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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
Читать онлайн.Название Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Год выпуска 1925
isbn 978-5-9925-1387-5
Автор произведения Андре Жид
Жанр Зарубежная классика
Серия Littérature contemporaine
Издательство КАРО
Il eut une souleur, quand l’employé lui demanda dix centimes de garde. Il n’avait plus un sou. Que faire? La valise était là, sur le butoir. Le moindre manque d’assurance allait donner l’éveil; et aussi le manque d’argent. Mais le démon ne permettra pas qu’il se perde; il glisse sous les doigts anxieux de Bernard, qui vont fouillant de poche en poche, dans un simulacre de recherche désespérée, une petite pièce de dix sous oubliée depuis on ne sait quand, là, dans le gousset de son gilet. Bernard la tend à l’employé. Il n’a rien laissé paraître de son trouble. Il s’empare de la valise et d’un geste simple et honnête, empoche les sous qu’on lui rend. Ouf! Il a chaud. Où va-t-il aller? Ses jambes se dérobent sous lui et la valise lui paraît lourde. Que va-t-il en faire?.. Il songe tout à coup qu’il n’en a pas la clef. Et non; et non; et non; il ne forcera pas la serrure; il n’est pas un voleur, que diable!… Si du moins il savait ce qu’il y a dedans. Elle pèse à son bras. Il est en nage. Il s’arrête un instant; pose son faix sur le trottoir. Certes, il entend bien la rendre, cette valise; mais il voudrait l’interroger d’abord. Il presse à tout hasard la serrure. Oh! miracle! les valves s’entr’ouvrent, laissant entrevoir cette perle: un portefeuille, qui laisse entrevoir des billets. Bernard s’empare de la perle et referme l’huître aussitôt.
Et maintenant qu’il a de quoi, vite! un hôtel. Rue d’Amsterdam, il en sait un tout près. Il meurt de faim. Mais avant de s’asseoir à table, il veut mettre la valise à l’abri. Un garçon qui la porte le précède dans l’escalier. Trois étages; un couloir… une porte, qu’il ferme à cacher sur son trésor… Il redescend.
Attablé devant un bifteck, Bernard n’osait tirer le portefeuille de sa poche (sait-on jamais qui vous observe?) mais, dans le fond de cette poche intérieure, sa main gauche amoureusement le palpait.
– Faire comprendre à Edouard que je ne suis pas un voleur, se disait-il, voilà le hic. Quel genre de type est Edouard? La valise nous renseignera peut-être. Séduisant, c’est un fait acquis. Mais il y a des tas de types séduisants qui comprennent fort mal la plaisanterie. S’il croit sa valise volée, il ne laissera pas sans doute d’être content de la revoir. Il me sera reconnaissant de la lui rapporter, ou n’est qu’un mufle. Je saurai l’intéresser à moi. Prenons vite un dessert et remontons examiner la situation. L’addition; et laissons un émouvant pourboire au garçon.
Quelques instants plus tard, il était de nouveau dans la chambre.
– Maintenant, valise, à nous deux!.. Un complet de rechange; à peine un peu trop grand pour moi, sans doute. L’étoffe en est seyante et de bon goût. Du linge; des affaires de toilette. Je ne suis pas bien sûr de lui rendre jamais tout cela. Mais ce qui prouve que je ne suis pas un voleur, c’est que les papiers que voici vont m’occuper bien davantage. Lisons d’abord Ceci:
C’était le cahier dans lequel Edouard avait serré la triste lettre de Laura. Nous en connaissons déjà les premières pages; voici ce qui suivait aussitôt.
XI
“I-er novembre. – Il y a quinze jours… – j’ai eu tort de ne pas noter cela aussitôt. Ce n’est pas que le temps m’ait manqué, mais j’avais le coeur encore plein de Laura – ou plus exactement je voulais ne point distraire d’elle ma pensée; et puis je ne me plais à noter ici rien d’épisodique, de fortuit, et il ne me paraissait pas encore que ce que je vais raconter pût avoir une suite, ni comme l’on dit: tirer à conséquence; du moins, je me refusais à l’admettre et c’était pour me le prouver, en quelque sorte, que je m’abstenais d’en parler dans mon journal; mais je sens bien, et j’ai beau m’en défendre, que la figure d’Olivier aimante aujourd’hui mes pensées, qu’elle incline leur cours et que, sans tenir compte de lui, je ne pourrais ni tout à fait bien m’expliquer, ni tout à fait bien me comprendre.
