Скачать книгу

renvoyait avec sa décision.... Quant à la police, il eut dans tous ses états des émissaires qui épièrent les discours et les actions de chacun (c’est-à-dire qu’il institua l’espionnage); et si quelqu’un faisait une injure, il le mandait et le punissait.» Hérodote, lib. I, §§ XCIX et C.

      N’est-ce pas là le portrait de Lohrasp? On ajoute que ce prince fit de grandes conquêtes, d’abord au levant, puis au couchant (en Asie mineure). Ce fut lui qui envoya en Palestine un de ses lieutenants, Raham, surnommé Bakhtnasar ou Naboukodon-asar; Raham détrôna le fils de David, qui y régnait alors, et il enleva du pays un butin immense56.

      Ici Lohrasp devient ce Kyaxar-Astibaras qui s’entendit avec Nabukodonosor (selon Eupolème), pour envoyer une armée contre Jérusalem; et en effet cette ville fut prise et rançonnée sous le roi Ioaqim.

      D’après tous ces récits, nos romanciers persans sont convaincus, comme Ktésias, de confusion d’époque, et de redoublement de personnes. Le fils de Lohrasp, appelé Kestasp, prince inquiet, ambitieux, se retire chez Afrasiab, roi de Touran, Mirkond dit chez Kaisar, roi de Roum (Cæsar, roi des Romains), dont il épouse la fille, par une suite d’aventures romanesques: il fait déclarer la guerre à son père, et conduit l’armée contre lui. Lohrasp, pour épargner le sang, lui résigne la tiare, se retire dans un couvent et périt, comme nous l’avons vu dans l’article de Zoroastre.

      Ceci est un mélange de l’histoire d’Astyag, marié en Lydie, et de celle de Kyrus détrônant Astyag, le tout arrangé selon la convenance d’Ardéchir et de ses mages, ou de quelque roi parthe avant lui; la suite ne vaut pas la peine d’être examinée: mais jetons un coup d’œil sur la dynastie Piche-dâd.

      § VI.

      Dynastie Piche-Dâd

      Si les Kêaniens ont été les Mèdes, leurs prédécesseurs devraient être les Assyriens de Ninive. Nos romanciers ne citent et ne connaissent pas un seul de ces noms, et cependant ils disent que leurs monuments sont anciens. Kéomors fut, selon eux, le premier homme ou roi. Nous saurons bientôt qu’en penser.

      Le cinquième des Piche-dâd fixe d’abord notre attention; nous croyons le reconnaître dans tous ses traits et même dans son nom. Écoutons les chroniques:

      «Djem-Chid régnait depuis 5 ou 600 ans sur la Perse (les années ne coûtent rien): il résidait à Estakar, qu’il avait embellie; il y avait «fait une entrée triomphale à l’équinoxe du printemps, le jour où le soleil entrait au bélier; et de là vint le Naurouz des Perses.... Il avait divisé la nation en trois classes, les guerriers, les laboureurs, les artisans; il avait composé ou soumis sept provinces. Son règne était glorieux, lorsque Dieu, pour le punir d’avoir voulu se faire adorer, suscita contre lui un ennemi puissant, qui le renversa.

