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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
Читать онлайн.Название Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Год выпуска 1925
isbn 978-5-9925-1387-5
Автор произведения Андре Жид
Жанр Зарубежная классика
Серия Littérature contemporaine
Издательство КАРО
“Il me regarda bien en face et je sentis tomber sa méfiance. Il n’était peut-être pas beau, mais quel joli regard il avait! J’y voyais toute sorte de sentiments s’agiter comme des herbes au fond d’un ruisseau.
“– C’est un guide d’Algérie. Mais ça coûte trop cher. Je ne suis pas assez riche.
“– Combien?
“– Deux francs cinquante.
“– N’empêche que si tu n’avais pas vu que je te regardais, tu filais avec le livre dans ta poche.
“Le petit eut un mouvement de révolte et, se rebiffant, sur un ton très vulgaire:
“– Non, mais, des fois… que vous me prendriez pour un voleur… – avec une convidion, à me faire douter de ce que j’avais vu. Je sentis que j’allais perdre prise si j’insislais. Je sortis trois pièces de ma poche:
“– Allons! va l’acheter. Je t’attends.
“Deux minutes plus tard, il ressortait de la boutique, feuilletant l’objet de sa convoitise. Je le lui pris des mains. C’était un vieux guide Joanne, de 71.
“– Qu’est-ce que tu veux faire avec ça? dis-je en le lui rendant. C’est trop vieux. Ça ne peut plus servir.
“Il protesta que si; que, du reste, les guides plus récents coûtaient beaucoup trop cher, et que “pour ce qu’il en ferait” les cartes de celui-ci pourraient tout aussi bien lui servir. Je ne cherche pas à transcrire ses propres paroles, car elles perdraient leur caractère, dépouillées de l’extraordinaire accent faubourien qu’il y mettait et qui m’amusait d’autant plus que ses phrases n’étaient pas sans élégance.
“Nécessaire d’abréger beaucoup cet épisode. La précision ne doit pas être obtenue par le détail du récit, mais bien, dans l’imagination du leéleur, par deux ou trois traits, exactement à la bonne place. Je crois du resite qu’il y aurait intérêt à faire raconter tout cela par l’enfant; son point de vue est plus significatif que le mien. Le petit est à la fois gêné et flatté de l’attention que je lui porte. Mais la pesée de mon regard fausse un peu sa direction. Une personnalité trop tendre et inconsciente encore se défend et dérobe derrière une attitude. Rien n’est plus difficile à observer que les êtres en formation. Il faudrait pouvoir ne les regarder que de biais, de profil.
“Le petit déclara soudain que “ce qu’il aimait le mieux” c’était “la géographie”. Je soupçonnai que derrière cet amour se dissimulait un instinct: de vagabondage.
“– Tu voudrais aller là-bas? lui demandai-je.
“– Parbleu! fit-il en haussant un peu les épaules.
“L’idée m’effleura qu’il n’était pas heureux auprès des siens. Je lui demandai s’il vivait avec ses parents. – Oui. – Et s’il ne se plaisait pas avec eux? – Il protesta mollement. Il paraissait quelque peu inquiet de s’être trop découvert tout à l’heure. Ils jouta:
“– Pourquoi est-ce que vous me demandez ça?
“– Pour rien, dis-je aussitôt; puis, touchant du bout du doigt le ruban jaune de sa boutonnière:
“– Qu’est-ce que c’est que ça?
“– C’est un ruban; vous le voyez bien.
“Mes questions manifestement l’importunaient. Il se tourna brusquement vers moi, comme hostilement, et sur un ton gouailleur et insolent, dont je ne l’aurais jamais cru capable et qui proprement me décomposa:
“– Dites donc… ça vous arrive souvent de reluquer les lycéens?
“Puis, tandis que je balbutiais confusément un semblant de réponse, il ouvrit la serviette d’écolier qu’il portait sous son bras, pour y glisser son emplette. Là se trouvaient des livres de classe et quelques cahiers recouverts uniformément de papier bleu. J’en pris un; c’était celui d’un cours d’histoire. Le petit avait écrit, dessus, son nom en grosses lettres. Mon coeux bondit en y reconnaissant le nom de mon neveu:
(Le coeur de Bernard bondit également en lisant ces lignes, et toute cette histoire commença de l’intéresser prodigieusement.)
