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préparatifs de départ; ma bonne petite maman renonçait, pour le bonheur futur de sa fille, à son état; mon père se séparait de nous pour la première fois, parti bien douloureux à prendre. Enfin, trois jours après, nous voilà embarqués pour Paris dans un grand berlingot, que par amour-propre on appelle berline! Nous voilà, père, mère, nourrice et sœur. Deux grands jours en route pour faire trente lieues. Nous descendîmes dans un petit hôtel fort modeste, comme vous pensez bien, rue de Thionville, hôtel Thionville, aujourd'hui rue Dauphine.

Arrivée à Paris.—Le Théâtre-Français sous le Consulat.—Les études avec Mlle Raucourt,Mlle Duchesnois, Mlle Clairon, Mlle Dumesnil.—Les débuts

      Le lendemain, notre premier soin fut de nous rendre chez Mlle Raucourt, qui alors habitait aux Champs-Elysées, au bout de l'allée des Veuves, la Chaumière, qui primitivement avait appartenu à la célèbre et belle Mme Tallien; maison couverte de chaume, mais délicieusement coquette et d'une élégance des plus recherchées au dedans. Mlle Raucourt nous fit une réception toute maternelle; il y avait près d'elle Mme de Ponty qu'elle ne quittait jamais, petite femme charmante; sa mère, nous l'avons su depuis, était une dame d'atours de Marie-Antoinette. A la Révolution, Mme de Ponty fut mise en prison en même temps que Mmes Raucourt, Contât, etc.21 C'est dans cette triste demeure qu'une liaison d'amitié s'établit entre Mmes de Ponty et Raucourt, liaison qui n'a fini qu'à la mort de Mlle Raucourt.

      On me donna Émilie, de Cinna, à apprendre. Nous voilà tous trois revenant à pied, bien entendu, très enchantés, mes parents surtout. Moi, je n'étais pas si émerveillée que cela. Je songeais toujours à Amiens, à mes opéras! Me voici à étudier cette grande figure, Emilie! Ah! mon Dieu, maman, qu'est-ce que toutes ces grandes tartines-là! Mais je n'y comprends rien, mais je ne pourrai jamais dire cela, moi.

      Ne pouvant rester à l'hôtel, quelque modeste qu'il fût, nous cherchâmes un appartement, pardon; je voulais dire une chambre: nous en trouvâmes une. Hôtel du Pérou (le titre était séduisant), rue Croix-des-Petits-Champs. Une grande chambre, ma foi, donnant sur de belles gouttières; un petit cabinet pour ma bonne nourrice et ma petite bebelle! Mais mon bon père fut obligé de nous quitter, et alors que j'ai maudit mon heureuse destinée! Mon père éloigné de nous, il me semblait que nous étions abandonnés, seuls, au milieu de tout le monde inconnu et sans doute bien indifférent.

      Adieu, mon bon papa: ne nous laisse pas trop longtemps sans toi; tu sais bien que cela ne peut pas être. Ah! la famille! Comment former d'autres souhaits que celui d'être toujours réunis! Pour moi, le sentiment de famille a toujours prévalu; des caprices, des passions, si vous voulez. Dans les étourdissements de la vie, on dit: «Oui, je sacrifie tout, je quitterai tout!» Mensonges! On quitte tout, on oublie tout; jamais sa famille.

      Le lendemain de ce triste départ, nous prenons, ma mère et moi, le chemin de la Chaumière; trajet très long pour ma mère, petite comme notre charmante Anaïs. J'allais prendre ma première leçon: la route était longue de la rue Croix-des-Petits-Champs à l'allée des Veuves; elle me parut trop courte, tant ma frayeur était grande. Mlle Raucourt me fit lire Émilie; elle me le lut ensuite… C'était bien certainement une grande artiste très savante; mais, pour une jeune fille, la voix un peu rauque et très peu harmonieuse ne me séduisit point. Je croyais qu'il fallait, si je voulais parvenir, prendre cette voix, et j'y trouvais une impossibilité qui me désolait. «Attendons, dis-je à ma mère; je verrai peut-être plus clair.» On nous donne nos entrés au Théâtre-Français. Ah! je suis heureuse: je vais voir comment les autres ont une voix! Nous voilà toutes deux au balcon; on jouait Andromaque: Larrive22, Saint-Phal23, Mlle Fleury24, Mlle Vanhove25, depuis Mme Talma. Toute navrée et tout ignorante que j'étais, j'oserai dire que je fus peu frappée de Larrive, dans le beau rôle d'Oreste. Le public, toujours oublieux et ingrat, traita mal ce talent naguère si entouré d'hommages. Larrive, élève de la fameuse Clairon26, finit mal cette carrière parcourue avec tant d'éclat; il n'eut pas l'esprit de se retirer à temps. C'était chose triste de voir le spectacle! Larrive sifflé sans pitié. Point de souvenirs à invoquer… «Le public ne veut plus de vous; allez-vous-en, vous qui m'avez fait passer des soirées si émouvantes; je ne veux plus vous entendre, je ne me souviens plus. Allez-vous-en, le cœur brisé, l'amour-propre humilié. Ceci ne nous regarde plus. Allez-vous-en!…» Ah! le vilain métier!