      «Cet ennemi fut Zohâk, qui, selon quelques auteurs, fut son parent; mais qui, de l’avis de tous, fut un prince Tâzi, c’est-à-dire arabe. Les uns le disent fils immédiat de Cheddâd, fils d’Aâd, ancien roi d’Iémen: d’autres disent seulement qu’il en descendait par Olouân ou Olouïan. Zohâk, à la tête d’une puissante armée, chassa Djemchid, qui disparut, et voyagea incognito pendant 100 ans sur toute la terre.... Devenu roi, Zohâk fut un tyran très-cruel; ce fut lui qui inventa divers supplices, entre autres celui de mettre en croix et d’écorcher vif: on lui donna divers surnoms, tels que Piour-asp, c’est-à-dire, en pehlevi, l’homme aux dix mille chevaux, parce qu’il marchait toujours escorté de dix mille chevaux arabes brillants d’or et d’argent (il est évident que ce fut un corps de cavalerie d’élite). On le nomma aussi tantôt Homairi, c’est-à-dire Homérite; tantôt Qaislohoub, c’est-à-dire le Qaisi aux armes étincelantes57; tantôt ajdehâc et mâr, c’est-à-dire serpent, par la raison qu’il avait sur les épaules deux serpens attachés à deux ulcères que le diable y avait imprimés par deux baisers. Pour remède, il avait conseillé à Zohâk d’y appliquer des cervelles d’hommes et d’enfants: on remplissait les prisons de victimes destinées à cette œuvre exécrable. Les geôliers, touchés de pitié, en laissèrent échapper quelques-uns, qui se réfugièrent dans les montagnes, et devinrent la souche des Kurdes. Deux enfants d’un forgeron de la capitale du Pars (la Perse) ayant été saisis, leur père, appelé Gao ou Kao, ameuta le peuple par ses cris, et devint chef d’abord d’une sédition, puis d’une armée régulière, dont l’étendard principal fut le tablier de cuir que Gao avait élevé au bout d’une perche. Ce tablier, qui ne cessa depuis d’être l’étendard royal, fut successivement enrichi de tant de pierreries, que lorsque les Arabes s’en emparèrent à la bataille de Qadesia (l’an 652 de notre ère), il fit la fortune du corps arabe qui le prit.

      «Gao, devenu général, ne voulut point accepter la royauté; il la déféra à un descendant des anciens rois d’Aderbidjân (la Médie), qui menait une vie retirée dans ce pays-là. Ce nouveau roi, appelé Fridon ou Feridon, secondé de Gao, battit Zohâk, parvint à le saisir, le tua, selon les uns, ou, selon d’autres, l’enferma dans les cavernes du mont Demaouend (en Hyrcanie). Or Zohâk avait régné dix générations ou dix siècles (car l’on n’est pas bien d’accord sur ce point).»

      Voilà les contes populaires que débitent sérieusement, et que croient dévotement la plupart des historiens musulmans et parsis: certainement nous avons ici bien des fables; mais, sous leur broderie, nous avons aussi un fond de vérités historiques. Essayons de les démêler.

      La Perse proprement dite (ayant pour capitale Estakar), envahie et subjuguée par un roi étranger, reporte nos idées vers l’Assyrien Ninus et le Mède Phraortes, seuls conquérans que lui connaisse l’histoire. Mais cet étranger, nous dit-on, fut un arabe, un Homairi, c’est-à-dire un roi sabéen. Nous en connaissons plusieurs; recherchons celui-ci: son père, ou l’un de ses pères, était le célèbre Cheddâd, fils d’Aâd, l’un et l’autre anciens rois d’Iémen; nous avons vu ces noms dans les traditions arabes de Schultens. Aboulfeda, parlant de Haret Arraies, nous a dit qu’il était fils de Cheddâd, fils d’Aâd58, anciens rois d’Iémen; Haret serait donc le Zohâk des Perses, comme il est, dans Ktésias, l’Arraïos allié de Ninus et coopérateur de ses conquêtes: or la Perse fut précisément l’une de ces conquêtes. D’autres circonstances viennent appuyer ces analogies: par exemple, le corps de dix mille chevaux arabes brillants d’or et d’argent, d’où, vient l’épithète de qaislohoub. En effet, plusieurs auteurs font Haret, fils ou partisan de Qais, nom qui, chez les Arabes, fut de toute antiquité celui d’un parti distingué par le drapeau rouge, en opposition au Iamani distingué par son drapeau blanc: enfin, l’invention du supplice en croix rappelle la cruauté de Ninus envers Pharnus, roi de Médie, et lie ensemble les récits de Ktésias, de Mirkond et d’Aboulfeda. Mais, selon Ktésias, la Perse, fut assujettie à l’empire assyrien, et non aux rois Tobbas, arabes; il faut donc supposer que Haret, en ayant fait la conquête comme lieutenant et allié de Ninus, l’ayant peut-être gouvernée quelque temps, a porté tout l’odieux de l’invasion, et qu’ensuite l’ayant remise aux Assyriens, le nom de Zohâk, que nous allons voir désigner tout être puissant malfaisant, a passé collectivement, selon le style oriental, à la dynastie entière de Ninus: de là ce règne de 1,000 ans, attribué à Zohâk, durée qui a quelque analogie avec les 1,070 que Velleïus attribue aux rois d’Assyrie59.

