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La Faute de l'abbé Mouret. Emile Zola
Читать онлайн.Название La Faute de l'abbé Mouret
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Elle allongeait ses bras, qu'elle avait simplement trempés au fond d'un seau d'eau, des bras royaux, d'une rondeur superbe, poussés comme des roses blanches et grasses, dans ce fumier.
– Oui, oui, murmura le prêtre, tu as bien travaillé. C'est très joli, maintenant.
Il se dirigeait vers la barrière; mais elle l'arrêta.
– Attends donc! Tu vas tout voir. Tu ne te doutes pas…
Elle l'entraîna sous le hangar, devant la lapinière.
– Il y des petits dans toutes les cases, dit-elle, en tapant les mains d'enthousiasme.
Alors, longuement, elle lui expliqua les portées. Il fallut qu'il s'accroupit, qu'il mît le nez contre le treillage, pendant qu'elle donnait des détails minutieux. Les mères, avec leurs grandes oreilles anxieuses, les regardaient de biais, soufflantes, clouées de peur. Puis, c'était, dans une case, un trou de poils, au fond duquel grouillait un tas vivant, une masse noirâtre, indistincte, qui avait une grosse haleine, comme un seul corps. A côté, les petits se hasardaient au bord du trou, portant des têtes énormes. Plus loin, ils étaient déjà forts, ils ressemblaient à de jeunes rats, furetant, bondissant, le derrière en l'air, taché du bouton blanc de la queue. Ceux-là avaient des grâces joueuses de bambins, faisant le tour des cases au galop, les blancs aux yeux de rubis pâle, les noirs aux yeux luisants comme des boutons de jais. Et des paniques les emportaient brusquement, découvrant à chaque saut leurs pattes minces, roussies par l'urine. Et ils se remettaient en un tas, si étroitement, qu'on ne voyait plus les têtes.
– C'est toi qui leur fais peur, disait Désirée. Moi, ils me connaissent bien.
Elle les appelait, elle tirait de sa poche quelque croûte de pain. Les petits lapins se rassuraient, venaient un à un, obliquement, le nez frisé, se mettant debout contre le grillage. Et elle les laissait là, un instant, pour montrer à son frère le duvet rose de leur ventre. Puis, elle donnait la croûte au plus hardi. Alors, toute la bande accourait, se coulait, se serrait, sans se battre; trois petits, parfois, mordaient à la même croûte; d'autres se sauvaient, se tournaient contre le mur, pour manger tranquilles; tandis que les mères, au fond, continuaient à souffler, méfiantes, refusant les croûtes.
– Ah! les gourmands! cria Désirée, ils mangeraient comme cela jusqu'à demain matin!.. La nuit, on les entend qui croquent les feuilles oubliées.
Le prêtre s'était relevé, mais elle ne se lassait point de sourire aux chers petits.
– Tu vois, le gros, là-bas, celui qui est tout blanc, avec les oreilles noires… Eh bien! il adore les coquelicots. Il les choisit très bien, parmi les autres herbes… L'autre jour, il a eu des coliques. Ça le tenait sous les pattes de derrière. Alors, je l'ai pris, je l'ai gardé au chaud, dans ma poche. Depuis ce temps-là, il est joliment gaillard.
Elle allongeait les doigts entre les mailles du treillage, elle leur caressait l'échine.
– On dirait un satin, reprit-elle. Ils sont habillés comme des princes. Et coquets avec cela! Tiens, en voilà un qui est toujours à se débarbouiller. Il use ses pattes… Si tu savais comme ils sont drôles! Moi je ne dis rien, mais je m'aperçois bien de leurs malices. Ainsi, par exemple, ce gris qui nous regarde, détestait une petite femelle, que j'ai dû mettre à part. Il y a eu des histoires terribles entre eux. Ça serait trop long à conter. Enfin, la dernière fois qu'il l'a battue, comme j'arrivais furieuse, qu'est-ce que je vois? ce gredin-là, blotti dans le fond, qui avait l'air de râler. Il voulait me faire croire que c'était lui qui avait à se plaindre d'elle…
Elle s'interrompit; puis, s'adressant au lapin:
– Tu as beau m'écouter, tu n'es qu'un gueux!
Et se tournant vers son frère:
– Il entend tout ce que je dis, murmura-t-elle, avec un clignement d'yeux.
