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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
Читать онлайн.Название Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Год выпуска 1925
isbn 978-5-9925-1387-5
Автор произведения Андре Жид
Жанр Зарубежная классика
Серия Littérature contemporaine
Издательство КАРО
– Ça joue la larme, pensa-t-il. Mais mieux vaut suer que de pleurer.
Oui, la date était péremptoire. Pas moyen de douter: c’est bien de lui, Bernard, qu’il s’agissait. La lettre était adressée à sa mère; une lettre d’amour vieille de dix-sept ans; non signée.
– Que signifie cette initiale? Un V, qui peut aussi bien être un N… Sied-il d’interroger ma mère?… Faisons crédit à son bon goût. Libre à moi d’imaginer que c’est un prince. La belle avance si j’apprends que je suis le fils d’un croquant! Ne pas savoir qui est son père, c’est ça qui guérit de la peur de lui ressembler. Toute recherche oblige. Ne retenons de ceci que la délivrance. N’approfondissons pas. Aussi bien j’en ai mon suffisant pour aujourd’hui.
Bernard replia la lettre. Elle était de même format que les douze autres du paquet. Une faveur rose les attachait, qu’il n’avait pas eu à dénouer; qu’il refit glisser pour ceinturer comme auparavant la liasse. Il remit la liasse dans le coffret et le coffret dans le tiroir de la console. Le tiroir n’était pas ouvert; il avait livré son secret par en haut. Bernard assujettit les lames disjointes du plafond de bois, que devait recouvrir une lourde plaque d’onyx. Il fit doucement, précautionneusement, retomber celle-ci, replaça pardessus deux candélabres de cristal et l’encombrante pendule qu’il venait de s’amuser à réparer.
La pendule sonna quatre coups. Il l’avait remise à l’heure.
– Monsieur le juge d’instruction et Monsieur l’avocat son fils ne seront pas de retour avant six heures. J’ai le temps. Il faut que Monsieur le juge, en rentrant, trouve sur son bureau la belle lettre où je m’en vais lui signifier mon départ. Mais avant de l’écrire, je sens un immense besoin d’aérer un peu mes pensées – et d’aller retrouver mon cher Olivier, pour m’assurer, provisoirement du moins, d’un perchoir. Olivier, mon ami, le temps eét venu pour moi de mettre ta complaisance à l’épreuve et pour toi de me montrer ce que tu vaux. Ce qu’il y avait de beau dans notre amitié, c’est que, jusqu’à présent, nous ne nous étions jamais servis l’un de l’autre. Bah! un service amusant à rendre ne saurait être ennuyeux à demander. Le gênant, c’est qu’Olivier ne sera pas seul. Tant pis; je saurai le prendre à part. Je veux l’épouvanter par mon calme. C’est dans l’extraordinaire que je me sens le plus naturel.
La rue de T…, où Bernard Profitendieu avait vécu jusqu’à ce jour, est toute proche du jardin du Luxembourg. Là, près de la fontaine Médicis, dans cette allée qui la domine, avaient coutume de se retrouver, chaque mercredi entre quatre et six, quelques-uns de ses camarades. On causait art, philosophie, sports, politique et littérature. Bernard avait marché très vite; mais en passant la grille du jardin il aperçut Olivier Molinier et ralentit aussitôt son allure.
L’assemblée ce jour-là était plus nombreuse que de coutume, sans doute à cause du beau temps. Quelques-uns s’y étaient adjoints que Bernard ne connaissait pas encore. Chacun de ces jeunes gens, sitôt qu’il était devant les autres, jouait un personnage et perdait presque tout naturel.
Olivier rougit en voyant approcher Bernard et, quittant assez brusquement une jeune femme avec laquelle il causait, s’éloigna. Bernard était son ami le plus intime, aussi Olivier prenait-il grand soin de ne paraître point le rechercher; il feignait même parfois de ne pas le voir.
Avant de le rejoindre, Bernard devait affronter plusieurs groupes, et, comme lui de même affectait de ne pas rechercher Olivier, il s’attardait.
Quatre de ses camarades entouraient un petit barbu à pince-nez sensiblement plus âgé qu’eux, qui tenait un livre. C’était Dhurmer.
