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Voici ce qu’il voudrait lui dire:

      – Ma pauvre amie, vois-tu: il ne peut naître rien de bon du péché. Il n’a servi de rien de cher-cher à couvrir ta faute. Hélas! j’ai fait ce que j’ai pu pour cet enfant; je Fai traité comme le mien propre. Dieu nous montre à présent que c’était une erreur, de prétendre…

      Mais dès la première phrase il s’arrête.

      Et sans doute comprend-elle ces quelques mots si chargés de sens; sans doute ont-ils pénétré dans son coeur, car elle est reprise de sanglots, encore plus violents que d’abord, elle qui depuis quelques instants ne pleurait plus; puis elle se plie comme prête à s’agenouiller devant lui, qui se courbe vers elle et la maintient. Que dit-elle à travers ses larmes? Il se penche jusqu’à ses lèvres. Il entend:

      – Tu vois bien… Tu vois bien… Ah! pourquoi m’as-tu pardonné…? Ah! je n’aurais pas dû revenir!

      Presque il eét obligé de deviner ses paroles. Puis elle se tait. Elle non plus ne peut exprimer davantage. Comment lui eût-elle dit qu’elle se sentait emprisonnée dans cette vertu qu’il exigeait d’elle; qu’elle étouffait; que ce n’était pas tant sa faute qu’elle regrettait à présent, que de s’en être repentie? Profitendieu s’était redressé:

      – Ma pauvre amie, dit-il sur un ton digne et sévère, je crains que tu ne sois un peu butée ce soir. Il est tard. Nous ferions mieux d’aller nous coucher.

      Il l’aide à se relever, puis l’accompagne jusqu’à sa chambre, pose ses lèvres sur son front, puis rétourne dans son bureau et se jette dans un fauteuil. Chose étrange, sa crise de foie s’est calmée; mais il se sent brisé. Il reâte le front dans lès mains, trop triste pour pleurer. Il n’entend pas frapper à la porte, mais, au bruit de ia porte qui s’ouvre, lève la tête: c’est son fils Charles:

      – Je venais te dire bonsoir.

      Charles s’approche. Il a tout compris. Il veut le donner à entendre à son père. Il voudrait lui témoigner sa pitié, sa tendresse, sa dévotion, mais, qui le croirait d’un avocat: il est on ne peut plus maladroit à s’exprimer; ou peut-être devient-il maladroit précisément lorsque ses sentiments sont sincères. Il embrasse son père. La façon insistante qu’il a déposer, d’appuyer sa tête sur l’épaule de son père et de l’y laisser quelque temps, persuade celui-ci qu’il a compris. Il a si bien compris que le voici qui, relevant un peu la tête, demande, gauchement, comme tout ce qu’il fait, – mais il a le coeur si tourmenté qu’il ne peut se retenir de demander:

      – Et Caloub?

      La question est absurde, car, autant Bernard différait des autres enfants, autant chez Caloub l’air de famille est sensible. Profitendieu tape sur l’épaule de Charles:

      – Non; non; rassure-toi. Bernard seul. Alors Charles, sentencieusement:

      – Dieu chasse l’intrus pour…

      Mais Profitendieu l’arrête; qu’a-t-il besoin qu’on lui parle ainsi?

      – Tais-toi.

      Le père et le fils n’ont plus rien à se dire. Quittons-les. Il est bientôt onze heures. Laissons madame Profitendieu dans sa chambre, assise sur une petite chaise droite peu confortable. Elle ne pleure pas; elle ne pense à rien. Elle voudrait, elle aussi, s’enfuir; mais elle ne le fera pas. Quand elle était avec son amant, le père de Bernard, que nous n’aVons pas à connaître, elle se disait: Va, tu auras beau faire; tu ne seras jamais qu’une honnête femme. Elle avait peur de la liberté, du crime, de l’aisance; ce qui fit qu’au bout de dix jours elle rentrait repentante au foyer. Ses parents autrefois avaient bien raison de lui dire: Tu ne sais jamais ce que tu veux. Quittons-la. Cécile dort déjà. Caloub considère avec désespoir sa bougie; elle ne durera pas assez pour lui permettre d’achever un livre d’aventures, qui le distrait du départ de Bernard. J’aurais été curieux de savoir ce qu’Antoine a pu raconter à son amie la cuisinière; mais on ne peut tout écouter. Voici l’heure où Bernard doit aller retrouver Olivier. Je ne sais pas trop où il dîna ce soir, ni même s’il dîna du tout. Il a passé sans encombre devant la loge du concierge; il monte en tapinois l’escalier…

      III

      Planty and peace breeds cowards; hardness even

      Of hardiness is mother.

