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à parler de lui. Ce ne fut cependant pas, sans efforts, quoiqu’elle fît tout ce qui dépendait d’elle pour se surmonter ; mais sa rougeur, sa voix tremblante le disaient assez. Elle surprit, même un regard inquiet de sa mère sur Elinor. Non, non, maman, lui dit elle ; soyez tranquille ; je vous assure à toutes les deux, que je vois les choses comme vous pouvez le désirer. Mme Dashwood voulait l’interrompre par quelques mots de tendresse ; mais Elinor qui désirait connaître à fond l’opinion de sa sœur, engagea par un léger signe sa mère au silence. Maria continua : Ce qu’Elinor m’a dit ce matin a été pour moi une grande consolation ; j’ai entendu exactement ce que je désirais d’entendre…… Pour quelques instans sa voix s’éteignit ; mais se remettant, elle ajouta avec plus de calme : Je suis actuellement parfaitement satisfaite, et je ne voudrais rien changer. Je n’aurais jamais été heureuse avec lui ; quand tôt ou tard j’aurais su ce que je sais à présent, je n’aurais plus eu pour lui ni estime ni confiance ; il n’y aurait plus eu de sympathie avec mes sentimens.

      — Je le sais ; j’en suis sûre, s’écria sa mère. Heureuse avec un homme sans principes, avec un libertin, un séducteur, avec celui qui a si fort injurié notre plus cher ami, le meilleur des humains ! Non, non, ma chère Maria n’a pas le cœur fait pour être heureuse avec un tel homme ! Sa conscience si pure, si délicate, aurait senti tout ce que celle endurcie de son mari ne sentait plus.

      Elle allait trop loin. Elinor vit le moment où Maria prendrait vivement le parti de Willoughby. Mais celle-ci soupira seulement profondément et répéta : Je ne voudrais rien changer que… Je ne voudrais pas qu’il fût trop malheureux. Pauvre Willoughby ! privé à jamais de tout bonheur domestique ! Des larmes remplirent ses yeux.

      — Je crains, je crains fort, dit Elinor, qu’il n’en eût été privé quelque femme qu’il eût épousée, et même avec vous, Maria ; ou du moins bien sûrement vous n’auriez joui vous-même d’aucun bonheur. Votre mariage avec un jeune homme d’un tel caractère, vous aurait enveloppée dans un genre de troubles et de chagrins dont vous ne pouvez vous faire aucune idée, et qu’une affection aussi incertaine que la sienne, vous aurait faiblement aidée à supporter : c’est le tourment de la pauvreté. Il convient lui-même d’avoir toujours été un dissipateur ; et toute sa conduite prouve que le mot de privation est à peine entendu de lui. Son goût pour la dépense joint à votre inexpérience et à une générosité qui vous est naturelle, aurait consumé vos très-minces revenus, et vous aurait jetés dans des inquiétudes et des angoisses d’un autre genre, mais non moins cruelles que celles que vous avez éprouvées. Votre bon sens, votre honneur, votre probité vous auraient engagée, je le sais bien, dès que votre situation vous aurait été connue, à toute l’économie qui peut dépendre d’une femme, et peut-être auriez-vous même joui des privations et de la frugalité que vous vous seriez imposées à vous-même dans ce but ; mais auriez-vous pu les faire partager à un mari qui n’en avait pas l’habitude, et qui se serait éloigné, par cela même, de vous et de votre maison ? Auriez-vous pu, seule, empêcher une ruine commencée avant votre mariage ? La pauvreté, chère Maria, supportée avec quelqu’un qu’on aime, peut avoir ses douceurs, mais plus dans les romans que dans la réalité. Il est trop vrai qu’elle empoisonne tout, qu’elle flétrit tout, même le sentiment. Elle aigrit l’humeur ; elle détruit la gaieté et les agrémens de l’esprit. Êtes-vous sûre que l’amour de Willoughby, que le vôtre même auraient résisté à sa funeste influence, et que vous n’auriez pas fini par déplorer tous les deux une union si fatale, ou, sinon tous les deux, du moins lui seul qui est plus égoïste que sensible, et attache un grand prix aux jouissances de la vie ? Elinor s’arrêta. La vérité du tableau, qu’elle traçait l’avait entraînée. Elle avait voulu détourner l’attendrissement de sa sœur sur le sort de Willoughby, parce qu’il l’aurait conduite à regretter encore de n’avoir pas été chargée de son bonheur ; elle désirait lui démontrer que ce bonheur était impossible.