“Je revenais au matin de chez Perrin, où j’allais surveiller le service de presse pour la réédition de mon vieux livre. Comme le temps était beau, je flânais le long des quais en attendant l’heure du déjeuner.
“Un peu avant d’arriver devant Vanier, je m’arrêtai près d’un étalage de livres d’occasion. Les livres ne m’intéressaient point tant qu’un jeune lycéen, de treize ans environ, qui fouillait les rayons en plein vent sous l’oeil placide d’un surveillant assis sur une chaise de paille dans la porte de la boutique. Je feignais de contempler l’étalage, mais, du coin de l’oeil, moi aussi je surveillais le petit. Il était vêtu d’un pardessus usé jusqu’à la corde et dont les manches trop courtes laissaient passer celles de la veste. La grande poche de côté reétait bâillante, bien qu’on sentît qu’elle était vide; dans le coin l’étoffe avait cédé. Je pensai que ce pardessus avait déjà dû servir à plusieurs frères, et que ses frères et lui avaient l’habitude de mettre beaucoup trop de choses dans leurs poches. Je pensai aussi que sa mère était bien négligente, ou bien occupée, pour n’avoir pas réparé cela. Mais, à ce moment, le petit s’étant un peu tourné, je vis que l’autre poche était toute reprisée, grossièrement, avec un gros solide fil noir. Aussitôt, j’entendis les admonestations maternelles: “Ne mets donc pas deux livres à la fois dans ta poche; tu vas ruiner ton pardessus. Ta poche est encore déchirée. La prochaine fois, je t’avertis que je n’y ferai pas de reprises. Regarde-moi de quoi tu as l’air!…” Toutes choses que me disait également ma pauvre mère, et dont je ne tenais pas compte non plus. Le pardessus, ouvert, laissait voir la veste, et mon regard fut attiré par une sorte de petite décoration, un bout de ruban, ou plutôt une rosette jaune qu’il portait à la boutonnière. Je note tout cela par discipline, et précisément parce que cela m’ennuie de le noter.
“Aun certain moment, le surveillant fut appelé à Pintérieur de la boutique; il n’y resta qu’un instant, puis revint s’asseoir sur sa chaise; mais cet instant avait suffi pour permettre à l’enfant de glisser dans la poche de son manteau le livre qu’il tenait en main; puis, tout aussitôt, il se remit à fouiller les rayons, comme si de rien n’était. Pourtant il était inquiet; il releva la tête, remarqua mon regard et comprit que je l’avais vu. Du moins, il se dit que j’avais pu le voir; il n’en était sans doute pas bien sûr; mais, dans le doute, il perdit toute assurance, rougit et commença de se livrer à un petit manège, où il tâchait de se montrer tout à fait à son aise, mais qui marquait une gêne extrême. Je ne le quittais pas des yeux. Il sortit de sa poche le livre dérobé; l’y renfonça; s’écarta de quelques pas; tira de Pintérieur de son veston un pauvre petit portefeuille élimé, où il fit mine de chercher l’argent qu’il savait fort bien ne pas y être; fît une grimace significative, une moue de théâtre, à mon adresse évidemment, qui voulait dire: “Zut! je n’ai pas de quoi”, avec cette petite nuance en surplus: “C’est curieux, je croyais avoir de quoi”, tout cela un peu exagéré, un peu gros, comme un aâeur qui a peur de ne pas se faire entendre. Puis enfin, je puis presque dire: sous la pression de mon regard, il se rapprocha de nouveau de l’étalage, sortit enfin le livre de sa poche et brusquement le remit à la place que d’abord il occupait. Ce fut fait si naturellement que le surveillant ne s’aperçut de rien. Puis l’enfant releva la tête de nouveau, espérant cette fois être quitte. Mais non; mon regard était toujours là; comme l’oeil de Caïn; seulement mon oeil à moi souriait. Je voulais lui parler; j’attendais qu’il quittât la devanture pour l’aborder; mais il ne bougeait pas et restait en arrêt devant les livres, et je compris