      Si notre manière de voir est juste, Féridoun, vainqueur de Zohâk et libérateur de l’Irân, doit être Arbâk, vainqueur de Sardanapale et libérateur des Perses amenés par Gaô au secours des Mèdes; et réellement, ainsi qu’Arbâk,

Скачать книгу


<p>56</p>

Que les Perses de Kyrus et de Darius, possesseurs de Babylone, aient cru que les rois de cette ville avaient toujours été leurs lieutenants et vassaux, cela se conçoit, parce que, relativement aux Mèdes, prédécesseurs des Perses, il y a un fond de vérité. Mais que les auteurs persans du XIe siècle viennent nous dire que Kyrus et Xercès n’étaient que des vassaux et des lieutenants d’un châh imaginaire, cela ne prouve que leur ignorance profonde de l’antiquité, et ne mérite aucune discussion. On ne peut voir sans regrets que M. Mouradja d’Ohson ait adopté et préconisé chez nous ces rêves asiatiques, dans son Tableau historique de l’Orient; mais l’on conçoit que né Arménien, élevé à Stamboul dans le respect et l’admiration d’un grand pouvoir, M. Mouradja, en devenant drogman et comte suédois, n’ait pu changer d’esprit comme de vêtement: son livre, que nous venons de citer, écrit sans ordre, sans indication d’aucune autorité, n’est propre qu’à donner des idées fausses et vagues, et ne doit, en aucun cas, être regardé comme une histoire de l’ancien Orient.

<p>57</p>

La racine lahab manque dans l’arabe (Voyez Golius), mais elle subsiste dans l’hébreu, qui, en plusieurs cas, explique très-bien le vieil arabe.

<p>58</p>

Il est évident que ce nom d’Aâd fut, chez les anciens Arabes, le nom de beaucoup d’individus, en même temps qu’il était celui d’une tribu. Ainsi, chez les Hébreux, Manassé, Siméon, Éphraïm, noms de tribus, sont aussi des noms d’individus. Parmi les merveilles du monde, les Arabes citent le puits de Moattala chez les Madianites, issus d’Aâd, tribu expulsée de l’Iémen. Les Madianites sont cités avant Moïse: donc l’expulsion des Aâdites date de bien plus loin.

Dans leurs récits mêlés de fables, les auteurs arabes citent, relativement à Cheddâd, plusieurs faits d’une exactitude vraiment historique et très-instructifs. Par exemple, Chehab-el-din, dans son livre El-Djoman (les Perles), rapporte que289,

«Aâd eut un grand nombre d’enfants dont trois régnèrent après lui (savoir): Mondâr, Cheddâd, et Loqman. Cheddâd ayant succédé à Mondâr, fit de grandes conquêtes dans l’Afrique jusqu’à l’Océan. Après 200 ans d’absence, revenu en Iémen, il ne voulut point résider au château de Mâreb, et il acheva le château appelé El Mocheyâd, commencé par son frère Mondâr. Il y employa avec profusion l’or, l’argent et les pierres précieuses (qu’il avait rapportées de ses conquêtes). Les murs étaient ornés intérieurement des pierres les plus rares, et le pavé était de marbre de diverses couleurs (c’était une mosaïque). Cheddâd avait reçu de la nature une force de corps prodigieuse (son nom en dérive: chedid signifie fort); il pliait le fer avec les doigts, et l’éclat de sa voix eût pu tuer un lion… Il vécut très-âgé, et vit sa postérité se multiplier à l’infini…