– Qu’est-ce que tu veux, disait-il en s’adressant plus particulièrement à l’un des autres, mais manifestement heureux d’être écouté par tous. J’ai poussé jusqu’à la page trente sans trouver une seule couleur, un seul mot qui peigne. Il parle d’une femme; je ne sais même pas si sa robe était rouge ou bleue. Moi, quand il n’y a pas de couleurs, c’est bien simple, je ne vois rien. – Et par besoin d’exagérer, d’autant plus qu’il se sentait moins pris au sérieux, il insistait: – Absolument rien.
Bernard n’écoutait plus le discoureur; il jugeait malséant de s’écarter trop vite, mais déjà prêtait l’oreille à d’autres qui se querellaient derrière lui et qu’Olivier avait rejoints après avoir laissé la jeune femme; l’un de ceux-ci, assis sur un banc, lisait UAftion française. Combien Olivier Molinier, parmi tous ceux-ci, paraît grave! Il est l’un des plus jeunes pourtant. Son visage presque enfantin encore et son regard révèlent la précocité de sa pensée. Il rougit facilement. Il est tendre. Il a beau se montrer affable envers tous, je ne sais quelle secrète réserve, quelle pudeur, tient ses camarades à distance. Il souffre de cela. Sans Bernard, il en souffrirait davantage.
Molinier s’était un instant prêté, comme fait Bernard à présent, à chacun des groupes; par complaisance, mais rien de ce qu’il entend ne l’intéresse.
Il se penchait par-dessus l’épaule du lecteur. Bernard, sans se retourner, l’entendait dire:
– Tu as tort de lire les journaux; ça te congestionne.
Et l’autre repartir d’une voix aigre:
– Toi, dès qu’on parle de Maurras, tu verdis. Puis un troisième, sur un ton goguenard, demander:
– Ça t’amuse, les articles de Maurras?
Et le premier répondre:
– Ça m’emmerde; mais je trouve qu’il a raison.
Puis un quatrième, dont Bernard ne reconnaissait pas la voix:
– Toi, tout ce qui ne t’embête pas, tu crois que ça manque de profondeur.
Le premier ripostait:
– Si tu crois qu’il suffit d’être bête pour être rigolo!
– Viens, dit à voix basse Bernard, en saisissant brusquement Olivier par le bras. Il l’entraîna quelques pas plus loin:
– Réponds vite; je suis pressé. Tu m’as bien dit que tu ne couchais pas au même étage que tes parents?
– Je t’ai montré la porte de ma chambre; elle donne droit sur l’escalier, un demi-étage avant d’arriver chez nous.
– Tu m’as dit que ton frère couchait là aussi?
– Georges, oui.
– Vous êtes seuls tous les deux?
– Oui.
– Le petit sait se taire?
– S’il le faut. Pourquoi?
– Écoute. J’ai quitté la maison; ou du moins je vais la quitter ce soir. Je ne sais pas encore où j’irai. Pour une nuit, peux-tu me recevoir?
Olivier devint très pâle. Son émotion était si vive qu’il ne pouvait regarder Bernard.
– Oui, dit-il; mais ne viens pas avant onze heures. Maman descend nous dire adieu chaque soir, et fermei notre porte à clef.
– Mais alors…
Olivier sourit:
– J’ai une autre clef. Tu frapperas doucement pour ne pas réveiller Georges s’il dort.
– Le concierge me laissera passer?
– Je l’avertirai. Oh! je suis très bien avec lui. C’est lui qui m’a donné l’autre clef. A tantôt.
Ils se quittèrent sans se serrer la main. Et tandis que Bernard s’éloignait, méditant la lettre qu’il voulait écrire et que le magistrat devait trouver en rentrant. Olivier, qui ne voulait pas qu’on ne le vît s’isoler qu’avec Bernard, alla retrouver Lucien Bercail que les autres laissent un peu à l’écart. Olivier l’aimerait beaucoup s’il ne lui préférait Bernard. Autant Bernard est entreprenant, autant Lucien est timide. On le sent faible; il semble n’exister que par le coeur et par l’esprit. Il ose rarement s’avancer, mais devient fou de joie dès qu’il voit qu’Olivier s’approche. Que Lucien fasse des vers, chacun s’en