      Mlle Fleury, dans Hermione. Physique ingrat, pas de moyens, mauvaise tenue, quelque chose de pauvre dans toute sa personne; mais une voix agréable, beaucoup de cœur et de chaleur, disant admirablement bien. Avec toutes ces qualités, elle avait plus à lutter qu'une autre: la première apparition lui était défavorable; mais, à mesure qu'elle parlait, on ne pouvait rester froid; elle entraînait; elle ne larmoyait pas, elle pleurait bien. Hermione ne s'harmonisait pas avec ces qualités; il y a dans ce rôle trop d'effets hardis pour un talent suave plutôt qu'impétueux. Elle pouvait être victime, mais ne pas en faire.

      Mlle Vanhove, dans Andromaque: physique distingué, sentimentale, voix très touchante, mais peut-être un peu monotone; du talent sans doute, du charme, mais jamais de grands effets dans la tragédie surtout, le drame convenant mieux à son talent mélancolique.

      Saint-Phal, chaleureux, très, trop chaleureux; diction saccadée qui, toute jeune que j'étais, me parut, pardonnez-moi le mot, un peu rococo.

      Voilà, pour la tragédie, ce que je vis pour la première fois! L'épreuve nouvelle ensuite! Ah! mademoiselle Mars, comme je vous sentis tout de suite! Quelle ingénuité! Que je fus émue! Qu'elle me parut ravissante! Des yeux si expressifs, si veloutés; les sourires envahissants; cette vraie ingénuité qui ne baissait pas les yeux, qui ne faisait pas la modeste: elle ne comprenait pas! Cette salle tout entière attachée sur elle, ces rires qu'elle excitait par cette naïveté honnête et séduisante! Ah! ma chère Mars, jamais on n'atteindra cette perfection, vous en avez emporté le secret dans la tombe: elle restera bien scellée. Vous avez eu vos détracteurs, admirable actrice, mais en quittant cette terre, vous avez dû dire: «Cherchez, vous ne trouverez pas.»

      Je me laisse aller à mes souvenirs; revenons à mon ignorance.

      Michot27 dans le paysan de l'Épreuve, quel naturel! C'était un acteur bien remarquable, la nature prise sur le fait, une bonhomie, un entrain! On adorait le talent. Comme il jouait Onus, des Deux frères, Kœpp dans la Jeunesse d'Henri V, et le vieux domestique dans le Philosophe sans le savoir, rôle qui paraît un accessoire, et qui, avec lui, devenait important! Puis cet homme faisait pleurer et rire en même temps. Eh bien! à peine a-t-il laissé un souvenir. Que cette carrière est bizarre!

      Dugazon, dans le comique. Ah! celui-là était un véritable comique. Impossible de ne pas rire franchement. Il était bien amusant.

      Fleury28, qui jouait Lucidor, rôle assez compère des autres personnages; mais avec lui on croyait que c'était un bon rôle. Cette pièce était assez bien montée, je pense; aussi, quel succès avait le petit acte! c'était un feu roulant. J'étais, en sortant de cette soirée, folle de la comédie. La tragédie! ah! j'en voulais peu, je vous proteste.

      La seconde fois, je vis l'Orphelin de la Chine. Ce fut la dernière représentation de Larrive qui, cette fois, fut affreusement traité, bafoué même. Il perdait la mémoire, le pauvre! Il ne savait plus ce qu'il faisait. Ce spectacle faisait mal. Mlle Raucourt, dans le rôle d'Idamé: c'est de la maternité au plus haut degré. Et Mlle Raucourt était plus elle-même dans les rôles savants, elle avait le costume exact. C'était bienfait; elle ressemblait trop à Jameti; on ne distinguait vraiment pas le sexe.

