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La Faute de l'abbé Mouret. Emile Zola
Читать онлайн.Название La Faute de l'abbé Mouret
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
XIII
Dans l'église, l'abbé Mouret trouva une dizaine de grandes filles, tenant des branches d'olivier, de laurier, de romarin. Les fleurs de jardin ne poussant guère sur les roches des Artaud, l'usage était de parer l'autel de la Vierge d'une verdure résistante qui durait tout le mois de mai. La Teuse ajoutait des giroflées de muraille, dont les queues trempaient dans de vieilles carafes.
– Voulez-vous me laisser faire, monsieur le curé? demanda-t-elle. Vous n'avez pas l'habitude… Tenez, mettez-vous là, devant l'autel. Vous me direz si la décoration vous plaît.
Il consentit, et ce fut elle qui dirigea réellement la cérémonie. Elle était montée sur un escabeau; elle rudoyait les grandes filles qui s'approchaient tour à tour, avec leurs feuillages.
– Pas si vite, donc! Vous me laisserez bien le temps d'attacher les branches. Il ne faut pas que tous ces fagots tombent sur la tête de monsieur le curé… Eh bien! Babet, c'est ton tour. Quand tu me regarderas, avec tes gros yeux! Il est joli, ton romarin! il est jaune comme un chardon. Toutes les bourriques du pays ont donc pissé dessus!.. A toi, la Rousse. Ah! voilà un beau laurier, au moins! Tu as pris ça dans ton champ de la Croix-Verte.
Les grandes filles posaient leurs rameaux sur l'autel, qu'elles baisaient. Elles restaient un instant contre la nappe, passant les branches à la Teuse, oubliant l'air sournoisement recueilli qu'elles avaient pris pour monter le degré; elles finissaient par rire, elles butaient des genoux, ployaient les hanches au bord de la table, enfonçaient la gorge en plein dans le tabernacle. Et, au-dessus d'elles, la grande Vierge de plâtre doré inclinait sa face peinte, souriait de ses lèvres roses au petit Jésus tout nu qu'elle portait sur son bras gauche.
– C'est ça, Lisa! cria la Teuse, assieds-toi sur l'autel, pendant que tu y es! Veux-tu bien baisser tes jupes! Est-ce qu'on montre ses jambes comme ça!.. Qu'une de vous s'avise de se vautrer! je lui envoie ses branches à travers la figure… Vous ne pouvez donc pas me passer cela tranquillement!
Et se tournant:
– Est-ce à votre goût, monsieur le curé? Trouvez-vous que ça aille?
Elle établissait, derrière la Vierge, une niche de verdure, avec des bouts de feuillage qui dépassaient, formant berceau, retombant en façon de palmes. Le prêtre approuvait d'un mot, hasardait une observation.
– Je crois, murmura-t-il, qu'il faudrait un bouquet de feuilles plus tendres, en haut.
– Sans doute, gronda la Teuse. Elles ne m'apportent que du laurier et du romarin… Quelle est celle qui a de l'olivier? Pas une, allez! Elles ont peur de perdre quatre olives, ces païennes-là.
Mais Catherine monta le degré, avec une énorme branche d'olivier, sous laquelle elle disparaissait.
– Ah! tu en as, toi, gamine, reprit la vieille servante.
– Pardi, dit une voix, elle l'a volé. J'ai vu Vincent qui cassait la branche, pendant qu'elle faisait le guet.
Catherine, furieuse, jura que ce n'était pas vrai. Elle s'était tournée, sans lâcher sa branche, dégageant sa tête brune du buisson qu'elle portait; elle mentait avec un aplomb extraordinaire, inventait une longue histoire pour prouver que l'olivier était bien à elle.
– Et puis, conclut-elle, tous les arbres appartiennent à la sainte Vierge.
L'abbé Mouret voulut intervenir. Mais la Teuse demanda si on se moquait d'elle, à lui laisser si longtemps les bras en l'air. Et elle attacha solidement la branche d'olivier, pendant que Catherine, grimpée sur l'escabeau, derrière son dos, contre-faisait la façon pénible dont elle tournait sa taille énorme, à l'aide de sa bonne jambe; ce qui fit sourire le prêtre lui-même.
– Là, dit la Teuse, en descendant auprès de celui-ci, pour donner un coup d'oeil à son oeuvre; voilà le haut terminé… Maintenant, nous allons mettre des touffes entre les chandeliers, à moins que vous ne préfériez une guirlande qui courrait le long des gradins.