      Maria l’avait écoutée attentivement. Ses lèvres tremblaient ; son regard exprimait l’étonnement le plus profond ; jamais encore elle n’avait envisagé Willoughby sous ce point de vue. Sa conduite avec la fille adoptive du colonel lui prouvait son libertinage, son mariage, qu’il était inconstant ; mais l’entendre accuser d’égoïsme, ce Willoughby dont elle avait si souvent admiré la générosité, la grandeur d’ame, tout ce qui était en sympathie avec elle… Égoïste ! répéta-t-elle, lui égoïste ! Est-ce que vous le pensez réellement ?

      — Toute sa conduite, reprit Elinor, du commencement à la fin, a été basée sur le plus parfait égoïsme. C’est l’égoïsme qui lui fit différer l’aveu de son attachement pour vous, lorsque son cœur l’éprouva, non pas avec cet abandon, cette confiance qui caractérise le véritable amour, mais balancé par son propre intérêt. Ses propres jouissances, son bien-être personnel me paraissent toujours avoir été sa règle et son principe.

      — Oui, dit Maria, rien n’est plus vrai ; mon bonheur ne fut jamais son motif ; mais cependant vous me disiez…

      — À présent, continua Elinor, il regrette de ne s’être pas conduit autrement ; mais pourquoi le regrette-t-il ? parce qu’il trouve qu’il a manqué son but et qu’il n’a pas rendu sa vie heureuse comme il l’espérait. Sa situation, quant à la fortune, est meilleure. De ce côté il n’est point en souffrance ; il s’afflige seulement de ce que sa femme n’a pas un caractère aussi aimable que le vôtre. Mais suit-il de là que s’il vous avait épousée il aurait été plus heureux ? Il se serait plaint alors de n’être pas plus riche, et sans doute il aurait trouvé qu’un bon revenu, une bonne maison, de beaux chevaux, etc. etc., sont aussi nécessaires au bonheur domestique qu’une femme aimable.

      — Je n’en ai aucun doute, dit Marra, et je n’ai rien à regretter que ma propre folie.

      — Dites plutôt l’imprudence de votre mère, ma chère enfant, dit madame Dashwood ; c’était à moi de vous guider, et j’étais sous le charme au moins autant que vous-même.

      Maria voulait répondre ; mais Elinor, contente de ce que chacune sentait ses erreurs, voulut éviter des souvenirs du passé, qui pouvaient affaiblir les résolutions de sa sœur. Elle aima mieux continuer à parler des torts de Willoughby, que de son charme séduisant. Une observation, dit-elle, qu’on peut tirer de toute cette histoire, c’est que bien-rarement le crime, ou, si ce mot est trop dur, une faute grave contre la vertu reste impunie. Tout le malheur de Willoughby vient de son indigne conduite avec Caroline Williams ; c’est ce qui lui a fait perdre l’estime, l’amitié et la fortune de madame Smith. Sans cela il aurait pu vous épouser et être riche. Maria en convint ; et madame Dashwood leur raconta à cette occasion, que non seulement cette dame persistait dans son indignation contre Willoughby, mais que son mariage, tout brillant qu’il était, l’avait beaucoup augmentée, et qu’elle n’y voyait que de l’obstination dans le crime, un moyen de se soustraire entièrement à la réparation qu’elle en exigeait, et une profanation positive du saint sacrement du mariage en épousant, par un sordide intérêt, une femme mondaine et qu’il n’aimait pas. Madame Smith était d’une famille de méthodistes ou puritains ; elle avait été élevée dans l’idée que la séduction de l’innocence, et le mariage avec une autre que celle qu’on a séduite, étaient les plus grands de tous les péchés. Résolue donc à punir le coupable déjà dans ce monde, sans pardon et sans rémission ; elle avait fait venir chez elle une parente éloignée, nommée madame Summers, et son fils, et les avait déclarés ses héritiers. Son testament était déjà fait et déposé chez un homme de loi. Madame Dashwood savait ces détails du vicaire de la paroisse, digne et vieux ecclésiastique qui, à ce titre, était seul reçu à Altenham. Il avait ajouté de grands éloges de cette madame Summers, qui soignait sa bienfaitrice avec la plus active reconnaissance ; et madame Smith, disait-il, se trouvait bien heureuse, dans son état de maladie, d’avoir échangé les négligences d’un jeune homme frivole et libertin, contre les attentions d’une jeune femme reconnaissante et sensible.

      Je suis bien aise, dit Maria en souriant, que quelqu’un ait gagné quelque chose à mon malheur. M. Willoughhy n’a plus besoin de la fortune de sa cousine. Elle sera mieux placée ; et je ne suis

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