SHAKESPEARE

      Olivier s’était mis au lit pour recevoir le baiser de sa mère, qui venait embrasser ses deux derniers enfants dans leur lit tous les soirs. Il aurait pu se rhabiller pour recevoir Bernard, mais il doutait encore de sa venue et craignait de donner l’éveil à son jeune frère. Georges d’ordinaire s’endormait vite et se réveillait tard; peut-être même ne s’apercevrait-il de rien d’insolite.

      En entendant une sorte de grattement discret à la porte, Olivier bondit de son lit, enfonça ses pieds hâtivement dans des babouches et courut ouvrir. Point n’était besoin d’allumer; le clair de lune illuminait suffisamment la chambre. Olivier serra Bernard dans ses bras.

      – Comme je t’attendais! Je ne pouvais pas croire que tu viendrais. Tes parents savent que tu ne couches pas chez toi ce soir?

      Bernard regardait tout droit devant lui, dans le noir. Il haussa les épaules.

      – Tu trouves que j’aurais dû leur demander la permission, hein?

      Le ton de sa voix était si froidement ironique qu’Olivier sentit aussitôt l’absurdité de sa question. Il n’a pas encore compris que Bernard est parti “pour de bon”; il croit qu’il n’a l’intention de découcher que ce seul soir et ne s’explique pas bien le motif de cette équipée. Il l’interroge: – Quand Bernard compte-t-il rentrer? – Jamais! – Le jour se fait dans l’esprit d’Olivier. Il a grand souci de se montrer à la hauteur des circonstances et ne se laisser surprendre par rien; pourtant un: “C’est énorme, ce que tu fais là” lui échappe.

      Il ne déplaît pas à Bernard d’étonner un peu son ami; il est surtout sensible à ce qui perce d’admiration dans cette interjecion; mais il hausse de nouveau les épaules. Olivier lui a pris la main; il est très grave; il demande anxieusement:

      – Mais… pourquoi t’en vas-tu?

      – Ah! ça, mon vieux, c’est des affaires de famille. Je ne peux pas te le dire. Et pour ne pas avoir l’air trop sérieux, il s’amuse, du bout de son soulier, à faire tomber la babouche qu’Olivier balance au bout de son pied, car ils se sont assis au bord du lit.

      – Alors où vas-tu vivre?

      – Je ne sais pas.

      – Et avec quoi?

      – On verra ça.

      – Tu as de l’argent?

      – De quoi déjeuner demain.

      – Et ensuite?

      – Ensuite il faudra chercher. Bah! je trouverai bien quelque chose. Tu verras; je te raconterai.

      Olivier admire immensément son ami. Il le sait de caraâère résolu; pourtant, il doute encore; à bout de ressources et pressé par le besoin bientôt, ne va-t-il pas chercher à rentrer? Bernard le rassure: il tentera n’importe quoi plutôt que de retourner près des siens. Et comme il répète à plusieurs reprises et toujours plus sauvagement: n’importe quoi – une angoisse étreint le coeur d’Olivier. Il voudrait parler, mais il n’ose. Enfin, il commence, en baissant la tête et d’une voix mal assurée:

      – Bernard… tout de même, tu n’as pas l’intention de… Mais il s’arrête. Son ami lève les yeux et, sans bien voir Olivier, distingue sa confusion.

      – De quoi? demande-t-il. Qu’est-ce que tu veux dire? Parle. De voler?

      Olivier remue la tête. Non, ce n’est pas cela. Soudain il éclate en sanglots; il étreint convulsivement Bernard.

      Promets que tu ne te…

      Bernard

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