Le prêtre se décida pour de grosses touffes.
– Allons, avancez, reprit la servante, montée de nouveau sur l'escabeau. Il ne faut pas coucher ici… Veux-tu bien baiser l'autel, Miette? Est-ce que tu t'imagines être dans ton écurie?.. Monsieur le curé, voyez donc ce qu'elles font, là-bas? Je les entends qui rient comme des crevées.
On éleva une des deux lampes, on éclaira le bout noir de l'église. Sous la tribune, trois grandes filles jouaient à se pousser; une d'elles était tombée la tête dans le bénitier, ce qui faisait tant rire les autres, qu'elles se laissaient aller par terre pour rire à leur aise. Elles revinrent, regardant le curé en dessous, l'air heureux d'être grondées, avec leurs mains ballantes qui leur tapaient sur les cuisses.
Mais ce qui fâcha surtout la Teuse, ce fut d'apercevoir brusquement la Rosalie montant à l'autel comme les autres, avec son fagot.
– Veux-tu bien descendre! lui cria-t-elle. Ce n'est pas l'aplomb qui te manque, ma fille!.. Voyons, plus vite, emporte-moi ton paquet.
– Tiens, pourquoi donc? dit hardiment Rosalie. On ne m'accusera peut-être pas de l'avoir volé.
Les grandes filles se rapprochaient, faisant les bêtes, échangeant des coups d'oeil luisants.
– Va-t'en, répétait la Teuse; ta place n'est pas ici, entends-tu!
Puis, perdant son peu de patience, brutalement, elle lâcha un mot très gros, qui fit courir un rire d'aise parmi les paysannes.
– Après? dit Rosalie. Est-ce que vous savez ce que font les autres? Vous n'êtes pas allée y voir, n'est-ce pas?
Et elle crut devoir éclater en sanglots. Elle jeta ses rameaux, elle se laissa emmener à quelques pas par l'abbé Mouret, qui lui parlait très sévèrement. Il avait tenté de faire taire la Teuse, il commençait à être gêné au milieu de ces grandes filles éhontées, emplissant l'église, avec leurs brassées de verdure. Elles se poussaient jusqu'au degré de l'autel, l'entouraient d'un coin de forêt vivante, lui apportaient le parfum rude des bois odorants, comme un souffle monté de leurs membres de fortes travailleuses.
– Dépêchons, dépêchons, dit-il en tapant légèrement dans les mains.
– Pardi! j'aimerais mieux être dans mon lit, murmura la Teuse; si vous croyez que c'est commode d'attacher tous ces bouts de bois!
Cependant, elle avait fini par nouer entre les chandeliers de hauts panaches de feuillage. Elle plia l'escabeau, que Catherine alla porter derrière le maître-autel. Elle n'eut plus qu'à planter des massifs, aux deux côtés de la table. Les dernières bottes de verdure suffirent à ce bout de parterre; même il resta des rameaux, dont les filles jonchèrent le sol, jusqu'à la balustrade de bois. L'autel de la Vierge était un bosquet, un enfoncement de taillis, avec une pelouse verte, sur le devant.
La Teuse consentit alors à laisser la place à l'abbé Mouret. Celui-ci monta à l'autel, tapa de nouveau légèrement dans ses mains.
– Mesdemoiselles, dit-il, nous continuerons demain les exercices du Mois de Marie. Celles qui ne pourront venir, devront tout au moins dire leur chapelet chez elles.
Il s'agenouilla, tandis que les paysannes, avec un grand bruit de jupes, se mettaient par terre, s'asseyant sur leurs talons. Elles suivirent son oraison d'un marmottement confus, où perçaient des rires. Une d'elles, se sentant pincée par derrière, laissa échapper un cri, qu'elle tâcha d'étouffer dans un accès de toux; ce qui égaya tellement les autres, qu'elles restèrent un instant à se tordre, après avoir dit Amen, le nez sur les dalles, sans pouvoir se relever.
La Teuse renvoya ces effrontées, pendant que le prêtre, qui s'était signé, demeurait absorbé devant l'autel, comme n'entendant plus ce qui se passait derrière lui.
– Allons, déguerpissez, maintenant, murmurait-elle. Vous êtes un tas de propres à rien, qui ne savez même pas respecter le bon Dieu… C'est une honte, ça ne s'est jamais vu, des filles qui se roulent par terre dans une église, comme des bêtes dans un pré… Qu'est-ce que tu fais