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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
Читать онлайн.Название Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Год выпуска 1925
isbn 978-5-9925-1387-5
Автор произведения Андре Жид
Жанр Зарубежная классика
Серия Littérature contemporaine
Издательство КАРО
Ils restent un instant silencieux. La seconde babouche est tombée. Bernard:
– Tu vas prendre froid. Recouche-toi.
– Non, c’est toi qui vas te coucher.
– Tu plaisantes! Allons, vite – et il force Olivier à rentrer dans le lit défait.
– Mais toi? Où vas-tu dormir?
– N’importe où. Par terre. Dans un coin. Il faut bien que je m’habitue.
– Non, écoute. Je veux te dire quelque chose, mais je ne pourrai pas si je ne te sens pas tout près de moi. Viens dans mon lit. Et après que Bernard, qui s’est en un instant dévêtu, l’a rejoint: – Tu sais, ce que je t’avais dit l’autre fois… Ça y est. J’y ai été.
Bernard comprend à demi-mot. Il presse contre lui son ami, qui continue:
– Eh bien! mon vieux, c’est dégoûtant. C’est horrible… Après, j’avais envie de cracher, de vomir, de m’arracher la peau, de me tuer.
– Tu exagères.
– Ou de la tuer, elle…
– Qui était-ce? Tu n’as pas été imprudent, au moins?
– Non, c’est une gonzesse que Dhurmer connaît bien; à qui il m’avait présenté. C’est surtout sa conversation qui m’écoeurait. Elle n’arrêtait pas de parler. Et ce qu’elle est bête! Je ne comprends pas qu’on ne se taise pas à ces moments-là. J’aurais voulu la bâillonner, l’étrangler…
– Mon pauvre vieux! Tu devrais pourtant bien penser que Dhurmer ne pouvait t’offrir qu’une idiote… Était-elle belle, au moins?
– Si tu crois que je l’ai regardée!
– Tu es un idiot. Tu es un amour. Dormons… Est-ce qu’au moins tu as bien…
– Parbleu! C’est bien ça qui me dégoûte le plus: c’est que j’aie pu tout de même… tout comme si je la désirais.
– Eh bien! mon vieux, c’est épatant.
– Tais-toi donc. Si c’est ça l’amour, j’en ai soupe pour longtemps.
– Quel gosse tu fais!
– J’aurais voulu t’y voir.
– Oh! moi, tu sais, je ne cours pas après. Je te l’ai dit: j’attends l’aventure. Comme ça, froidement, ça ne me dit rien. N’empêche que si je…
– Que si tu…
– Que si elle… Rien. Dormons. Et brusquement il tourne le dos, s’écartant un peu de ce corps dont la chaleur le gêne. Mais Olivier, au bout d’un instant:
– Dis… tu crois que Barrés sera élu?
– Parbleu!… Ça te congestionne!
– Je m’en fous! Dis… Écoute un peu… Il pèse sur l’épaule de Bernard qui se retourne. – Mon frère a une maîtresse.
– Georges?
Le petit, qui fait semblant de dormir, mais qui écoute tout, l’oreille tendue dans le noir, en entendant son nom, retient son souffle.
– Tu es fou! Je te parle de Vincent. (Plus âgé qu’Olivier, Vincent vient d’achever ses premières années de médecine).
– Il te l’a dit?
– Non. Je l’ai appris sans qu’il s’en doute. Mes parents n’en savent rien.
– Qu’est-ce qu’ils diraient, s’ils apprenaient?
– Je ne sais pas. Maman serait au désespoir. Papa lui demanderait de rompre ou d’épouser.
– Parbleu! les bourgeois honnêtes ne comprennent pas qu’on puisse être honnête autrement qu’eux. Comment l’as-tu appris, toi?
– Voici: depuis quelque temps Vincent sort la nuit, après que mes parents sont couchés. Il fait le moins de bruit qu’il peut en descendant, mais je reconnais son pas dans la rue. La semaine dernière, mardi je crois, la nuit était si chaude que je ne pouvais pas rester couché. Je me suis mis à la fenêtre pour respirer mieux. J’ai entendu la porte d’en bas s’ouvrir et se refermer. Je me suis penché, et quand il a passé près du réverbère, j’ai reconnu Vincent. Il était minuit passé. C’était la première fois. Je veux dire: la première fois que je le remarquais. Mais, depuis que je suis averti, je surveille – oh! sans le vouloir… et presque chaque nuit, je l’entends sortir. Il a sa clef et mes parents lui ont arrangé notre ancienne chambre, à Georges et à moi, en cabinet de consultation, pour quand il aura de la clientèle. Sa chambre est à côté, à gauche du vestibule, tandis que le reste de l’appartement est à droite. Il peut sortir et rentrer quand il veut, sans qu’on le sache. D’ordinaire, je ne l’entends pas rentrer, mais avant-hier, lundi soir, je ne sais ce que j’avais; je songeais au projet de revue de Dhurmer… Je ne pouvais pas m’endormir. J’ai entendu des voix dans l’escalier; j’ai pensé que c’était Vincent.
– Il était quelle heure? demande Bernard, non tant par désir de le savoir que pour marquer son intérêt.
– Trois heures du matin, je pense. Je me suis levé et j’ai mis mon oreille contre la porte. Vincent causait avec une femme. Ou plutôt c’était elle seule qui parlait.
– Alors comment savais-tu que c’était lui? Tous les locataires passent devant ta porte.
– C’est même rudement gênant quelquefois: plus il est tard, plus ils font de chahut en montant; ce qu’ils se fichent des gens qui dorment!… Ça ne pouvait être que lui; j’entendais la femme répéter son nom. Elle lui disait… oh! ça me dégoûte de redire ça…
– Va donc.
– Elle lui disait: “Vincent, mon amant, mon amour, ah! ne me quittez pas!”
– Elle lui disait vous?
– Oui. N’est-ce pas que c’est curieux?
– Raconte encore.
– “Vous n’avez plus le droit de m’abandonner à présent. Que voulez-vous que je devienne? Où voulez-vous que j’aille? Dites-moi quelque chose. Oh! parlez-moi.” – Et elle l’appelait de nouveau par son nom et répétait: “Mon amant, mon amant”, d’une voix de plus en plus triste et de plus en plus basse. Et puis j’ai entendu un bruit (ils devaient être sur les marches) – un bruit comme de quelque chose qui tombe. Je pense qu’elle s’est jetée à genoux.
– Et lui, il ne répondait rien?
– Il a dû monter les dernières marches; j’ai entendu la porte de l’appartement qui se refermait. Et ensuite elle est restée longtemps tout près, presque contre ma porte. Je l’entendais sangloter.
– Tu aurais dû lui ouvrir.
– Je n’ai pas osé. Vincent serait furieux s’il savait que je suis au courant de ses affaires. Et puis j’ai eu peur qu’elle ne soit très gênée d’être surprise en train de pleurer. Je ne sais pas ce que j’aurais pu lui dire.
Bernard s’était retourné vers Olivier.
– A ta place, moi, j’aurais ouvert.
– Oh! parbleu, toi tu oses toujours tout. Tout ce qui te passe par la tête, tu le fais.
– Tu me le reproches?
– Non, je t’envie.
– Tu vois qui ça pouvait être, cette femme?
– Comment veux-tu que je sache? Bonne nuit.
– Dis… tu es sûr que Georges ne nous a pas entendus? chuchote Bernard à l’oreille d’Olivier. Ils restent un moment aux aguets.
– Non,