Le jardin nommé Aram-Zât-el-èmâd (Aram aux colonnes), est encore un ouvrage de ce prince. Ayant lu dans (certains) livres révélés la description du paradis, dont les «colonnes sont d’or et d’argent, la poussière de musc et d’ambre, les gazons de safran et d’iris, les cailloux d’hyacinthe et d’émeraude, etc., il voulut imiter cette magnificence… Il choisit une plaine délicieuse, coupée de 1000 ruisseaux, et il y bâtit un palais enchanté, etc.

«Dans son livre des merveilles de Dieu290, Iaqouti s’exprime plus historiquement sur cet ouvrage: Aram aux colonnes, dit-il, est une ville située entre Sanaà et Hadramaut: elle a été bâtie par Cheddâd, fils d’Aâd, ancien roi des Arabes; elle avait de longueur 12 parasanges, et autant de largeur (c’est presque la dimension de Moscou); elle renfermait un nombre infini d’édifices merveilleux, etc.»

Il faut laisser à l’écart toutes les fables que les écrivains ont brodées sur ce riche canevas: les 200 ans de Cheddâd ne doivent pas être de leur invention: leur analogie avec les âges prodigieux des antiquités juives, prouve seulement qu’alors les années n’étaient pas composées de 12 mois, comme nous l’avons vu dans la Chronologie des Hébreux. En ne prenant que l’essence des faits rapportés dans l’article ci-dessus, nous y trouvons une indication claire… que dès avant le temps de Haret et de Ninus, et en remontant jusqu’à celui de Sésostris, les Arabes d’Iémen avaient déja fait en Afrique ces grandes expéditions qu’ils répétèrent au temps de Salomon: ils avaient pu déja, bien antérieurement, établir cette colonie d’Éthiopiens-Abissins, dont l’origine, suivant le savant Ludolf, se perd dans la haute antiquité, et qui, différant totalement de la race nègre par leurs cheveux longs, leur figure ovale et leur idiome tout-à-fait arabique, attestent une invasion étrangère qui expulsa les naturels du riche pays qu’arrosent les affluents du Haut-Nil. On conçoit comment un prince doué de moyens éminents comme Cheddâd, put faire des expéditions dont ses prédécesseurs lui avaient ouvert les voies, et ensuite déployer un luxe dont le royaume de Thèbes lui offrait les modèles: il est à remarquer que le mot Aram, qui dans les langues arabiques ne signifie rien, dans le sanscrit signifie jardin; et que le paradis décrit par certains livres révélés, est le paradis indou, tel que le décrivent les Pouranas: en sorte que nous avons ici l’indication évidente de la diffusion du brahmisme dès ce temps reculé; et ce nom d’Aram, jardin, donné au riche pays de la Mésopotamie, prouve, avec bien d’autres noms géographiques, que le système indien s’étendit jadis, comme l’a très-bien vu Wilford, dans tout le continent de l’Asie. Pour des yeux libres, l’horizon de l’antiquité s’éloigne et s’étend à mesure que l’observateur avance; mais pour qui porte les lunettes juives, dès quelques pas au-delà d’Abraham, l’horizon est obstrué par le mont Ararat et par les ténèbres chaldéennes, où l’imagination fascinée n’aperçoit que des figures gigantesques et des êtres fantastiques dans des nuages bizarrement dessinés.

<p>59</p>

La qualité de parent de Djemchid se trouve même en harmonie avec la tradition citée par Maseoudi, que l’une des 4 tribus arabes primitives possédèrent la Perse, et furent une portion alliée de ses habitants; l’une de ces tribus portait le nom d’Aâd, qui a dû faire équivoque avec le père de Cheddâd.