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Vincent je savais ça déjà depuis longtemps. Seulement, mes petits, tâchez maintenant de parler plus bas, parce que j’ai sommeil. Ou taisez-vous.

      Olivier se tourne du côté du mur. Bernard, qui ne dort pas, contemple la pièce. Le clair de lune la fait paraître plus grande. Au fait, il la connaît à peine. Olivier ne s’y tient jamais dans la journée; les rares fois qu’il a reçu Bernard, c’a été dans l’appartement du dessus. Le clair de lune touche à présent le pied du lit où Georges enfin s’est endormi; il a presque tout entendu de ce qu’a raconté son frère; il a de quoi rêver. Au-dessus du lit de Georges, on distingue une petite bibliothèque à deux rayons, où sont des livres de classe. Sur une table, près du lit d’Olivier, Bernard aperçoit un livre de plus grand format; il étend le bras, le saisit pour regarder le titre: – Tacqueville; mais quand il veut le reposer sur la table, le livre tombe et le bruit réveille Olivier.

      – Tu lis du Tocqueville, à présent?

      – C’est Dubac qui m’a prêté ça.

      – Ça te plaît?

      – C’est un peu rasoir. Mais il y a des choses très bien.

      – Écoute. Qu’est-ce que tu fais demain?

      Le lendemain, jeudi, les lycéens sont libres. Bernard songe à retrouver peut-être son ami. Il a l’intention de ne plus retourner au lycée; il prétend se passer des derniers cours et préparer son examen tout seul.

      – Demain, dit Olivier, je vais à onze heures et demie à la gare Saint-Lazare, pour l’arrivée du train de Dieppe, à la rencontre de mon oncle Edouard qui revient d’Angleterre. L’après-midi, à trois heures, j’irai retrouver Dhurmer au Louvre. Le reste du temps il faut que je travaille.

      – Ton oncle Edouard?

      – Oui, c’est un demi-frère de maman. Il est absent depuis six mois, et je ne le connais qu’à peine; mais je l’aime beaucoup. Il ne sait pas que je vais à sa rencontre et j’ai peur de ne pas le reconnaître. Il ne ressemble pas du tout au reste de ma famille; c’est quelqu’un de très bien.

      – Qu’est-ce qu’il fait?

      – Il écrit. J’ai lu presque tous ses livres; mais voici longtemps qu’il n’a plus rien publié.

      – Des romans?

      – Oui; des espèces de romans.

      – Pourquoi est-ce que tu ne m’en as jamais parlé?

      – Parce que tu aurais voulu les lire; et si tu ne les avais pas aimés…

      – Eh bien! achève.

      – Eh bien, ça m’aurait fait de la peine. Voilà.

      – Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est très bien?

      – Je ne sais pas trop. Je t’ai dit que je ne le connais presque pas. C’est plutôt un pressentiment. Je sens qu’il s’intéresse à beaucoup de choses qui n’intéressent pas mes parents, et qu’on peut lui parler de tout. Un jour, c’était peu de temps avant son départ; il avait déjeuné chez nous; tout en causant avec mon père, je sentais qu’il me regardait constamment et ça commençait à me gêner; j’allais sortir de la pièce – c’était la salle à manger, où l’on s’attardait après le café; mais il a commencé à questionner mon père à mon sujet, ce qui m’a gêné encore bien plus; et tout d’un coup papa s’est levé pour aller chercher des vers que je venais de faire et que j’avais été idiot de lui montrer.

      – Des vers de toi?

