au marché. Mais ... tu as sans doute un maître, ajouta-t-elle en soupirant.

      —A qui parlez-vous, grand'mère? dit une voix douce qui venait de l'intérieur

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