      Je vis enfin le beau Lafont, l'acteur en grande vogue, dont les débuts avaient été si brillants que Talma29 en conçut quelques inquiétudes. Orosmane, c'était plutôt un joli homme: des traits très délicats, le nez un peu en l'air, de petits yeux noirs,

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<p>21</p>

Contat aînée (Louise-Françoise, épouse du marquis de Parny-Deforges).—Née à Paris le 16 juin 1760.—Débute le 3 février 1776.—Reçue à l'essai le 26 mars 1777.—Sociétaire le 3 avril 1777.—Retirée le 6 mars 1809.—Décédée à Paris, 56, rue de Provence, le 9 mars 1813.—Inhumée au Père-Lachaise. (Georges Monval, Liste alphabétique des sociétaires, etc.)

<p>22</p>

La Hive (Jean Mauduit, dit de).—Né à La Rochelle le 6 août 1747.—Troupe Montansier, Tours, Lyon.—Débute le 3 décembre 1770.—Reçu à l'essai le 1er janvier 1771.—Parti en octobre 1771.—Province.—Rentré le 29 avril 1775.—Sociétaire le 18 mai suivant.—Retiré le 13 juin 1788.—Rentré comme acteur libre en 1790.—Mort à Montlignon, près de Montmorency, le 30 avril 1827.

<p>23</p>

Saint-Fal (Etienne Meynier, dit).—Né à Paris, rue Saint-Séverin, le 10 juin 1752.—Comédie bourgeoise, troupe de la Montansier, Hollande, Lyon, Bruxelles.—Débute le 8 juillet 1782.—Sociétaire le 25 mars 1784.—Réunion générale du 30 mai 1799.—Retraité le 1er avril 1824.—Mort à Paris le 22 novembre 1835.

<p>24</p>

Fleury (Marie-Anne-Florence-Bernarde Nones, dite Mlle, épouse du Dr Chevetel).—Née à Anvers le 20 décembre 1766.—Débute le 23 mars 1784.—Nouveau début le 23 octobre 1786.—Sociétaire le 5 avril 1791.—Réunion générale de 1799.—Retraitée le 1er avril 1807.—Décédée à Orly, près de Choisy-le-Roi, le 23 février 1818.

<p>25</p>

Talma (Charlotte, dite Caroline Vanhove, femme Petit, puis épouse de Talma (1802) et du comte de Chalôt) (1828).—Née à La Haye (Hollande), le 10 septembre 1771.—Rôles d'enfant (1777).—Débute le 8 octobre 1785.—Sociétaire le 25 décembre suivant.—Réunion générale du 30 mai 1799.—Retraitée le 1er avril 1811.—Morte à Paris le 11 avril 1860.—Inhumée au cimetière du Mont-Parnasse. (Georges Monval, etc.)

<p>26</p>

Clairon (Claire-Josèphe-Hippolyle Leris de la Tude, dite Mlle).—Née à Condé sur Escaut le 25 janvier 1723.—Débute au Théâtre-Italien le 8 janvier 1736.—Opéra (mars 1743).—Admise le 22 octobre 1743.—Sociétaire le 29 novembre 1743.—Retirée le 31 mars 1766.—Morte à Paris, rue de Lille, le 9 pluviôse an IX (29 janvier 1803).—Transférée du cimetière de Vaugirard au Père-Lachaise en 1838. (Georges Monval, etc.)

<p>27</p>

Michot (Antoine Michaut, dit), beau-frère de Pigault-Lebrun.—Né à Paris, rue Jacob, le 12 janvier 1765.—Débute le 15 mai 1790 (Palais-Royal); Théâtre de la République (1792-93); Feydeau (1798).—Sociétaire à la réunion générale de 1799.—Retraité le 1er avril 1821.—Inhumé au cimetière de Montmartre, avenue de la Croix. (Georges Monval, etc.)

<p>28</p>

Fleury (Abraham-Joseph Bénard, dit).—Né à Chartres le 27 octobre 1750.—Théâtre de Lyon (1765).—Débute le 7 mars 4774.—Retourne en province.—Nouveau début le 20 mars 1778.—Sociétaire le 12 mai suivant.—Réunion générale de 1799.—Retraité le 1er avril 1818.—Mort à Valençay (Loiret) le 3 mars 1822.—Inhumé au cimetière d'Orléans. (Georges Monval, Liste alphabétique des sociétaires, etc.)

<p>29</p>

Talma (François-Joseph), époux de Julie Carreau (1790), et de Caroline Vanhove (1802).—Né à Paris, rue des Ménestriers (paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs), le 15 janvier 1763.—Elève de l'École de déclamation (1786).—Débute le 21 novembre 1787, par Séide, de Mahomet.—Sociétaire le 1er avril 1789.—Théâtre de la rue de Richelieu (avril 1791).—Réunion générale du 30 mai 1799.—Mort à Paris, rue de la Tour-des-Dames, le 19 octobre 1826.—Inhumé au cimetière du Père-Lachaise.