      – Mais si; tu connais; c’est cette pièce de vers que tu trouvais qui ressemblait au Balcon. Je savais qu’ils ne valaient rien ou pas grand-chose, et j’étais extrêmement fâché que papa sortît ça. Un instant, pendant que papa cherchait ces vers, nous sommes restés tous les deux seuls dans la pièce, l’oncle Edouard et moi, et j’ai senti que je rougissais énormément; je ne trouvais rien à lui dire; je regardais ailleurs – lui aussi du reste; il a commencé par rouler une cigarette; puis, sans doute pour me mettre un peu à l’aise, car certainement il a vu que je rougissais, il s’est levé et s’est mis à regarder par la fenêtre. Il sifflotait. Tout à coup il m’a dit: “Je suis bien plus gêné que toi.” Mais je crois que c’était par gentillesse. A la fin papa est rentré; il a tendu mes vers à l’oncle Edouard, qui s’est mis à les lire. J’étais si énervé que, s’il m’avait fait des compliments, je crois que je lui aurais dit des injures. Évidemment, papa en attendait, – des compliments; et, comme mon oncle ne disait rien, il a demandé: “Eh bien? qu’est-ce que tu en penses?” Mais mon oncle lui a dit en riant: “Ça me gêne de lui en parler devant toi.” Alors papa est sorti en riant aussi. Et quand nous nous sommes trouvés de nouveau seuls, il m’a dit qu’il trouvait mes vers très mauvais; mais ça m’a fait plaisir de le lui entendre dire; et ce qui m’a fait plus de plaisir encore c’est que, tout d’un coup, il a piqué du doigt deux vers, les deux seuls qui me plaisaient dans le poème; il m’a regardé en souriant et a dit: “Ça c’est bon.” N’est-ce pas que c’est bien? Et si tu savais de quel ton il m’a dit ça! Je l’aurais embrassé. Puis il m’a dit que mon erreur était de partir d’une idée, et que je ne me laissais pas assez guider par les mots. Je ne l’ai pas bien compris d’abord; mais je crois que je vois à présent ce qu’il voulait dire – et qu’il a raison. Je t’expliquerai ça une autre fois.

      – Je comprends maintenant que tu veuilles te trouver à son arrivée.

      – Oh! ce que je te raconte là n’est rien, et je ne sais pas pourquoi je te le raconte. Nous nous sommes dit encore beaucoup d’autres choses.

      – A onze heures et demie, tu dis? Comment sais-tu qu’il arrive par ce train?

      – Parce qu’il l’a écrit à maman sur une carte postale; et puis j’ai vérifié sur l’indicateur.

      – Tu déjeuneras avec lui?

      – Oh! non, il faut que je sois de retour ici pour midi. J’aurai juste le temps de lui serrer la main; mais ça me suffit… Ah! dis encore, avant que je ne m’endorme: quand est-ce que je te revois?

      – Pas avant quelques jours. Pas avant que je ne me sois tiré d’affaire.

      – Mais tout de même… si je pouvais t’aider.

      – Si tu m’aidais? – Non. Ça ne serait pas de jeu. Il me semblerait que je triche. Dors bien.

      IV

      Mon père était une bête, mais ma mère avait de l’esprit, elle était quiétiste; c’était une petite femme douce qui me disait souvent: Mon fils, vous serez damné. Mais cela ne lui faisait point de peine.

FONTENELLE

      Non, ce n’était pas chez sa maîtresse que Vincent Molinier s’en allait ainsi chaque soir. Encore qu’il marche vite, suivons-le. Du haut de la rue Notre-Dame-des-Champs où il habite, Vincent descend jusqu’à la rue Saint-Placide qui la prolonge; puis rue du Bac où quelques bourgeois attardés circulent encore. Il s’arrête rue de Babylone devant une porte cochère, qui s’ouvre. Le voici chez le comte de Passavant. S’il ne venait pas ici souvent, il n’entrerait pas si crânement dans ce fastueux hôtel. Le laquais qui lui ouvre sait très bien ce qui se cache de timidité sous cette feinte assurance. Vincent affecte de ne pas lui tendre son chapeau que, de loin, il jette sur un fauteuil. Pourtant, il n’y a pas longtemps que Vincent vient ici. Robert de Passavant, qui se dit maintenant son ami, ést l’ami de beaucoup de monde. Je ne sais trop comment Vincent et lui se sont connus. Au lycée sans doute, encore que Robert de Passavant soit sensiblement plus âgé que Vincent; ils s’étaient perdus de vue quelques années, puis, tout dernièrement, rencontrés de nouveau, certain soir que, par extraordinaire, Olivier accompagnait son frère au théâtre; pendant l’entrante Passavant leur avait à tous deux offert des glaces; il avait appris ce soir-là que Vincent venait d’achever son externat, qu’il était indécis, ne sachant pas s’il se présenterait comme interne; les sciences

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