“Il sera difficile, dans Les Faux-Monnayeurs, de faire admettre que celui qui jouera ici mon personnage ait pu, tout en restant en bonnes relations avec sa soeur, ne connaître point ses enfants. J’ai toujours eu le plus grand mal à maquiller la vérité. Même changer la couleur des cheveux me paraît une tricherie qui rend pour moi le vrai moins vraisemblable. Tout se tient et je sens, entre tous les faits que m’offre la vie, des dépendances si subtiles qu’il me semble toujours qu’on n’en saurait changer un seul sans modifier tout l’ensemble. Je ne puis pourtant pas raconter que la mère de cet enfant n’est que ma demi-soeur, née d’un premier mariage de mon père; que je suis resté sans la voir aussi longtemps que mes parents ont vécu; que des affaires de succession ont forcé nos rapports… Tout cela est pourtant indispensable et je ne vois pas ce que je pourrais inventer d’autre pour éluder l’indiscrétion. Je savais que ma demi-soeur avait trois fils; je ne connaissais que l’aîné, étudiant en médecine; encore n’avais-je fait que l’entrevoir, car, atteint de tuberculose, il avait dû interrompre ses études et se soignait quelque part dans le Midi. Les deux autres n’étaient jamais là aux heures où j’allais voir Pauline; celui que j’avais devant moi était assurément le dernier. Je ne laissai rien paraître de mon étonnement, mais, quittant le petit Georges brusquement, après avoir appris qu’il rentrait déjeuner chez lui, je sautai dans un taxi, pour le devancer rue Notre-Dame-des-Champs. Je pensai qu’arrivant à cette heure, Pauline me retiendrait pour déjeuner, ce qui ne manqua pas d’arriver; mon livre, dont j’emportais de chez Perrin un exemplaire, et que je pourrais lui offrir, servirait de prétexte à cette visite intempestive.
“C’était la première fois que je prenais un repas chez Pauline. J’avais tort de me méfier de mon beau-frère. Je doute qu’il soit un bien remarquable juriste, mais il sait ne parler pas plus de son métier que je ne parle du mien quand nous sommes ensemble, de sorte que nous nous entendons fort bien.
“Naturellement, quand j’arrivai ce matin-là, je ne soufflai mot de la rencontre que je venais de faire:
“– Ça me permettra, j’espère, de faire la connaissance de mes neveux, dis-je quand Pauline me pria de rester à déjeuner. Car vous savez qu’il y en a deux que je ne connais pas encore.
“– Olivier, me dit-elle, ne rentrera qu’un peu tard, car il a une répétition; nous nous mettrons à table sans lui. Mais je viens d’entendre rentrer Georges. Je vais l’appeler. Et, courant à la porte de la pièce voisine:
“– Georges! Viens dire bonjour à ton oncle.
“Le petit s’approcha, me tendit la main; je l’embrassai… J’admire la force de dissimulation des enfants: il ne laissa paraître aucune surprise; c’était à croire qu’il ne me reconnaissait pas. Simplement, il rougit beaucoup; mais sa mère put croire que c’était par timidité. Je pensai que peut-être il était gêné de retrouver le limier de tout à l’heure, car il nous quitta presque aussitôt et retourna dans la pièce voisine; c’était la salle à manger, qui, je le compris, sert de salle d’étude aux enfants, entre les repas. Il reparut pourtant bientôt après, lorsque son père entra dans le salon, et profita de l’infant où l’on allait passer dans la salle à manger, pour s’approcher de moi et me saisir la main sans être vu de ses parents. Je crus d’abord à une marque de camaraderie, qui m’amusa; mais non: il m’ouvrit la main que je refermai sur la sienne, y glissa un petit billet que certainement il venait d’écrire, puis replia mes doigts par-dessus, en serrant le tout très fort. Il va sans dire que je me prêtai au jeu; je cachai le petit billet dans une poche, d’où je ne le pus sortir qu’après le repas. Voici ce que j’y lus:
“Si vous racontez à mes parents l’histoire du livre, fe (il avait barré: vous détesterai)