L'abbé Mouret ne put tenir davantage, dans la chaleur qui montait des portées. La vie, grouillant sous ce poil arraché du ventre des mères, avait un souffle fort, dont il sentait le trouble à ses tempes. Désirée, comme grisée peu à peu, s'égayait davantage, plus rose, plus carrée dans sa chair.
– Mais rien ne t'appelle! cria-t-elle; tu as l'air de toujours te sauver… Et mes petits poussins, donc! Ils sont nés de cette nuit.
Elle prit du riz, elle en jeta une poignée devant elle. La poule, avec des gloussements d'appel, s'avança gravement, suivie de toute la bande des poussins, qui avaient un gazouillis et des courses folles d'oiseaux égarés. Puis, quand ils furent au beau milieu des grains de riz, la mère donna de furieux coups de bec, rejetant les grains qu'elle cassait, tandis que les petits piquaient devant elle, d'un air pressé. Ils étaient adorables d'enfance, demi-nus, la tête ronde, les yeux vifs comme des pointes d'acier, le bec planté si drôlement, le duvet retroussé d'une façon si plaisante, qu'ils ressemblaient à des joujoux de deux sous. Désirée riait d'aise, à les voir.
– Ce sont des amours! balbutiait-elle.
Elle en prit deux, un dans chaque main, les couvrant d'une rage de baisers. Et le prêtre dut les regarder partout, tandis qu'elle disait tranquillement:
– Ce n'est pas facile de reconnaître les coqs. Moi, je ne me trompe pas… Ça, c'est une poule, et ça, c'est encore une poule.
Elle les remit à terre. Mais les autres poules arrivaient, pour manger le riz. Un grand coq rouge, aux plumes flambantes, les suivait, en levant ses larges pattes avec une majesté circonspecte.
– Alexandre devient superbe, dit l'abbé pour faire plaisir à sa soeur.
Le coq s'appelait Alexandre. Il regardait la jeune fille de son oeil de braise, la tête tournée, la queue élargie. Puis, il vint se planter au bord de ses jupes.
– Il m'aime bien, dit-elle. Moi seule peux le toucher… C'est un bon coq. Il a quatorze poules, et je ne trouve jamais un oeuf clair dans les couvées… N'est-ce pas, Alexandre?
Elle s'était baissée. Le coq ne se sauva pas sous sa caresse. Il sembla qu'un flot de sang allumait sa crête. Les ailes battantes, le cou tendu, il lança un cri prolongé, qui sonna comme soufflé par un tube d'airain. A quatre reprises, il chanta, tandis que tous les coqs des Artaud répondaient, au loin. Désirée s'amusa beaucoup de la mine effarée de son frère.
– Hein! il te casse les oreilles, dit-elle. Il a un fameux gosier… Mais, je t'assure, il n'est pas méchant. Ce sont les poules qui sont méchantes…
Tu te rappelles la grosse mouchetée, celle qui faisait des oeufs jaunes? Avant-hier, elle s'était écorché la patte. Quand les autres ont vu le sang, elles sont devenues comme folles. Toutes la suivaient, la piquaient, lui buvaient le sang, si bien que le soir elles lui avaient mangé la patte… Je l'ai trouvée la tête derrière une pierre, comme une imbécile, ne disant rien, se laissant dévorer.
La voracité des poules la laissait riante. Elle raconta d'autres cruautés, paisiblement: de jeunes poulets le derrière déchiqueté, les entrailles vidées, dont elle n'avait retrouvé que le cou et les ailes; une portée de petits chats mangée dans l'écurie, en quelques heures.
– Tu leur donnerais un chrétien, continua-t-elle, qu'elles en viendraient à bout… Et dures au mal! Elles vivent très bien avec un membre cassé.
Elles ont beau avoir des plaies, des trous dans le corps à y fourrer le poing, elles n'en avalent pas moins leur soupe. C'est pour cela que je les aime; leur chair repousse en deux jours, leur corps est toujours chaud comme si elles avaient une provision de soleil sous les plumes… Quand je veux les régaler, je leur coupe de la viande crue. Et les vers donc! Tu vas voir si elles les aiment.
Elle courut au tas de fumier, trouva un ver qu'elle prit sans dégoût. Les poules se jetaient sur ses mains. Mais elle, tenant le ver très haut, s'amusait de leur gloutonnerie. Enfin, elle ouvrit les doigts. Les poules se poussèrent, s'abattirent; puis, une d'elles se sauva, poursuivie par les autres, le ver au bec. Il fut ainsi pris, perdu, repris,